Témoignages Aide à mourir : "C'est peut-être l'acte qui provoque le plus d'émotion chez le médecin", confie un praticien qui réalise des euthanasies en Belgique

Article rédigé par Willy Moreau
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Un médecin prépare une seringue avec un barbiturique utilisé dans la pratique de l'euthanasie, dans un hôpital en Belgique, le 1er février 2024. Photo d'illustration (SIMON WOHLFAHRT / AFP)
Faut-il ou pas légaliser l'aide active à mourir ? La question arrive devant l'Assemblée nationale. Franceinfo a voulu entendre des soignants qui pratiquent des euthanasies en Belgique, où l'acte est légal depuis plus de 20 ans.

Le projet de loi du gouvernement sur l'aide active à mourir arrive, mercredi 15 mai, devant l'Assemblée nationale. Ce projet instaure - sous conditions - une forme de suicide assisté avec exception d'euthanasie. 

À Bruxelles, notre reporter s'est rendu dans le quartier huppé d'Ixelles, au sous-sol d'un immeuble en travaux : c'est là que se trouve le cabinet d'Yves de Locht. Entre deux consultations, ce médecin généraliste reçoit des patients pour des entretiens "fin de vie". Il vérifie si les critères sont remplis : ont-ils une maladie physique ou psychique incurable, qui entraîne des souffrances inapaisables ? Ces dix dernières années, Yves de Locht estime avoir euthanasié entre 80 et 100 personnes : "C'est peut-être l'acte qui provoque le plus d'émotion chez le médecin", confie-t-il.

"Après une euthanasie, je me donne une journée. Je ne pratique pas tout de suite de la médecine, je recommence le lendemain."

Yves de Locht

à franceinfo

C'est à l'hôpital, toujours accompagné d'un autre médecin, qu'il administre des barbituriques : le patient s'endort puis décède. "Ce n'est pas du tout anodin, rapporte le médecin. Donner la mort, c'est l'acte le plus grave qu'un médecin puisse pratiquer. Je n'ai aucuns regrets, depuis les nombreuses années que je fais ça, je me suis persuadé que je ne tuais pas les patients, que c'était la maladie qui était en train de les tuer et que moi, mon rôle de médecin était d'avant tout apaiser leurs souffrances, de respecter le choix du patient."

Une saturation du système et un refus des étrangers

L'année dernière, 3 400 euthanasies ont été pratiquées en Belgique. C'est environ 3% du total des décès dans le pays. Le nombre a été multiplié par 13 en deux décennies et le système belge commence à saturer. La Belgique d'ailleurs ferme de plus en plus ses portes aux étrangers.

L'année dernière, au moins 101 Français ont été euthanasiés en Belgique, non sans difficulté comme le rapporte Michèle Morret-Rauis. Oncologue à la retraite, elle pratique toujours des euthanasies,
en lien avec l'association pour le droit de mourir dans la dignité : "Par exemple, le service que je dirigeais avant d'être retraitée acceptait les Français, qui venaient du coup en soins palliatifs. Mais le nombre de lits est très limité en soins palliatifs, les places sont chères. Donc le chef de service qui est arrivé après moi a eu une autre conception : 'On ne va prendre toute la misère du monde, les Français n'ont qu'à se débrouiller, ils n'ont qu'à voter convenablement !'" Les demandes d'étrangers se rajoutent donc à celles, de plus en plus nombreuses, des Belges.

Des débats sur l'euthanasie des mineurs, jeunes médecins réticents...

La grande majorité sont des personnes de plus de 70 ans et atteintes d'un cancer. Mais depuis 2014, l'euthanasie est ouverte aux mineurs. Cinq mineurs ont été euthanasiés en 10 ans. Sur place, à ce sujet, les débats sont vifs, beaucoup de médecins font valoir leur clause de conscience. Et globalement, les jeunes soignants sont plus réticents à pratiquer des euthanasies, remarque Michèle Morret-Rauis : "Il y a eu ces derniers temps des menaces de mort, des gens qui ont déposé plainte pour 'assassinat'... Tout cela prend énormément de temps", regrette-t-elle. Entre le manque de temps et les trop fortes responsabilités, la crainte, pour elle et pour Yves de Locht, est d'arriver à un moment où il n'y aura plus assez médecins pour faire face aux demandes.

Voir la France se saisir de la question ne les rassure pas pour autant. En tout cas, ces praticiens suivent avec beaucoup d'attention les débats. D'ailleurs, un point les genait particulièrement dans le projet initial du gouvernement : la notion de pronostic vital engagé à court ou moyen terme. Elle a finalement été modifiée en commission spéciale par "affection en phase avancée ou terminale", ce qui permettrait d'élargir l'éventail de personnes éligibles à cette aide à mourir. Y aura-t-il moins de demandes françaises si le texte est adopté ? C'est leur souhait.

La France voudrait légaliser le suicide assisté avec "exception d'euthanasie", autrement dit, c'est au patient de s'administrer lui-même la substance létale. Michèle Morret-Rauis met en garde, elle espère que les patients bénéficieront d'injections et non de solutions à boire.

"S'ils n'avalent pas assez vite au milieu de la bouteille, ils s'endorment, décrit-elle, et après, ils se réveillent. Il faut donc qu'un médecin soit là pour leur injecter quelque chose, parce qu'il peut y avoir des ratés."

Michèle Morret-Rauis

à franceinfo

Le texte français prévoit la présence d'un professionnel de santé mais elle n'empêchera peut-être certaines controverses comme en Belgique. Encore récemment, fin d'année dernière, l'euthanasie d'une trentenaire n'a pas fonctionné. Elle aurait finalement été étouffée à l'aide d'un coussin. Une enquête est en cours.

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