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"J'ai un euro par jour pour manger" : trois étudiants témoignent de leur grande précarité

Plusieurs centaines d'étudiants ont manifesté en France mardi aux abords d'une quarantaine de Crous et d'universités contre la précarité étudiante. Certains ont raconté à franceinfo leur quotidien fragile.

Article rédigé par Guillemette Jeannot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des étudiants sont réunis devant l'université Jean Jaurès, à Toulouse, le 12 novembre 2019. (LILIAN CAZABET / HANS LUCAS)

"La précarité tue." Avec ce hashtag, des centaines d'étudiants ont réagi sur Twitter après l'immolation par le feu, vendredi, d'un de leurs camarades, devant le siège du Crous, à Lyon. Brûlé à 90% et entre la vie et la mort, cet étudiant en licence de sciences politiques voulait dénoncer la précarité dans laquelle vivent de nombreux jeunes. "Même quand j'avais 450 euros par mois, était-ce suffisant pour vivre ?", s'interrogeait le jeune homme, dans un message posté sur les réseaux sociaux pour expliquer son geste.

L'université Lyon 2, où est inscrit le jeune homme, a été de nouveau fermée pour la journée, mercredi 13 novembre, après des blocages, menés dans toute la France pour protester contre la précarité. Trois étudiants racontent leurs difficultés à franceinfo. 

Sophie*, 26 ans, une thèse et deux emplois 

"Pour tenter de vivre dignement, je cumule deux emplois", explique Sophie*, 26 ans, étudiante en histoire de l'art à Pau (Pyrénées-Atlantiques). Comme la jeune femme ne souhaitait pas qu'on lui impose un sujet de recherche, elle a dû faire l'impasse d'un contrat de doctorante, qui aurait pu lui permettre de financer une partie de ses études. Elle ne bénéficie pas non plus de bourse. En 2016, 22,7% des étudiants interrogés déclaraient auprès de l'Observatoire national de la vie étudiante (OVE), avoir été confrontés "à d'importantes difficultés financières durant l'année".

Sophie, syndiquée depuis sept ans au sein de l'organisation Solidaires étudiant-e-s, à l'origine de l'appel national à manifester devant les Crous, travaille à la bibliothèque de son université et effectue des remplacements dans un établissement d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). "Je peux faire jusqu'à 40 heures par semaine, en plus de mes travaux de recherche, mais c'est variable d’un mois à l’autre". L'étudiante dit gagner entre 900 et 1 000 euros par mois. Difficile de demander de l'aide. Entre "honte" et "dignité", les étudiants veulent être ces "jeunes adultes responsables que la société attend d'eux", analyse Sophie.

Avec 680 euros de frais fixe (loyer, électricité et téléphone), il lui reste souvent moins de 300 euros pour la nourriture, les livres et l'épargne, en prévision du second semestre. Sophie économise afin de pouvoir se consacrer pleinement à ses études à partir de janvier. "En général, les étudiants qui s'auto-financent tiennent six années", confie la jeune femme. "Moi, je ne tiendrai pas plus de quatre ans. Si j'arrête avant d'avoir rendu ma thèse, j'aurai perdu toutes ces années et développé des maladies chroniques pour rien." A cause de son rythme de vie, la jeune femme souffre de fatigue et de troubles dépressifs chroniques. Selon l'Observatoire de la vie étudiante, environ 60% des étudiants interrogés en 2016 éprouvaient de la fatigue, autant souffraient de stress quand 45% évoquaient des troubles du sommeil et 32% parlaient de déprime.

Ugo, 19 ans, un euro par jour pour manger

"Je me suis fixé cette somme de 1 euro par jour pour manger, pour tenir le mois", explique Ugo, 19 ans, étudiant en deuxième année d'histoire et sociologie à Rennes (Ille-et-Vilaine). Boursier "échelon zéro bis", le plus bas de l'échelle des bourses, le jeune homme touche environ 100 euros par mois. Ses parents, qui ont aussi ses deux petites sœurs à charge, financent son appartement, car il n'est pas éligible pour une chambre au Centre régional des œuvres universitaires et scolaires, le Crous. Ugo gère le reste de ses frais fixes en alternant les pâtes, le riz et les pommes de terre. "Je compte toutes mes sorties", ajoute-t-il.

Après avoir été livreur dans diverses enseignes, le jeune homme a trouvé un emploi fixe comme agent d'escale à la gare de Rennes. Près d'un étudiant sur deux (46%) travaille en dehors de ses études, selon l'OVE. Intérimaire, son nombre d'heures est variable et il gagne entre 600 et 900 euros par mois.

J'ai peur de perdre mes aides, alors j'essaie de mettre un maximum de côté cette année, pour ensuite faire un master à Paris.

Ugo, étudiant

à franceinfo

Pour pouvoir travailler, Ugo bénéficie d'une "dispense d'assiduité" qui lui permet de "rater" certains cours. En contrepartie, il ne bénéficie pas du contrôle continu et joue "son année" uniquement au moment des examens de fin de semestre. Une absence que toutes les facultés ne permettent pas.

Karine*, 22 ans, endettée, a arrêté ses études

"J'étais tellement stressée et dépressive que je n'arrivais plus à aller en cours", lâche Karine, 22 ans. Prise dans un engrenage entre petits boulots, soins psychologiques et cours de sociologie à la faculté de Poitiers (Vienne), la jeune femme a tout arrêté en fin de deuxième année, en 2018.

Elle a grandi avec peu, sa mère touchant le revenu minimum d'insertion (RSA), mais l'étudiante bouclait difficilement les fins de mois avec 350 euros pour vivre. Karine cumule encore les dettes. Ses petits emplois lui faisaient manquer certains enseignements. "Quand vous êtes boursier, vous avez une obligation d'aller en cours, sinon le Crous vous demande de rembourser", explique la jeune femme qui, un an après, est toujours en litige avec l'organisme. Sollicité par franceinfo, le Crous n'a pas souhaité répondre.

* Les prénoms ont été modifiés à la demande des intéressées.

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