La "ségrégation" au collège et au lycée en trois infographies
Le gouvernement a annoncé sa volonté de "favoriser la mixité sociale" au sein de l'école. Le chemin sera long, à en croire une nouvelle étude, qui pointe la "ségrégation" au sein de l'enseignement secondaire français. Etat des lieux.
Le gouvernement en a fait l'une de ses priorités, dans la foulée des attentats de janvier : "combattre les inégalités et favoriser la mixité sociale" au sein de l'école "pour renforcer le sentiment d'appartenance" des élèves à la République. Un vaste chantier en perspective pour la ministre Najat Vallaud-Belkacem, car collégiens et lycéens étudient dans des environnements bien différents "en fonction de [leur] origine sociale ou [de leur] niveau scolaire". C'est ce que confirme une étude réalisée pour le Conseil national d'évaluation du système scolaire (Cnesco), dévoilée jeudi 28 mai.
"Ces différences sont susceptibles d'aggraver les inégalités scolaires, estiment les auteurs, Son Thierry Ly et Arnaud Riegert. Cet 'entre-soi' est un obstacle à l'apprentissage de la citoyenneté et du vivre-ensemble." Francetv info vous détaille les résultats et les conclusions de leur étude.
La mixité sociale existe-t-elle sur les bancs de l'école ?
Pour mesurer la mixité au sein de l'enseignement secondaire, les auteurs ont calculé un indice de "ségrégation sociale"*, fondé sur la proportion d'élèves issus de catégories socioprofessionnelles supérieures (CSP+) dans les classes et les établissements. Le résultat est sans appel : "En France, les collégiens et lycéens d'origine aisée comptent en moyenne dans leur classe deux fois plus de camarades également d'origine aisée que les élèves des classes moyennes et populaires."
Prenons le cas d'un collège moyen, avec 110 élèves par niveau. Selon les statistiques officielles de l'Education nationale, l'établissement devrait normalement compter 24 élèves CSP+ si la mixité était respectée. Sauf que les collégiens CSP+ comptent en moyenne 38 camarades d'origine aisée dans leur établissement, contre seulement 20 pour les élèves venus de milieux plus défavorisés.
Quels sont les départements où la "ségrégation" est la plus forte ?
La situation n'est pas la même partout en France. Dans les zones rurales, comme la Lozère ou l'Ariège, la ségrégation sociale est quasiment inexistante. Dans ces départements, explique l'étude, les collèges accueillent des élèves venus de plusieurs kilomètres à la ronde, donc issus d'origines différentes, ce qui facilite la mixité sociale.
La situation est inverse dans les zones urbaines, comme la capitale, en tête du classement des départements où la ségrégation sociale est la plus forte. Là, les collèges, plus nombreux, recrutent dans un rayon nettement plus restreint, ce qui réduit les chances d'attirer des élèves d'origines diverses. En plus, une "concurrence" s'installe entre les établissements, expliquent les auteurs : certains sont "souhaités" par les élèves et leurs familles, d'autres "évités", ce qui renforce les disparités.
Sur cette carte est représentée l'indice de ségrégation sociale entre les établissements en classe de 3e. Plus un département est foncé, plus la ségrégation mesurée est importante.
Les "bons élèves" étudient-ils entre eux ?
Les auteurs ont également calculé un indice de "ségrégation scolaire"*, fondé sur la proportion de "bons élèves". Là encore, le résultat est net : "Les meilleurs élèves comptent en moyenne deux fois plus de camarades d'un niveau équivalent au leur que les autres élèves." Cette forme de ségrégation s'accentue au lycée, notamment en raison de l'apparition des filières, affirme l'étude : "Les élèves fréquentent des lycées différents selon qu'ils choisissent la voie générale, technologique ou professionnelle – à l'exception des 20 % de lycées polyvalents."
Au sein même des établissements, les disparités sont parfois importantes entre les classes. En 3e, "45% des collèges pratiquent une ségrégation scolaire active", explique le Cnesco. Concrètement, cela veut dire que des "classes de niveau" existent au sein des établissements, qui peuvent s'expliquer en partie par les options choisies par les collégiens.
La part des "bons élèves" est, par exemple, nettement plus importante chez les collégiens en parcours bilangues (36%), possibilité offerte jusqu'ici à partir de la classe de 6e, que chez leurs camarades du même niveau (19%), représentés ici en bleu sur cet histogramme. L'écart est encore plus grand entre les latinistes (43%) et la moyenne des camarades de 5e, année à partir de laquelle cette option est proposée, en vert sur le graphique. Ces deux parcours sont d'ailleurs des points centraux de la polémique sur la réforme du collège.
Comment réduire ces disparités ?
Est-il possible de favoriser la mixité sociale et scolaire au sein des établissements ? En France, des "actions volontaristes" existent, assure le Cnesco. L'organisme cite le cas du collège Claude-Le-Lorrain, à Nancy (Meurthe-et-Moselle), qui accueille une majorité d'élèves "issue de milieux défavorisés", mais "se mobilise pour (...) garder les élèves les plus favorisés" du quartier. Des rencontres avec des étudiants de grandes écoles sont, par exemple, organisées ; un groupe de théâtre et un orchestre permettent de réunir "des élèves brillants et d'autres en grande difficulté scolaire".
Le Cnesco liste d'autres initiatives à l'étranger, comme aux Etats-Unis, où des collectivités ont expérimenté le "busing", en transférant des élèves normalement destinés à une école très ségréguée vers un établissement plus mixte. Egalement évoqué, l'exemple de Cambridge (Massachusetts), où le choix de l'école par les parents est encadré pour assurer la mixité sociale. Ou encore la ville de Milwaukee (Wisconsin), où une loterie est organisée pour permettre aux élèves défavorisés d'intégrer une école privée. Des initiatives aux résultats variables.
*Méthodologie : la ségrégation sociale correspond à la différence entre la proportion d'élèves CSP+ dans l’environnement d’un élève lui-même CSP+ et celle d’un élève moins favorisé. La ségrégation scolaire correspond à la différence entre la proportion de "bons élèves" dans l’environnement d’un élève lui-même dans cette catégorie et dans celle d’un élève dont les résultats scolaires sont moins bons. Pour classer les élèves, ce sont les résultats au brevet dans la filière générale qui ont été retenus.
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