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Euthanasie : "Le problème de la loi Leonetti, c'est qu'elle n'est pas appliquée"

La mission présidentielle sur "l'accompagnement des personnes en fin de vie" rend ses conclusions mardi. Si la question de l'euthanasie est la plus médiatique, d'autres problèmes sont soulevés par les professionnels de santé. Reportage dans une unité de soins palliatifs.

Article rédigé par Ariane Nicolas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Une patiente de l'unité de soins palliatifs de la clinique Saint-Roch est reconduite vers sa chambre, le 10 octobre 2012, à Cambrai (Pas-de-Calais). (ARIANE NICOLAS / FTVI)

Elle avait fait grand bruit en 2005 lors du premier débat sur l'euthanasie. La loi Leonetti sur les droits des malades en fin de vie répondait à un double principe : interdire l'acharnement thérapeutique sur les personnes condamnées, et s'assurer que leurs volontés soient respectées. Contre l'euthanasie, elle préconisait ainsi le développement des soins palliatifs, qui soulagent la douleur des malades.

La mission du professeur Didier Sicard, désigné par François Hollande en juillet dernier, doit rendre ses conclusions sur "l'accompagnement des personnes en fin de vie" le 22 décembre. Si la question de l'euthanasie est la plus médiatique, d'autres problèmes sont soulevés par les professionnels de santé, pour qui ce dispositif reste lacunaire. Comment la loi Leonetti est-elle appliquée ? Quels résultats pour les patients ? Reportage dans une unité de soins palliatifs à la clinique Saint-Roch de Cambrai (Pas-de-Calais), l'une des premières du genre à avoir vu le jour en France, il y a quinze ans. 

Des patients pas toujours informés

L'une des missions de la loi Leonetti (résumée sur Infirmiers.com) est de remettre le malade au cœur des soins. Mais pour y parvenir, encore faut-il que celui-ci soit informé de son état et de ses droits. "Certains patients arrivent ici sans savoir ce qu'ils ont vraiment", explique Michèle Righi, directrice des soins de la clinique. "Parfois même, ils ne savent pas qu'ils ont été transférés dans une unité de soins palliatifs". A l'entrée du couloir où sont regroupés une douzaine de patients, le panneau "soins palliatifs" vient d'ailleurs d'être remplacé par "soins et accompagnement". "C'est moins agressif", sourit une infirmière.

Le personnel regrette un manque de transparence dans le circuit médical. "Les cancérologues et les chirurgiens ne communiquent pas toujours très bien, poursuit-elle. Du coup, le message peut être brouillé ou mal compris." Si la loi de 2005 demande au médecin de "respecter la volonté du patient", le Code de déontologie précise que l’information de celui-ci peut être "modulée dans son intérêt en fonction du contexte, de sa personnalité et de sa psychologie du moment", rappelle un rapport de l'université Paris 5. D'où certaines hésitations.

Parfois aussi, "le patient dresse des mécanismes de défense", complète la psychologue de la clinique, Sandrine Martinig, qui discute tous les jours avec les malades. "Il peut être dans le déni, ce qui empêche toute conversation sur sa maladie, ses craintes, ses volontés." Lors d'une réunion de groupe, en sous-sol, un bénévole se souvient d'une femme qui, voyant ses voisins, s'est esclaffée : "Je voudrais pas être comme eux !" Pourtant elle aussi était condamnée. Mais tous les malades n'ont pas la force d'ouvrir leur dossier médical, accessible depuis 2002, pour y lire les mots crus de leur pathologie.

Le casse-tête des directives anticipées 

A Saint-Roch, les patients sont choyés : chambres avec petit salon et salle de bain privative, vue dégagée sur la ville ou le parc mitoyen, personnel joignable à tout moment. Dans le livret d'accueil de la clinique se trouve un autre document que la loi de 2005 a mis en place : les directives anticipées. Rédigées par le patient (en présence d'une personne de confiance), elles lui permettent de prévoir la façon dont il souhaite être traité dans le cas où il deviendrait inconscient ou incapable de communiquer. Par exemple, ne pas être réanimé ou nourri.

