Les lycéens de première commencent à passer les "E3C" : cinq questions sur ces nouvelles épreuves du baccalauréat menacées de boycott
Dès lundi, les élèves de première se frottent aux nouvelles épreuves de contrôle continu. Mais certains enseignants envisagent de faire une grève de la surveillance, de ne pas corriger les copies ou de ne pas transmettre les notes.
Ils auront deux heures. Enfin, normalement. Les lycéens en classe de première ne sont pas certains de pouvoir aller au bout des épreuves de contrôle continu du nouveau baccalauréat qui débutent, lundi 20 janvier, dans de nombreux établissements. Plusieurs syndicats d'enseignants dénoncent en effet une réforme mal préparée et appellent au boycott. Franceinfo vous explique de quoi il s'agit et pourquoi cette nouvelle formule fait grincer des dents.
1En quoi consistent les nouvelles épreuves ?
Elles s'appellent "E3C". Ces épreuves communes de contrôle continu débutent lundi pour les classes de première. Au programme : histoire-géographie et langues vivantes pour la filière générale, et mathématiques pour la voie technologique. Issus de la réforme du baccalauréat, ces nouveaux examens durent entre une heure et demie et deux heures, selon les disciplines. Ils doivent s'étaler sur un mois et demi en fonction des lycées. Pour favoriser l'égalité entre les candidats et les établissements scolaires, les professeurs doivent piocher dans une "banque nationale numérique de sujets". Les copies, anonymes, sont corrigées par d'autres professeurs que ceux de l'élève.
Dans la nouvelle formule du baccalauréat, les notes obtenues durant les années de première et de terminale comptent à hauteur de 10% dans la note finale. Les épreuves de contrôle continu représentent, elles, 30% du résultat définitif.
En revanche, comme dans l'ancien système, les élèves passent le bac de français écrit et oral en fin d'année de première. En classe de terminale, le lycéen présente quatre épreuves finales : deux épreuves écrites sur les spécialités, une épreuve écrite de philosophie et un grand oral de 20 minutes consacré à la présentation d'un projet préparé en première et terminale, peut-on lire sur le site du ministère de l'Education nationale.
2Pourquoi le déroulement des épreuves pourrait-il être affecté ?
Depuis le retour des vacances de Noël, motions et pétitions en tous genres circulent dans les salles des professeurs. Les syndicats dénoncent une réforme du bac mal préparée. Douze d'entre eux (soit la quasi-totalité des organisations) ont officiellement demandé, vendredi 17 janvier, au ministre de l'Education nationale de "renoncer" à cette première session.
Des enseignants remettent d'abord en cause les bienfaits pédagogiques de la nouvelle formule. "Elles instaurent une pression permanente sur les élèves, les mettant dans une posture d'évaluation permanente. Cela nous empêche de travailler le fond et de les faire progresser, en travaillant avec eux sur leurs difficultés", estime Sophie Vénétitay dans une tribune publiée dans les colonnes du HuffPost. Selon la FCPE, les "E3C" sont des "épreuves hybrides entre contrôle continu et examen, qui renforcent le stress des élèves comme le bachotage, qui n'a pas de plus-value pédagogique". L'intersyndicale, qui a demandé le report des épreuves, estime aussi que "les sujets proposés par la banque nationale de sujets ne correspondent pas, dans de nombreux cas, aux savoirs étudiés avec les élèves".
Les limites pédagogiques ne sont pas les seuls griefs. Le fait que les copies soient désormais dématérialisées, c'est-à-dire scannées et numérisées, pose aussi quelques problèmes. "Cette numérisation à grande échelle est compliquée à organiser. Et on se demande si, quand les lycées vont tous être connectés, les serveurs supporteront cette charge", s'agace Philippe Vincent, le secrétaire général du SNPDEN (syndicat des chefs d'établissements) dans 20 minutes.
Dans un communiqué publié jeudi, l'Association des professeurs d'histoire et de géographie (APHG) s'inquiète aussi des informations lui parvenant sur le matériel de numérisation des copies. "Selon de très nombreuses sources émanant de plusieurs académies différentes, il semblerait que les scanners dont ont été équipés les établissements ne reconnaissent pas correctement les couleurs et très insuffisamment les crayons. Cela risque d'obliger les élèves à écrire uniquement au stylo noir, y compris pour les épreuves de cartographie, alors qu'ils y auront été préparés sans cette contrainte de dernière minute", peut-on notamment lire.
