Témoignage Trafic de drogue : comment Carla, dealeuse repentie, s'est fait une place dans un milieu régi par les hommes

Avec l'essor de la vente de stupéfiants en ligne, les femmes sont de plus en plus nombreuses à basculer dans le trafic. Une jeune Toulousaine de 26 ans revient sur les années où elle a été dealeuse, qui lui ont valu de passer treize mois en prison.
Article rédigé par Juliette Campion
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Après treize mois passés en prison, la jeune Toulousaine qui a accepté de raconter son parcours de dealeuse aspire aujourd'hui à "réussir [sa] vie dans la légalité." (JEREMIE LUCIANI / FRANCEINFO)

Le rêve d'ado de Carla* n'était pas de vendre de la drogue. "Cette jolie blonde, grande gueule, qui sait ce qu'elle veut dans la vie", selon les mots de son avocate*, a toujours voulu ouvrir un salon de coiffure. Et elle assure que désormais, cette vie de trafiquante est derrière elle. "Je suis contente d'en être sortie, mais j'avoue que ça me manque. J'avais mon entreprise à moi", lâche la Toulousaine de 26 ans, qui a accepté de raconter son parcours à franceinfo. 

Ce n'est pas tant les rentrées d'argent qui lui manquent, mais surtout les clients, auxquels elle était très attachée. "Je les adorais. J'étais invitée à leurs anniversaires, je connaissais leurs familles. J'étais vraiment proche d'eux", confie la jeune femme, qu'on sent nostalgique. L'appât du gain est loin d'être le principal moteur des consommatrices-revendeuses, auxquelles la sociologue Sarah Perrin s'est intéressée dans son livre Femmes et drogue, trajectoires d'usagères-revendeuses insérées socialement à Bordeaux et Montréal.

La plupart de ces femmes sont "en emploi ou en études, avec un logement fixe, estiment ne pas connaître de difficultés financières particulières, voire sont carrément très privilégiées", détaille la chercheuse à franceinfo. Elles recherchent plutôt "une forme de prestige social", analyse Sarah Perrin. Leur téléphone sonne tout le temps, elles sont appelées pour être de toutes les fêtes, c'est grisant". 

Adolescente, Carla fumait beaucoup de cannabis et elle s'est mise à vendre pour financer sa consommation. "J'étais une vraie toxico", reconnaît la jeune femme sans détour. A 15 ans et demi, elle débute un apprentissage et enchaîne avec un CAP, de 16 à 18 ans. Elle obtient son permis dans la foulée, à 19 ans. "A ce moment-là, je vais voir des mecs que je connais parce que je voulais faire des go-fast : je savais que ça payait très bien. Mais ils me disent : 'T'es une fille, tu ne peux pas faire de trafic : fais la pute.' J'ai dit : 'Moi, faire la pute ? Vous allez voir !' Mon ego en a pris un coup". 

"On commence à voir des filles monter leur propre business" 

Sa motivation à se faire une place dans le réseau de distribution des stupéfiants en ressort décuplée. "J'ai parlé à mes clients pour qu'ils me ramènent davantage de monde et j'ai créé un compte Snapchat. J'ai commencé à vendre de plus en plus : exclusivement du shit et de la cocaïne, je n'ai jamais proposé autre chose", relate Carla. A côté, elle continue à travailler légalement et passe son brevet professionnel en coiffure, pour se spécialiser davantage. Elle enchaîne les petits boulots dans des parfumeries. 

C'est en 2018 qu'elle bascule à temps plein dans le trafic de stupéfiants. "Je commençais les livraisons vers midi, j'arrêtais vers minuit, parfois plus tard", décrit Carla. Elle a alors une cinquantaine de clients réguliers. "Au début, j'ai dû faire mes preuves, plus que les hommes. Pas vis-à-vis des clients, mais surtout par rapport à mes fournisseurs. Ils se disaient : 'Celle-là, elle va se faire braquer, ou elle va mal gérer la marchandise', ou alors on pensait que j'avais forcément un mec derrière moi", relève-t-elle.   

"C'est vraiment un milieu très macho, on te dit toujours que c'est trop dangereux pour une femme."

Carla

à franceinfo

Carla fait partie des rares femmes à s'être embarquées dans le trafic de stupéfiants, même si le milieu se féminise peu à peu. "Depuis environ deux ans, on commence à voir des filles monter leur propre business, mais uniquement sur les réseaux sociaux et les messageries comme Telegram. Elles restent à l'écart du deal de rue, souligne son avocate. Ça leur permet d'échapper à un milieu ultra-violent, avec des guerres de territoires et des règlements de comptes".   

La dealeuse repentie ne mâche d'ailleurs pas ses mots quand on aborde le sujet et assure que les hommes dans le milieu sont "des trous du cul", qui "dépensent ce qu'ils n'ont pas". "C'est pour ça que les mecs ne réussiront jamais", lâche-t-elle sans ciller. "Ils flambent en boîte dans des carrés VIP à 1 000 euros, achètent des voitures de luxe… Et finissent par se faire tuer car ils ont accumulé trop de dettes, celui qui a avancé l'argent pète un plomb". Carla précise avoir toujours fait attention à ne jamais s'endetter et à tout payer "cash".