Un patient se repose dans sa chambre dans l'unité de soins palliatifs de la clinique Saint-Roch à Cambrai (Pas-de-Calais), le 10 octobre 2012. (ARIANE NICOLAS / FTVI)

"Jamais un patient n'arrive à la clinique avec ses directives anticipées, nous indique la directrice des soins, depuis son bureau situé à côté des premières chambres. "Les malades peuvent poser des questions, mais c'est vrai que nous proposons rarement directement ce document". Mauvaise volonté ? Preuve de la mainmise des médecins sur les patients ? "C'est très difficile de dire à quelqu'un qui est déjà épuisé physiquement et moralement : 'Et si vous deveniez grabataire…', poursuit-elle. On ne veut pas brusquer les gens." Plusieurs fois, au cours de l'interview, sa voix se crispe. "On vient de perdre un patient… C'est dur pour l'équipe."

Faut-il imposer clairement aux praticiens de proposer ces directives ? Et à quel moment ? "Avant d'entrer dans l'unité de soins palliatifs, c'est trop tôt, car les patients gardent espoir, raconte une aide-soignante. Une fois en soins palliatifs, les malades veulent penser à autre chose : profiter de leurs proches, grappiller quelques moments de bonheur et rester autonomes le plus longtemps possible." Résultat, seules deux ou trois directives sont rédigées chaque année dans cette clinique, qui accueille une centaine de personnes par an, en majorité des cas de cancers incurables.

"L'obstination déraisonnable" reste floue

C'est l'une des dispositions phare de la loi Leonetti. Refuser l'acharnement thérapeutique, ce que certains professionnels ont appelé le "laisser-mourir". Mais la loi ne semble pas avoir suffisamment clarifié les choses. "Poser une sonde gastrique à un patient en stade terminal, est-ce de l'acharnement ? s'interroge Michèle Righi. L'hydrater pour qu'il n'ait pas la sensation de soif, est-ce de l'acharnement ? Personnellement, je ne veux pas prendre le risque que le patient éprouve cette sensation insupportable."

Dans la salle des accompagnateurs bénévoles de la clinique Saint-Roch (Pas-de-Calais), qui rendent visite aux patients hospitalisés en soins palliatifs. (ARIANE NICOLAS / FTVI)

Ce point aveugle de la loi est d'ailleurs une des améliorations proposées par Jean Leonetti lui-même. "Dans des cas dramatiques, dit-il à La Croixil faut prévoir une sédation terminale [qui plonge artificiellement le malade dans un état inconscient]. C’est vrai, c'est à la limite de l’euthanasie, mais cela se justifie car il n’est pas question de laisser la personne mourir à petit feu durant une ou deux semaines après l’arrêt des traitements."

Dans d'autres cas de figure, c'est le rôle de l'entourage qui se révèle déterminant. "Il arrive que la famille ne soit pas encore prête à dire au revoir au malade, raconte la psychologue Sandrine Martinig. Alors, parfois, le médecin remet un peu d'oxygène ou fait une perfusion." Le délai de la mort est alors repoussé de quelques heures, sans que la volonté du patient soit forcément respectée. 

L'euthanasie, une demande très minoritaire

Le président de la clinique Saint-Roch, Joël Cliche, résume la situation : "Le problème de la loi Leonetti, c'est qu'elle n'est pas appliquée." Selon lui, la prise en compte de la douleur devrait être plus systématique. "Il faudrait que les soins palliatifs soient intégrés aux autres spécialités. Quand ils arrivent chez nous, certains patients n'ont pas de traitement de la douleur adapté et souffrent gravement." Deux jours sont parfois nécessaires en soins palliatifs pour que leur souffrance soit apaisée.

Quant à l'euthanasie, que la loi Leonetti a écartée, est-ce une requête fréquente ? En quinze ans, il n'y a "pas eu plus de deux ou trois demandes", assure une infirmière, qui "n'arrive même pas à (s')imaginer euthanasier un patient". Pour Joël Cliche, l'euthanasie est même "un faux problème. Les gens nous disent 'Arrêtez tout' parce qu'ils ont mal. Pas parce qu'ils veulent mourir."

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