: Reportage Marseille : l'ouverture d’une "salle de shoot", un soulagement pour les usagers et des craintes chez les riverains
À partir du mois de janvier 2024, une centaine de consommateurs de drogues devraient franchir chaque jour, les grandes portes en bois du 110, Boulevard de la Libération à Marseille. Dans ce bâtiment prêté par la municipalité, une "Halte soins addictions", ou "salle de shoot", sera ouverte sept jours sur sept. Les usagers pourront s’y rendre avec leurs doses, sans craindre les contrôles. Cocaïne, crack, héroïne, médicaments… Ils devront simplement montrer le produit qu’ils viennent consommer, avant de pouvoir s’installer.
Réduire les risques d’abcès et d’overdoses
"Nous aurons six places pour les injections, six places dans des box fermés et ventilés pour les gens qui fument ainsi que deux postes pour le sniff", explique Stéphane Akoka, directeur de l’association Asud Mars Say Yeah qui porte le projet. "Ces consommations seront faîtes dans des conditions d’hygiène avec la possibilité de se laver les mains, de prendre le temps de préparer correctement le produit."
"On aura moins de problèmes d’abcès et donc moins de passages aux urgences pour les usagers. Dans cet espace, il y aura notamment un infirmier qui pourra intervenir immédiatement en cas d’overdose."
Stéphane Akoka, directeur d'Asud Mars Say Yeahà francienfo
Les consommateurs devront suivre un parcours. Après leur passage en salle de consommation, ils se rendront en salle de repos où ils pourront rencontrer des travailleurs sociaux, des infirmiers, un médecin. Le public visé est très précaire : ceux qui vivent et se droguent dans la rue, ceux qui sont les plus éloignés du système de soin. L’idée est de créer des "passerelles" résume l’association en charge de la structure.
Les locaux seront ainsi partagés avec l’Assistance publique des hôpitaux de Marseille (AP-HM) et notamment avec des médecins spécialistes de la psychiatre de rue. "Les personnes ne viendront pas pour chercher un suivi psychiatrique mais pour consommer. À nous d’être disponibles s’il y a un souhait de prendre un traitement ou de se sevrer. Il y a tout un tas de choses que nous pouvons faire si les personnes le demandent et sont prêtes", détaille Aurélie Tinland, médecin psychiatre.
"On aura du matériel propre, dans un lieu propre"
Pour les usagers, l’ouverture de cette salle est un soulagement. "Ouf", répète trois fois Sonia, 53 ans. "Je suis toxicomane depuis 30 ans. Cocaïne, crack, héroïne, morphine, j’ai pris toutes les drogues", explique-elle. Pendant longtemps, Sonia s’est "shootée" dans les caves ou les parkings. Elle se souvient de la saleté, des agressions. Aujourd’hui, elle prend des produits de substitution dans son lieu d’hébergement.
"S’il y avait eu une salle de consommation quand je me droguais, je n’aurais pas attrapé le VIH."
Sonia, 53 ansà franceinfo
"Là, on aura du matériel propre, dans un lieu propre. S’ils veulent voir moins de seringues par terre, moins de toxicomanes qui font n’importe quoi, il faut bien qu’il y ait un lieu comme ça !", s’exclame Sonia, en pensant aux riverains de la future Halte. Elle dit "comprendre" leurs inquiétudes.
Une salle à proximité des écoles et des commerces
Les voisins du boulevard de la libération dénoncent une localisation inadaptée pour cette "salle de shoot". Le quartier des "Cinq avenues" (4e arrondissement) est un secteur épargné par les consommations de rue. "On va élargir la zone de consommation, en rajouter là où il n’y en a pas", s’agace Daniel Fernandez. Il est membre d’un collectif d’opposition au projet qui regroupe une trentaine de riverains. Il est aussi père de deux enfants.
"Il y a 5 000 enfants, de la crèche au lycée, qui circule dans ce secteur. Moi, ça me fait peur."
Daniel Fernandez, membre d'un collectif d'opposition à la salle de shootà franceinfo
La peur et la colère animent aussi certains commerçants. "Ça risque de transformer complètement le quartier et de faire baisser le chiffre d’affaires", explique Agnès, fleuriste. "Demain si cette salle ouvre, je ne suis pas sûre d’être à l’aise pour rentrer à pied", ajoute Sandra, salariée d’un café.
Caméras, vigiles et médiateurs
Pour assurer la sécurité aux abords de la salle pendant les horaires d’ouverture, un vigile et des caméras sont prévus. En cas d’incidents, un numéro direct permettra à l’équipe encadrante de joindre le commissariat de secteur. Trois médiateurs de rues seront aussi déployés tous les jours dans le quartier. Mais les riverains craignent que les usagers ne restent aux abords de la salle, après sa fermeture.
"Le lieu posera toujours problème, quel qu’il soit", explique Michèle Rubirola, médecin et première adjointe au maire de Marseille en charge de la santé publique. Elle assure que le bâtiment municipal n’est pas trop éloigné des lieux de consommation. "Il est dans un périmètre de vingt minutes à pied autour des lieux d’errances, à proximité de la gare", détaille l’élue. L’avantage, c’est que sa grande cour intérieure permettra de faire patienter les usagers à l’abri des regards, pour éviter les attroupements sur les trottoirs comme on peut le voir à Paris. Les horaires d’ouverture seront aussi pensés en fonction des sorties de classes, pour préserver les enfants.
La mairie doit convaincre. Les riverains auront leur mot à dire quand viendra le temps du bilan de l’expérimentation, en 2025. En attendant, le projet piloté par la municipalité, l’Agence régionale de santé et la préfecture, attend encore une dernière signature du ministère de la Santé pour pouvoir ouvrir bel et bien les portes de cette toute première salle de consommation marseillaise.
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