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L'école française est-elle nulle ?

Article rédigé par Camille Caldini - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Selon une enquête de l'Insee datée du mois de février, les Français sont moins instruits que la moyenne des Européens. (CHRISTOPHER ROBBINS / IMAGE SOURCE)

Dégringolade au classement PISA, grève des instits et des profs de classe prépa... Le malaise est palpable autour de l'éducation en France. Pour l'analyser, francetv info a interrogé Peter Gumbel, journaliste britannique, auteur de deux livres sur l'école française. 

Semaine agitée pour l'école : la France a dégringolé au classement PISA, les professeurs des écoles se sont à nouveau mis en grève contre la réforme des rythmes scolaires et les professeurs de classes préparatoires ont fait entendre leur colère contre le projet du ministre de l'Education Vincent Peillon, qui consiste à augmenter leur temps de présence en classe et diminuer leur volume d'heures supplémentaires. 

Pour comprendre pourquoi l'école française est en plein malaise, francetv info a questionné Peter Gumbel, journaliste anglais en poste à Paris, auteur de On achève bien les écoliers (Grasset, 2010) et de Elite Academy : Enquête sur la France malade de ses grandes écoles (Denoël, 2013).

Francetv info :  Du primaire à l'enseignement supérieur, on dirait que rien ne va plus à l’école française... D'où vient ce malaise ?

Peter Gumbel : La France souffre de ses ridicules querelles de chapelle autour de l’éducation. Il n’y a pas de consensus politique. Quand le gouvernement change, il détricote ce qu’a fait le précédent. Les rythmes scolaires en sont l’illustration criante. La semaine de quatre jours n’a duré que quelques années. Il faut aussi mesurer le poids de la centralisation. Ici, les profs dépendent du ministère et des académies, mais pas des écoles elles-mêmes, qui sont pourtant les plus à même d’évaluer les besoins de leurs élèves. L’Education nationale chapeaute tout le système et répartit mal ses moyens. Du coup, beaucoup de choses fonctionnent mal : le contenu des programmes, la culture de la salle de classe, l’absence de communauté autour de l’école, la formation des professeurs… 

Avec quelles conséquences pour les établissements scolaires ?

Il y a beaucoup de structures, d’intermédiaires, ce qui empêche l'argent de descendre jusqu’à l’école. Tout ce système complexe, qui repose sur une bureaucratie lourde, coûte cher. Par conséquent, les enseignants français sont très mal payés par rapport aux autres pays de l’OCDE. A son entrée dans le métier un instituteur français gagne 12% de moins que la moyenne européenne et les salaires français ont baissé de 9% entre 2000 et 2011, alors qu’ils ont augmenté de 21% dans les pays voisins. Les profs de prépas font grève en ce moment pour cette raison. On veut augmenter leur nombre d’heures et les payer moins.

Il n'y a donc pas de problème de moyens, comme l'assurent les syndicats ?

Pas du tout ! Les moyens attribués à l'Education nationale sont importants : ils représentent 7% du PIB. Mais il y a clairement un problème de dépense de ces moyens. Regardez les zones d’éducation prioritaires (ZEP). Elles sont très coûteuses et pas très performantes. On y décroche de plus en plus. Cela ne veut pas dire qu’il faut les supprimer, au contraire. C’est juste le moment de se demander si on dépense bien ou pas. A Shanghai, qui est en tête du classement PISA 2013, dans les écoles avec des élèves en grandes difficultés, on envoie les enseignants les plus expérimentés. Ici, on envoie souvent les plus jeunes, qui sont moins expérimentés, dans les ZEP. C’est absurde. Si les ZEP sont vraiment prioritaires, il faut y envoyer les meilleurs enseignants.

Justement, quel est le niveau des enseignants français ? 

Ils sont très bons, mais ils manquent d’une formation approfondie. Sur leurs matières d’abord, mais aussi sur la pédagogie et sur la façon de gérer des salles de classes de plus en plus hétérogènes. La science et la philosophie de l’éducation sont très valorisées dans certains pays, aux Etats-Unis et au Canada par exemple, bien plus qu’en France. Les universités de Stanford et d'Harvard ont des facultés d'éducation très prestigieuses alors qu'ici, l'éducation n'est pas reconnue comme une discipline académique sérieuse. A tel point qu'à la fin du quinquennat Sarkozy, la formation spécialisée des enseignants a même été supprimée. Des profs mieux formés, à qui l’on peut accorder toute confiance, seraient bien plus efficaces.

Et si l’on pousse la porte des salles de classe ?

Les programmes venus d’en haut, que les profs sont tenus de suivre, sont lourds, peu ludiques, stressants, théoriques. Il y a toujours eu un grand débat entre les partisans de l’apprentissage des connaissances et ceux qui favorisent les compétences. Ici, l’approche est très académique.

Et cette approche-là n'est pas adaptée ?

