L’association SOS Éducation épinglée par la Cour des comptes
Utilisation contestable des dons, opacité de fonctionnement : dans un rapport révélé par la cellule investigation de Radio France, la Cour des comptes critique sévèrement le fonctionnement de l’association SOS Éducation.
"Le système mis en place d’appel aux dons s’auto-alimente." Pour les magistrats financiers de la Cour des comptes qui ont épluché l’activité de l’association de 2013 à 2018, le constat est assez accablant : "Les dépenses engagées par l’association [SOS Éducation] n’ont pas été conformes aux objectifs poursuivis par l’appel public à la générosité." Créée en 2001, SOS Éducation se présente comme "une association militante qui rassemble 50 000 parents d’élèves et professeurs œuvrant en toute indépendance pour que l’école transmette à chaque élève les savoirs fondamentaux et le goût de l’excellence". Elle ne se dit "ni confessionnelle, ni partisane" et "totalement transparente sur son financement".
Son crédo : appeler aux dons grâce à des envois massifs de courriers en alertant sur les défaillances de l’Éducation nationale "avec un discours très catastrophiste, sur le thème : l’école va mourir, explique le journaliste Emmanuel Davidenkoff qui a enquêté sur le sujet en 2003. Les solutions proposées son ultra-libérales avec l’idée que l’État ne fait pas correctement son travail et qu’il manipule les enfants." Retour en quatre points sur les principales critiques du rapport de la Cour des comptes, publié jeudi 29 novembre 2020, auquel la Cellule investigation de Radio France a pu avoir accès.
Une gestion défaillante
"SOS Éducation ne s’est pas dotée d’instruments budgétaires, ni de dispositifs de contrôle" dans la gestion de l’association, constate la Cour des comptes. Nombreux retraits en espèces sans justificatifs, dépenses étrangères aux missions sociales affichées par l’association (restaurants, spectacles, taxi, chauffeur privé), prestataires jamais mis en concurrence… Les magistrats financiers constatent "des défaillances dans l’engagement des dépenses" avec une "gestion des frais" qui "se limite à une validation des factures". "Les rares informations diffusées dans les rapports d’activité ne permettent pas aux donateurs de connaître précisément l’emploi qui est fait de leurs dons", estiment les magistrats financiers.
Pour la Cour des comptes, "SOS Éducation a été entraînée dans la campagne de l’élection présidentielle de 2017 [en appelant à soutenir le candidat François Fillon dans la primaire de la droite] avec l’aval du conseil d’administration". Un soutien au candidat Fillon évalué à 90 000 euros. SOS Éducation a également "fait la promotion des livres édités par la maison d’édition de son propre secrétaire général". Par ailleurs, les conditions d’attribution de différentes bourses accordées à certaines personnes ou fondations proches de l’association (pour un montant de 283 800 euros) semblent "insuffisamment rigoureuses et transparentes" aux yeux des magistrats financiers.
Lingots et pièces d'or
Même si les dons ont diminué au fil des ans (trois millions d’euros en 2008, 710 000 euros en 2018), l’association bénéficie encore de dons importants. Depuis 2014, elle affiche des résultats déficitaires, constate la Cour des comptes, tout en conservant d’importantes réserves financières, supérieures à trois millions d’euros.
Les magistrats financiers ont notamment découvert l’existence de 230 000 euros de lingots et de pièces d’or achetés par l’association après la crise financière de 2008. Un coffre a été loué dans une agence bancaire pour conserver ce magot. Mais l’association a été incapable de préciser aux magistrats où se trouvaient 90 000 euros d’or absents du coffre. Si le nombre d'employés a diminué au sein de l’association (passant de douze à six), en revanche la masse salariale a augmenté. Certains permanents ont ainsi "bénéficié de mesures salariales très favorables" avec parfois des heures supplémentaires qui correspondent à "plus de 15 % du salaire brut annuel" constituant "des augmentations de salaires déguisées", estime le rapport.
La superficie du local loué par SOS Éducation (233 m² dans un immeuble du VIe arrondissement de Paris) "est manifestement trop vaste", relèvent encore les magistrats financiers qui notent que des bureaux ont été sous-loués "à une association créée par l’épouse du premier délégué général de l’association [Vincent Laarman]". La Cour des comptes constate également qu’après les charges locatives, les honoraires (qui ont plus que triplé) versés à de multiples cabinets d’avocats ces dernières années représentent "le deuxième poste de charges de fonctionnement hors salaires de l’association".
