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Faire soi-même l'école à son enfant ? Trois familles livrent leurs secrets

Alors que des parents s'inquiètent d'un projet de décret remettant en cause, selon eux, certains aspects de l'instruction à domicile, francetv info vous livre l'expérience de trois parents. 

Article rédigé par Julie Rasplus
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Une femme et son enfant peignent une grande banderole sur cette photo d'illustration non datée.  (STAVROS CONSTANTINOU / THE IMAGE BANK / GETTY IMAGES)

L'instruction en famille va-t-elle être remise en cause ? C'est la crainte de certains parents à la lecture d'un projet de décret du gouvernement, soumis jeudi 9 juin au Conseil supérieur de l'éducation par la ministre Najat Vallaud-Belkacem. Le texte prévoit de renforcer les contrôles de cet apprentissage hors des murs de l'école. La progression des enfants se verrait désormais rapportée aux "attendus de fin de cycle de la scolarité obligatoire", avec de possibles exercices à l'oral et à l'écrit.

Pour les parents concernés, le décret remet en cause leur liberté de choisir eux-mêmes l'enseignement de leur progéniture. En quoi consiste cette instruction singulière, qui concerne 20 000 enfants sur les 8 millions de 6-16 ans soumis à l'obligation scolaire ? Francetv info a recueilli le témoignage de trois parents et liste les grands axes de leur choix. 

1Pourquoi les parents choisissent-ils l'instruction à domicile ?  

Pour les parents que nous avons contactés, l'option "instruction en famille" a été le fruit d'une longue réflexion dans le couple. "Nous étions sensibles à l'idée d'une éducation bienveillante, et l'instruction à domicile nous est apparue dans cette continuité. L'école est plus aléatoire, notamment dans ses relations humaines", raconte ainsi Alix Delehelle, mère de deux enfants de 11 et 8 ans, jamais inscrits à l'école. Mais l'instruction à domicile constitue aussi une réponse à des problèmes de harcèlement, de décrochage scolaire ou de santé.

Ainsi, François* a pris la décision de retirer sa fille des murs de l'école en fin de CE1 car "chaque fois qu'elle allait à l'école, elle tombait malade. Cela donnait quinze jours à l'école, quinze jours malade. Son rythme s'en trouvait affecté." Cela fait désormais trois ans qu'elle reçoit un enseignement chez elle, prodigué par ses parents. 

Pour les couples, le choix de ce type d'instruction peut parfois s'avérer difficile financièrement. "Nous sommes passés de deux salaires à un seul", rappelle ainsi François. En tant que coprésidente de l'association Libres d'apprendre et d'instruire autrement (LAIA), Alix Delehelle constate toutefois une multitude de situations. "On se dit que l'instruction en famille est réservée à une élite, qui peut se le permettre. Mais ce n'est pas si simple. Je connais des familles monoparentales qui ont fait ce choix", assure-t-elle. Pour tous, "la motivation principale reste l'intérêt pour l'enfant". 

2Sur quoi se basent-ils pour enseigner ?

Tous les parents que francetv info a interrogés le martèlent : il n'y a pas une mais plusieurs méthodes d'enseignement. Certains, comme François, choisissent de payer une école par correspondance privée et sous contrat. Elle leur fournit un cadre pédagogique et un professeur qui corrige les devoirs des enfants.

D'autres choisissent d'être plus radicaux en faisant une croix sur les programmes scolaires. Ainsi, Maéva s'inspire de pédagogies diverses, comme celle de Montessori, pour enseigner à son fils de 5 ans. "Je n'ai pas de programme défini. Je pars des intérêts de mon enfant", explique celle qui voulait devenir professeure des écoles. "Récemment, il s'est découvert une passion pour le chocolat. Eh bien, je lui ai appris comment on le faisait, on a regardé des émissions, on est allés au musée…" détaille la jeune femme.

De même, ce n'est que lorsque ses enfants ont eu envie d'apprendre à lire qu'Alix a ouvert une méthode existante, La Planète des alphas. Son fils a appris à 5 ans ; sa fille à 7. Pour le reste, Alix ne suit aucun programme, même si elle s'inspire parfois du socle commun pour ses activités. "J'observe mes enfants et je sais ce qu'ils savent ou non", indique-t-elle. En ce moment, ses enfants s'amusent avec des logiciels de mathématiques. "Je constate que pour les fractions et les pourcentages, c'est O.K."  

3A quoi ressemble une journée d'école à domicile ?

Là encore, cela varie ! Même si on se lève tôt, les familles ne semblent pas à cheval sur les horaires. Et pour cause : on ne part pas à l'école. "Chez nous, les enfants se lèvent quand ils ont assez dormi", lâche simplement Alix. Puis ils enchaînent une journée faite de nombreuses lectures, de discussions, d'écoute de la radio, de jeux, de temps sur l'ordinateur et d'activités pratiques. 

