: Grand entretien #MeToo à l'hôpital : "Il est important de mettre des visages sur ce qu'il se passe à l'hôpital", estime Karine Lacombe après ses accusations contre Patrick Pelloux
"Il est important de mettre des visages sur ce qu'il se passe à l'hôpital", déclare samedi 13 avril, l'infectiologue Karine Lacombe dans une interview donnée à franceinfo, quelques jours après ses accusations de "harcèlement moral et sexuel" à l'encontre de l'urgentiste Patrick Pelloux. La cheffe du service des maladies infectieuses de l'hôpital Saint-Antoine de Paris sort un livre, aux éditions Stock, Les femmes sauveront l'hôpital, dans lequel elle dénonce notamment "la gangrène du système" sexiste à l'hôpital.
Franceinfo : Pouvez-vous expliquer le contenu de votre livre, qui est consacré notamment à l'univers sexiste qui règne dans le monde de santé ?
Karine Lacombe : Un des chapitres de ce livre, effectivement, fait référence à la vie à l'hôpital, et en particulier à ces aspects qui ont trait au sexisme et à la sexualité et les rapports qui sont parfois assez délétères entre hommes et femmes à cause de ces histoires de sexe.
Dans votre livre, vous ne nommez pas directement Patrick Pelloux. Vous l'avez fait dans la presse il y a quelques jours. Pourquoi ne pas l'avoir fait dans le livre ?
Le propos du livre n'était pas du tout de dénoncer une personne, c'était vraiment de montrer que c'est un problème systémique. En nommant ce qu'il se passe à l'hôpital, je souhaite faire changer le système. Par la suite, une journaliste a mis son nez dedans, a tiré les bons fils, et quand elle m'a demandé de confirmer à qui je faisais allusion dans mon livre, oui, j'ai confirmé. Je pense qu'à un moment, il est aussi important de mettre des visages sur ce qu'il se passe pour porter la cause et la bataille contre le sexisme à l'hôpital.
Pouvez-vous revenir justement sur ce qui s'est passé à cette époque ? Que décrivez-vous dans ce livre par rapport à Patrick Pelloux ?
Je décris une attitude générale, pas forcément uniquement de Patrick Pelloux. Je décris des choses qui passeraient maintenant pour des agressions sexuelles, comme des attouchements, des gestes absolument déplacés, des propos graveleux qui s'accompagnaient d'espèces de passages à l'acte. À une certaine période, ce n'était pas considéré comme anormal, mais comme quelque chose faisant partie du fonctionnement de l'hôpital. Évidemment, désormais, avec un recul de vingt-cinq ans et le mouvement MeToo qui est passé par là, nous savons que ce sont des choses qui sont condamnables.
De la part de Patrick Pelloux comme de la part d'autres médecins, il y a eu des mains baladeuses mais en fait, d'une façon plus globale, c'est vraiment une atmosphère générale. Certains ont pu dire que c'était de la grivoiserie, mais non, ce n'est pas de la grivoiserie car à partir du moment où il n'y a pas le consentement des femmes, ce n'est pas de la grivoiserie et ce n'est pas un simple amusement entre adultes. Ce dont je parle pour illustrer le propos dans mon livre remonte à 25 ans. Heureusement, les choses ont commencé à changer, même si de façon globale, il persiste une atmosphère de sexisme à l'hôpital et qu'il est vraiment important de changer ça.
Patrick Pelloux parle de porter plainte contre vous.
Je n'ai pas grand-chose à dire sur ce sujet.
Vous-même, vous avez refusé de déposer plainte.
Moi, mon propos, ce n'est pas de stigmatiser une personne, c'est de prendre le comportement d'une personne pour illustrer un problème qui est systémique. J'espère avec cette prise de conscience pouvoir faire bouger les choses. Il y a déjà des choses qui sont faites en matière de prise en compte quand il y a des délits, voire des crimes. Et maintenant, ce qui est important, c'est d'agir sur la prévention et donc de mettre en place des actions, en particulier en fac de médecine, pour faire changer les choses et expliquer ce qu'est le harcèlement moral, le harcèlement sexuel de façon à pouvoir changer les mentalités. Probablement que dans le milieu fermé médical, dans le milieu des médias, le milieu politique, ce sont des choses qui se savaient. Mais il est souvent difficile pour les femmes de porter une parole libre parce qu'on sait que les conséquences peuvent être difficiles. Je pense qu'on est à une période où justement, il y a une fenêtre pour parler librement de ces choses-là.