Objectif : récolter des dons, pas exploiter des référendums sur l’école
La Cour des comptes considère que l’association minimise ses frais officiels d’appel public à la générosité (15 %) et surestime ses dépenses de missions sociales (85 %). Pour les magistrats financiers, les frais d’appel à la générosité représentent en réalité "plus de la moitié du total des ressources collectées" entre 2013 et 2018, si l’on inclut les publipostages. Le rapport écorne l’image que s’est construite SOS Éducation autour de ses publipostages baptisés "référendum national sur l’école" comportant systématiquement des appels aux dons.
"La Cour a constaté que, en dehors de l’encaissement des dons, l’association ne donnait que très peu de suite opérationnelle à ses publipostages, peut-on lire dans le rapport. Ainsi sur les 114 publipostages envoyés sur la période contrôlée, 60 proposaient à la signature de leurs destinataires un ‘référendum national’ appelant à réformer l’école, mais aucun n’a fait l’objet d’une exploitation de quelque nature qu’elle soit." Dans ces conditions, le rapport ne "peut que constater que l’appel au don est, non pas l’objectif secondaire du publipostage, mais bien son objectif principal, sinon unique".
Constat presque similaire concernant l’exploitation des pétitions destinées officiellement aux plus hautes autorités de l’État. Le bilan est plutôt maigre : "Sur les 28 pétitions que comportaient les publipostages, seules sept ont été adressées par l’association à leurs destinataires annoncés", note le rapport.
Les destinataires des publipostages "sont explicitement appelés à effectuer un don non pas tant pour réaliser une action susceptible d’améliorer le système éducatif que pour couvrir les frais d’envoi du même publipostage à des destinataires supplémentaires", estiment les magistrats financiers pour qui "par ce biais est mis en œuvre un système d’alimentation permanente des ressources de l’association".
Hors la loi vis-à-vis du fisc
Autre constat effectué par la Cour des comptes : l’association (qui n’a jamais effectué de déclaration préalable d’appel public à la générosité auprès de la préfecture de Paris) s’est placée en dehors des clous vis-à-vis du fisc. En effet, elle délivre un reçu fiscal à ses donateurs pour qu’ils bénéficient d’une déduction d’impôt de 66 %... contre l’avis du fisc qui considère depuis 2007 qu’elle n’en a plus le droit. Résultat : l’État lui réclame la somme d’1,5 million d’euros, ce que conteste SOS Éducation.
Les impôts réclament également le paiement de la TVA sur "la vente de livres édités par SOS Éducation, la location de fichiers et la mise à disposition du personnel et la sous-location de locaux à une association fondée par l’épouse du premier délégué général de SOS Éducation [Vincent Laarman]" ainsi qu’une amende de 4 500 euros pour "défaut de déclaration d’un compte PayPal ouvert en Suisse".
Le 18 mars 2010, le ministre de l’Éducation nationale a confirmé par écrit la position de l’administration fiscale à SOS Éducation qui continue malgré tout à délivrer des reçus fiscaux, sans demander une nouvelle autorisation (un rescrit fiscal) aux impôts. "Ce faisant, l’association s’est mise en situation de risque", constate la Cour des comptes pour qui ses dirigeants "ont potentiellement compromis la pérennité de l’association trompant de ce fait la confiance des donateurs qui en assurent la quasi-totalité des ressources".
Une organisation sous contrôle
La Cour des comptes s’interroge aussi sur un système de fonctionnement interne assez verrouillé. SOS Éducation se caractérise par "une gouvernance restreinte à un petit nombre de personnes". Seuls les "membres participants" (entre trois et sept personnes) qui versent une cotisation annuelle sont convoqués aux assemblées générales et peuvent donc siéger au conseil d’administration et au bureau de l’association.
L’utilisation "à grande échelle" de fichiers, loués ou échangés, avec "de nombreux intermédiaires" interpelle encore la Cour des comptes. SOS Éducation a ainsi loué "environ trois millions d’adresses" à des sociétés de courtage d’adresse (cinq s’entre elles représentent le tiers des locations), entre 2013 et 2018, tout en louant son propre fichier de donateurs à d’autres structures. "L’association détient des fichiers nominatifs comprenant des données personnelles telles que des données d’état civil, la profession ou la présence d’enfants (…) dans trois bases de données personnelles distinctes, note le rapport. Le principal fichier détenu par l’association compte près de 600 000 adresses", relèvent encore les magistrats financiers.
Or, la confidentialité de données traitées par l’association interroge la Cour des comptes. "L’encaissement des dons et l’émission de reçus fiscaux par SOS Éducation sont peu sécurisés", estime le rapport : le logiciel de traitement des dons "ne donne pas toutes les garanties de sécurité". La CNIL (Commission nationale informatique et libertés) a lancé un contrôle sur la protection des données personnelles.