3Comment les enseignants envisagent-ils de perturber les épreuves ?
Grève de surveillance, refus de corriger les copies ou de transmettre les notes... Pour se faire entendre, les opposants envisagent les mêmes modes d'action qu'au moment des corrections du baccalauréat en juin 2019. Samedi matin, le proviseur du lycée Blaise-Pascal à Clermont-Ferrand (Puy-de-Dôme) a préféré annuler les épreuves après que des manifestants se sont introduits dans l'établissement.
Mais la liste des lycées touchés pourrait s'allonger. "Sur notre secteur, les 50 profs d'histoire-géo se sont mis en réseau pour ne pas faire remonter les sujets des épreuves qu'on devait sélectionner et nous ne ferons pas passer ce contrôle continu. On entre dans le dur", assure à l'AFP Jimmy, professeur d'histoire-géographie dans un lycée en banlieue parisienne. Même un établissement comme le prestigieux lycée Louis-Le-Grand à Paris est concerné. "Nous sommes au minimum 13% en grève reconductible depuis jeudi dernier, contre la réforme des retraites et pour la suppression des épreuves de contrôle continu, ce qui est assez historique pour un établissement comme le nôtre", lance un professeur qui souhaite garder l'anonymat.
Non loin de là, au non moins réputé lycée Henri-IV, "une vingtaine de profs" sont en grève reconductible depuis le 14 janvier contre la réforme des retraites. "Mais de fait, nous ne serons pas présents pour la tenue des épreuves de contrôle continu" cette semaine, explique un professeur.
4Qu'en pensent les parents d'élèves ?
La principale fédération FCPE demande elle aussi "un ajournement des épreuves, en raison de cette impréparation". Pour Philippe Vincent, à la tête du SNPDEN (premier syndicat de proviseurs), "la seule incertitude qui existe encore, c'est la capacité du système à absorber plus de trois millions de copies et 10 000 correcteurs dans un temps relativement restreint", craint-il.
Et pour les premiers concernés, les élèves, c'est un peu l'inconnu. "Pour l'épreuve d'histoire-géographie, que je vais passer le 3 février, on ne nous a absolument pas dit en quoi ça consistait, on nous dit juste d'apprendre tout en nous expliquant que le professeur va peut-être boycotter l'épreuve. Forcément, ça nous stresse", témoigne à l'AFP Morgane, élève de première dans l'académie de Versailles. "Tout est extrêmement flou... J'aurais vraiment préféré passer l'ancien bac, ça aurait été plus simple et moins angoissant", ajoute-t-elle.
5Quelle est la réaction du ministre de l'Education nationale ?
Sur RTL, jeudi, Jean-Michel Blanquer se voulait rassurant. Il estimait que ces actions étaient le fait d'une "petite minorité". "Dans la grande majorité des établissements, les choses se présentent très bien", affirmait-il. "Tout est prêt pour que cela fonctionne", avait-il d'ailleurs déjà lancé deux jours plus tôt devant l'Assemblée nationale.
Mais l'annulation des épreuves au lycée Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand semble avoir changé la donne. Invité de "Questions politiques" sur France Inter et franceinfo, dimanche, le ministre a annoncé qu'il y aurait des "poursuites pour ceux" qui ont provoqué l'annulation.
Samedi matin, les élèves sont arrivés pour composer. Il y avait leurs professeurs, il y avait tout ce qu'il fallait. Des éléments extérieurs sont venus, ont pratiqué de la violence puisque c'est de l'intrusion.
Jean-Michel Blanquer, ministre de l'Education nationalesur France Inter et franceinfo
Le ministre a précisé que le lycée Blaise-Pascal était le seul établissement scolaire où "ça s'est mal passé" et "c'est un scandale". Selon Jean-Michel Blanquer, "dans cette intrusion, il n'y avait pas que des gens de l'Education nationale. Il y avait des 'gilets jaunes', il y avait toutes sortes de personnes, puis l'extrême gauche qui aujourd'hui veut à tout prix créer de l'affrontement", a-t-il affirmé. En attendant, dans les lycées où les professeurs ont refusé de choisir les sujets, il a été demandé aux inspecteurs régionaux de le faire à leur place.
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