Vous racontez avoir reçu plusieurs sollicitations, plusieurs messages depuis que vous avez parlé dans la presse.
Oui, énormément d'e-mails, énormément de messages téléphoniques, de SMS, de personnes qui dénoncent justement des faits semblables, plus ou moins des mêmes personnes. Avec cette journaliste de Paris-Match, nous sommes en train de trier, de remonter, de vérifier les sources. S'il y a des choses qui dépendent du pénal, on orientera ces personnes-là vers les bonnes juridictions. Et puis pour le reste, on va analyser et essayer d'en tirer des leçons pour faire des propositions, pour faire changer ça.
Vous assurez que dans le milieu hospitalier, c'est souvent à la victime de fuir ?
Bien sûr. Il y a justement beaucoup de femmes médecins qui m'ont contactée pour me dire qu'elles n'ont pu obtenir certains postes à cause d'un barrage de la hiérarchie, parce qu'elles ont fait état d'agressions sexuelles auprès de leur direction. Certaines personnes ont choisi elles-mêmes de partir ailleurs, ça peut conduire à la fuite et éventuellement à une carrière moins prestigieuse que ce que l'on aurait souhaité. Il est tout le temps difficile, jusqu'à maintenant, pour ces femmes de se faire entendre. Vous savez comment ça se passe : quand une femme fait état de ce type de propos, de ce type de comportement, on la fait facilement passer pour hystérique. On peut ensuite étouffer les affaires, éventuellement muter les personnes et les personnes ne sont pas crues, la parole n'est pas entendue.
Vous dites vous-même avoir subi des humiliations, voire d'avoir été ostracisées suite à ces altercations avec Patrick Pelloux ?
Il est sûr qu'à cette période-là, le contexte était assez compliqué et comme à chaque fois qu'il y a des personnes qui exercent leur fonction dans une atmosphère de domination, les comportements sont rapidement empreints de mépris, d'humiliation. Nous avons été beaucoup à souffrir de ça, d'autant que nous étions jeunes en position d'infériorité. Moi, il y a eu des circonstances qui ont fait que je suis partie en région pendant un certain temps et quand je suis revenue, Patrick Pelloux avait été muté ailleurs et c'est vrai que ça avait énormément assaini l'atmosphère à l'hôpital Saint-Antoine.
Pour vous, les choses sont-elles en train de changer dans les hôpitaux ?
Heureusement, depuis quelques années, en particulier depuis MeToo, il y a eu une prise de conscience, en tout cas pour les actes les plus délictueux, qui fait que la parole des personnes a été mieux entendue. Il y a eu des commissions ad hoc qui ont été mises en place et quand il a fallu condamner, il y a eu des condamnations. Mais au-delà de ça, l'atmosphère globale de sexisme à l'hôpital, elle persiste et il continue d'y avoir des propos inadmissibles, des attitudes inadmissibles. Le fait de prendre la parole comme je le fais ces derniers jours, j'espère, permettra de faire bouger les choses et de façon à ce qu'on soit plus simplement dans le traitement du problème, mais vraiment dans la prise en compte de la cause, dans la prévention et dans le changement global de mentalité.
On sent, par vos propos, que vous n'avez pas envie de devenir le symbole du #MeToo à l'hôpital ou de créer un duel entre vous et Patrick Pelloux.
Oui, absolument, car ce n'est pas du tout mon propos. Mon propos, ce n'est pas une personne contre une autre. Mon propos, c'est de faire comprendre de l'importance du système, la gangrène du système et que les choses changent en profondeur et non pas régler un compte avec une personne. Parce que je pense que ça, ça ne sert pas la cause.
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