Le rapport de la Cour des comptes constate enfin "l’existence de relations privilégiées [avec] un groupe assez restreint [d’]entreprises partenaires". Ainsi, la plupart des prestataires "historiques" de l’association sont liés "de façon directe ou indirecte au premier délégué général de SOS Éducation [Vincent Laarman] qui conservait encore en 2017 avec l’association des liens étroits". "L’absence de mécanisme de prévention des conflits d’intérêts est préoccupante", conclut le rapport.
Contactée, SOS Éducation et Vincent Laarman n’ont pas souhaité répondre à la cellule investigation de Radio France. Dans un long message posté sur le site de l’association, le président de SOS Éducation Sylvain Marbach estime que les activités de SOS Éducation sont "légitimes et justifiées par ses missions sociales."
[A la suite de la publication de cet article, l’association SOS Éducation souhaite apporter les précisions suivantes :
Selon l’association, l’article comprend des inexactitudes.
En premier lieu, l’utilisation des dons reçus par l’association n’a rien de "contestable” puisque tous sont utilisés pour la réalisation des missions sociales de l’association et en parfaite conformité avec son objet social. Son fonctionnement est donc parfaitement clair, et conforme aux statuts.
L’association précise que les comptes annuels de l’association sont établis par une comptable, audités chaque année par un cabinet d’expertise comptable puis certifiés par un commissaire aux comptes. La Direction nationale des enquêtes fiscales, qui a mené un contrôle très approfondi sur la même période que celui réalisé par la Cour des comptes, a conclu que la comptabilité de l’association était probante et sa gestion désintéressée.
En réalité, ce que montre le rapport de la Cour des comptes, dont l’article juxtapose des extraits choisis, c’est que celle-ci n’est pas parvenue à appréhender la spécificité des associations dites “de plaidoyer” comme SOS Éducation : ces associations ont pour objet de mener de manière indépendante et désintéressée des actions de sensibilisation, de communication et de mobilisation du grand public afin de contribuer au débat démocratique sur une cause déterminée. Ainsi, les moyens utilisés par SOS Éducation ont toujours servi son objet consistant à mobiliser les citoyens pour l’amélioration du système éducatif.
Contrairement à ce qu’affirme l’article il n’existe pas à SOS Éducation de “système d’appel aux dons (qui) s’auto-alimente”, puisque les actions de sensibilisation du grand public sont structurellement déficitaires (ce que les chiffres démontrent de manière incontestable). L’appel au don présent dans certaines communications de l’association vise simplement à rappeler que celle-ci ne reçoit aucune subvention et que les dons privés sont l’unique moyen pour financer ses nombreuses actions répondant à sa vocation.
En conséquence, l’association conteste les propos selon lesquels les dépenses qu’elle aurait engagées ne seraient pas conformes aux objectifs poursuivis par l’appel à la générosité. Les courriers adressés par l’association ont toujours été parfaitement clairs, la vision de l’éducation qui y était développée dépourvue de toute ambiguïté, et les actions engagées ont toutes concouru à servir cette vision.
Selon SOS Éducation elle n’est ni partisane, ni “ultra-libérale", ni ne tient un propos de nature idéologique.
L’association tient à préciser qu’elle n’a pas non plus le discours catastrophiste relevé dans l’article. Elle affirme simplement que l’Ecole de la République va mal (ce que montrent les enquêtes internationales PISA, TIMSS & PIRLS, TALIS…) que la transmission des savoirs y est devenue difficile et aléatoire, et qu’il est urgent de trouver des solutions.
SOS Éducation a le plus strict respect de la réglementation relative aux données personnelles et ne détient aucun fichier comprenant des données légalement ou déontologiquement prohibées. Par ailleurs, SOS Éducation dispose depuis le 30 mai 2002 d’une autorisation à émettre des reçus fiscaux pour les dons qu’elle perçoit.
Jusqu’en juin 2020, l’association n’avait jamais reçu de décision contraire, formelle et opposable de la part de l’administration fiscale. Elle conteste donc vivement l’amende que l’administration fiscale lui réclame.
Selon SOS Éducation elle choisit les prestataires avec lesquels elle traite sur la seule base de leurs compétences et de leur compétitivité. Enfin, elle estime qu’il est gravement inexact d’écrire que l’association aurait été ”incapable de préciser aux magistrats ou se trouvaient 90 000 euros d’or absents du coffre”. Elle précise qu’elle a remis à la Cour de comptes chaque titre d’achat d’or, ainsi que l’inventaire du coffre réalisé par le commissaire aux comptes, attestant que la totalité de l’or acquis s’y trouve bel et bien.
Le lecteur pourra utilement se reporter sur le site de l’association où apparaît la réponse de son président au rapport de la Cour des Comptes.]
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.