Chez François, on reçoit "chaque matin un programme avec des leçons à apprendre et des devoirs à faire". Mais le cadre n'est pas figé. Les parents s'autorisent à tout chambouler selon les questions que pose leur fille ou les moments de mise en pratique. "Au moment des attentats, elle avait vu dans Mon Quotidien le dessin de Charb. On a donc fait une leçon d’histoire sur ce sujet. On s'est notamment servi d'internet", se souvient François. 

Dans tous les cas, la journée de travail effectif ne s'éternise pas. Et finalement, les enfants apprennent sans cesse. "On est tout le temps en vacances... ou plutôt jamais !" sourit Alix.

On n'a pas la contrainte de l'apprentissage. Ils apprennent parce que ce sont des enfants et que les enfants sont curieux de cela. Les questions viennent, ils les posent et on répond.

Alix Delehelle

à francetv info

Les lieux, comme les supports d'apprentissage, varient. Sans agenda défini, les enfants peuvent passer des après-midi entières à la bibliothèque ou à la médiathèque. Parfois, c'est plus inattendu : "On a abordé la seconde guerre mondiale lors d'un voyage en voiture, et les questions étaient très précises", s'amuse la mère de famille. 

4Mais alors, les enfants n'ont pas de copains ?

Détrompez-vous, les enfants instruits à domicile ne vivent pas reclus chez eux ! "Les parents ne sont pas bêtes : on sait que c'est aussi notre boulot de leur assurer une vie sociale", s'exclame François. Les activités sportives ou artistiques ponctuent ainsi le quotidien des enfants. Piano, handball, théâtre, danse, jeux de rôle, dessin... Chez Alix, les activités "extrascolaires" rythment la fin de journée et il y en a une pour chaque jour. Même si son garçon est petit, Maéva fait l'effort d'aller chaque soir au parc afin que son enfant en rencontre d'autres. D'autant qu'il est "très demandeur" de ces liens sociaux. 

La plupart mettent aussi un point d'honneur à varier les visites culturelles et ludiques. François appartient à une association de familles instruisant leurs enfants à domicile, ce qui lui permet de profiter de visites scolaires dans des musées et de tisser des liens. Là encore, temps libre et apprentissages se mélangent. "Si on évoque la mythologie grecque, on peut aller voir des statues grecques ou des restes archéologiques. C'est plus facile", résume François, qui vient de parler Moyen-Age à sa fille en l'emmenant sur les remparts de la cité médiévale de sa ville.

5Comment contrôlent-ils leur niveau ? 

A 16 ans, les enfants instruits à domicile doivent justifier d'un même bagage que celui des enfants scolarisés de manière plus traditionnelle. Pour François, le cadre de l'école par correspondance permet de savoir où en est sa fille. Le professeur lui corrige ses devoirs et lui dit ce qu'elle peut améliorer, toujours à son rythme. "Elle écrit beaucoup, notamment des nouvelles. Je dirais qu’elle a un niveau de troisième en français, mais pas du tout en mathématiques, par exemple", détaille-t-il.

Il évoque aussi la difficulté de passer des concepts acquis au raisonnement. "Sur les notions de biologie, ma fille a un savoir très pragmatique, mais n’aime pas du tout le côté livresque. Elle peut reconnaître un chêne dans la forêt, mais lorsqu’il s’agit d’en reconnaître les feuilles sur un livre, elle n’y arrive pas. Je sais qu’il faut parfois que je restructure ses connaissances", poursuit François. Du côté d'Alix, les enfants utilisent le subjonctif, mais ne savent pas que cela s'appelle ainsi. 

Pour valider les acquis, les parents ne sont pas laissés dans la nature. Chaque année, en plus d'une visite du maire pour vérifier qu'il n'y a aucune dérive éducative, un inspecteur d'académie se déplace pour faire le point sur le projet pédagogique de la famille. Les enfants peuvent montrer leurs travaux, comme les histoires ou les jeux qu'ils ont créés. Objectif : montrer une progression d'une année sur l'autre. Sur ce point, certaines étapes génèrent davantage de pression. En ce moment, Maéva appréhende un peu l'apprentissage de la lecture. 

Malgré le stress que peut occasionner ce choix, la jeune femme compte bien poursuivre cet apprentissage hors des clous, "si tout se passe bien". Les enfants d'Alix sont eux aussi bien partis pour rester dans ce cadre-là, sauf demande contraire de leur part. Cela pourrait arriver un jour. "Ma fille formule régulièrement l'envie d'aller à l'école. Pour les copines. Mais lorsqu'on explique qu'il faut rester assis sur une chaise, ça passe", sourit-elle. Peut-être rejoindra-t-elle un jour le cursus classique. Alix Delehelle n'y voit pas d'inconvénient : autour d'elle, les réintégrations ont rarement posé problème. 

* Le prénom a été modifié par souci d'anonymat.

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