Trois ans de prison et 30 000 euros dus au fisc 

Son moteur : "Ne jamais dépendre d'un homme." Elevée par sa mère, Carla l'a vue se reposer financièrement sur ses conjoints successifs. "On pouvait rouler en Porsche un jour et ensuite en Twingo", raconte la jeune femme, qui dit avoir "trop vécu le fait de tout perdre du jour au lendemain". D'où une soif viscérale d'indépendance. Elle avait d'ailleurs mis une partie de ce qu'elle gagnait de côté, chez sa mère, dans l'espoir de pouvoir un jour ouvrir son salon de coiffure. "Mais comme les flics m'ont mise sur écoute, ils l'ont su et sont allés tout récupérer. J'aurais dû enterrer mon argent, comme Pablo Escobar !", dit-elle en riant. 

Carla a été arrêtée en septembre 2020 par les policiers du Raid. Ils ont saisi à son domicile 90 grammes de cocaïne, soit 3 600 euros de marchandise à l'achat, et 7 200 euros à la revente, selon les déclarations qu'elle a faites aux enquêteurs. Quelque 900 grammes de cannabis ont également été saisis, soit l'équivalent de 9 000 euros à la revente. Elle a été condamnée à trois ans de prison en février 2021, dont treize mois effectués derrière les barreaux. Neuf à la maison d'arrêt de Seysses, à Toulouse, puis quatre aux Baumettes, à Marseille. "Je ne voudrais jamais le revivre, mais je n'en suis pas sortie traumatisée comme certaines", affirme-t-elle. Ses codétenues la "respectaient", assure-t-elle, car elle avait fait du trafic de stupéfiants "et pas violé des enfants, comme d'autres". 

Sur le temps de l'enquête, qui a duré quatre mois, la police a estimé son chiffre d'affaires à 300 000 euros, dont elle doit reverser 10% à l'Etat, soit 30 000 euros, sous forme d'impôts. Un redressement fiscal qui lui a été notifié pendant son incarcération, conformément à une loi de 2009 qui fixe le cadre d'imposition des activités illicites. 

"J'ai honte d'avoir vendu cette merde" 

Lorsqu'elle sort de prison en octobre 2021, Carla porte pendant un an un bracelet électronique. "Quand on me le retire, en octobre 2022, je reprends le trafic : je devais énormément d'argent aux impôts, et je devais 20 000 euros à ma mère pour les frais d'avocat et pour mon loyer, qu'elle a continué de payer en prison", confesse Carla. 

Une ultime mésaventure la convainc de tout arrêter. Quelques semaines après avoir été libérée de son bracelet, elle part en Espagne avec des amis, qui lui certifient qu'il n'y a pas de drogue dans la voiture. "Je risquais gros si je récidivais : je pouvais prendre six ans, le double de ma peine initiale". A peine parti, le groupe a un petit accident. Et les gendarmes trouvent un gramme de cocaïne dans la voiture. Carla part directement en garde à vue. "Là, j'ai eu très peur car j'avais deux kilos de shit chez moi". Elle parvient à prévenir un proche qui avait ses clefs, et qui les retire à temps. Les gendarmes ne retrouvent donc rien au moment de leur perquisition. Mais la jeune femme a enfin le déclic. "A ce moment-là, je faisais du business avec une amie proche. Je lui dis : 'On vend les deux kilos et on arrête tout'"En février 2023, elle a donc totalement raccroché.  

"Ma mère a plus souffert de la prison que moi, c'est aussi ce qui m'a motivée à arrêter. Et ma grand-mère a 99 ans : je sais que je vais bientôt la perdre. Je ne peux pas refaire la con…"

Carla

à franceinfo

Par ailleurs, alors qu'elle est en prison, Carla apprend qu'un de ses clients est mort d'une crise cardiaque. Un chef d'entreprise de 58 ans, père de famille, qui consommait énormément de cocaïne. "Je l'aimais beaucoup. Et je sais qu'indirectement, j'ai contribué à ça. J'ai honte d'avoir vendu cette merde, je le regrette. Ça détruit des gens".

Aujourd'hui, Carla partage son temps entre un emploi dans une station-service et la coiffure à domicile. Elle travaille tous les jours, sauf le dimanche. "Je parviens à gagner entre 4 000 et 5 000 euros par mois, je ne compte pas mes heures", déclare-t-elle. Carla espère toujours pouvoir ouvrir son propre salon un jour. Elle a remboursé 5 000 euros sur les 30 000 qu'elle doit à l'Etat, et continue de donner 200 euros par mois. "Ça va être très long… Je dois encore 25 000 euros. Mais je m'accroche, assure-t-elle. Aujourd'hui, ce que je veux, c'est réussir ma vie dans la légalité".

* Le prénom a été modifié et son avocate, anonymisée, afin que sa cliente ne puisse être identifiée.

Selon l'article 222-37 du Code pénal, le transport, la détention, l'offre, la vente ou l'achat de stupéfiants exposent à dix ans de prison et jusqu'à 7 500 000 euros d'amende. 

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