Non. Prenez par exemple l'étude du français. Aux élèves de collège, on enseigne énormément de détails sur la nature et la fonction des mots. La plupart savent identifier un COD, un COI. C’est important, certes, mais où est le plaisir de la lecture ? Pendant ce temps, en Angleterre, on joue Shakespeare, on lit. Ici, on analyse, on déconstruit les œuvres, mais on ne lit presque pas. Dans la filière ES, il serait plus efficace de s’inspirer aussi des Anglais qui apprennent à établir un business plan plutôt que de vouloir leur enseigner les théories de Marx, Keynes et les autres.

L'approche française, très académique, ne fonctionne que pour les élèves déjà performants. Or le niveau des Français est médiocre. En 2000, d'après PISA, 15% des jeunes Français avaient des difficultés. En 2013, ils sont 23%. Ils ne sont pas plus mauvais qu’avant, mais ils sont beaucoup plus nombreux à être mauvais. Et surtout, ils ont moins confiance en eux que les autres. Ils sont plus stressés. Les rapports élèves / enseignants se dégradent : les jeunes de 15 ans pensent que les profs ne sont pas à leur écoute.

L'école doit-elle être plus proche du monde réel, par exemple de l'entreprise ?

C’est ce que fait l’Allemagne, qui a mis en place un système d’apprentissage précoce. Les entreprises sont très impliquées dans la formation. Par conséquent, le chômage des jeunes est très bas. Cela fonctionne, mais est-il juste d’insister sur une sélection si précoce ? La question se pose. Personnellement, je ne vois pas l’intérêt d’une implication professionnelle plus prématurée en France. En revanche, il faudrait revaloriser ces formations, comme le bac pro, qui est vu comme un bac "poubelle" pour ceux qui ne pourraient pas passer le "vrai" bac. C’est terrible, car on a besoin de ces métiers auxquels ces formations préparent, des boulangers, des coiffeurs, des plombiers…

A quoi ressemblerait votre école idéale ?

Elle doit donner un socle de connaissances très important. Son rôle est d’emmener la plus grande majorité à un certain niveau. Dans l’école idéale, 95% des élèves devraient passer le bac. Pour y parvenir, il faut introduire le plaisir de l’apprentissage. Il faut que les élèves sachent qu’apprendre vaut vraiment la peine. C’est un cercle vertueux, qui repose sur la confiance en soi et l’autorégulation : "Plus je travaille, plus je suis satisfait de mon travail et plus j’ai envie de travailler."

L’école doit aussi apprendre le travail en équipe. Ce qui est rare en France. Il suffit de regarder la disposition des salles de classe. Dans l’école idéale, on ne voit pas de tables individuelles bien alignées. Les élèves y travaillent en groupe. C’est le cas de l’enseignement des mathématiques à Singapour. Le prof énonce le problème mais ne donne pas la méthode pour le résoudre. Par équipes, les élèves réfléchissent à la meilleure méthode pour trouver la solution. Ils expliquent ensuite aux autres le raisonnement employé pour y parvenir. Ils sont donc plus actifs et en retirent de la fierté.

Vous décrivez un esprit très collectif, proche des start-ups… Faut-il gérer l'école comme une entreprise ?

Non. Une école, ce n’est pas une entreprise. Il ne s’agit pas pour chacun de faire ce qu’il veut, mais de reposer sur une gestion plus locale et moins centralisée. Un directeur d’école est le leader d’une équipe dont tous les membres doivent travailler ensemble. Et ces équipes devraient être plus indépendantes vis-à-vis du ministère, gérer l'enseignement des programmes comme elles le souhaitent. Mais ces programmes ne doivent pas être définis par les établissements eux-mêmes. Le ministère doit garder la main sur leur élaboration.

"Cercle vertueux", "confiance en soi"... L’école doit-elle être source de bonheur ?

Je vois l’école comme un endroit où on est content d’aller, parce que c’est intéressant, stimulant. Y compris dans son système de notation. Je ne suis pas contre les notes. Mais avoir une très bonne note est trop difficile ici. Au bac, en 2011, il y a seulement 38 élèves qui ont obtenu 20 sur 20 au bac, soit 0,0058% des lycéens. En Angleterre c’est 8% ! La moyenne fixée à 10/20 implique que la moitié de l'éventail des notes sont des notes d’échec. Dans des pays avec un système à cinq notes (des lettres, accompagnées de "+" ou d’étoiles), seulement 20% des notes sont des notes d’échec. En outre, cette notation n’est pas lisible. Un 12/20 en philo ne signifie pas la même chose qu’un 12/20 en anglais. On a du mal à féliciter le travail accompli. Les notes servent à sélectionner, pas à progresser. Je critique la notion de sélection, car elle entraîne des problèmes de confiance en soi des élèves, un stress élevé, un manque de motivation. Tout cela se retrouve plus tard dans le monde du travail. 

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