Sécu : et si vos soins étaient remboursés en fonction de vos revenus ?
La Sécurité sociale tient-elle encore ses promesses ? Son principe fondateur selon lequel "chacun contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins" est-il encore d'actualité ? Pas vraiment, selon l'étude des économistes Pierre-Yves Geoffard et Grégoire de Lagasnerie publiée jeudi dans la revue de l'Insee Économie et statistiques, qui propose de moduler le remboursement des soins selon les revenus du malade.
> Consulter l'étude parue jeudi dans la revue de l'Insee
Désengagement "à bas bruit "
C'est le constat des deux chercheurs de l'École d'économie de Paris : le désengagement de l'Assurance maladie, surtout depuis 2005, dans les frais de santé et par conséquent, l'augmentation de ce qu'on appelle "le reste à charge", soit ce que le malade paye in fine de sa poche, après remboursement d'une consultation, de ses médicaments ou d'un transport en ambulance.
"Ça s'est fait de manière progressive, à bas bruit , analyse Pierre-Yves Geoffard. Avec l'augmentation des tickets modérateurs sur les médicaments, l'introduction de plein de petites franchises, 1 euro par-ci (sur les consultations de généralistes), 50 centimes par-là (sur les boîtes de médicaments), qui finissent par représenter des sommes très élevées pour certains patients ".
"Aujourd'hui, plus vous êtes malade, plus vous payez, et ce indépendamment de vos revenus"
Selon les deux économistes, il y a 5% des malades qui payent plus de 1.200 euros sur l'année de tickets modérateurs et franchises. Avec le système actuel, "plus vous êtes malade, plus vous payez ", explique Grégoire de Lagasnerie. "Et ce indépendamment de vos revenus, complète son acolyte. Or, 1.200 euros, c'est bien plus lourd pour quelqu'un qui touche le minimum vieillesse, que pour un cadre à 3.000 euros par mois ".
Revoir le mécanisme du remboursement
Les deux chercheurs proposent donc un système pour "réintégrer une solidarité entre malades et bien portants et entre revenus modestes et aisés ". Précision : ce système porte sur les soins de ville (représentant 53% des soins) et non sur les soins hospitaliers. Explication de la réforme préconisée en trois points :
Introduire un plafond annuel de "reste à charge" au-delà duquel tous les soins du patient sont intégralement remboursés. Remplacer toutes les franchises existantes, "véritable usine à gaz", par une seule franchise annuelle .Moduler ce plafond et cette franchise en fonction du revenu individuel de la personne (et non revenu de son ménage). Pour mieux comprendre le mécanisme, voici le scénario imaginé par Grégoire de Lagasnerie : en début d'année, l'assuré paye intégralement ses éventuels soins de ville jusqu'à atteindre le montant de sa franchise, de 50 euros par exemple. Passée cette somme, il est remboursé comme aujourd'hui, c'est-à-dire à 70% de ses frais, et doit s'acquitter des 30% restants, ce qu'on appelle le ticket modérateur (expliqué ici par la Sécu). Et ce jusqu'à ce que son "reste à charge" atteigne son plafond annuel, évalué dans l'exemple à 650 euros. Au-delà, il est pris en charge à 100%.
Cette mesure a-t-elle vocation à combler le trou de la Sécu ? Non. "C'est un scénario à budget constant , explique Pierre-Yves Geoffard. On finance le plafond, c'est-à-dire une meilleure protection contre les grosses dépenses de santé, par la franchise annuelle ".
Précédents en Europe, perspective en France ?
L'idée ne tombe pas du ciel. Ce système de plafond et franchise a déjà cours dans de nombreux pays européens, comme la Suisse, la Suède ou les Pays-Bas. En Allemagne également, les assurés payent une franchise de 10 euros par trimestre dès leur première consultation trimestrielle et il existe un plafond établi à 2% des ressources du ménage.
En France, néanmoins, l'idée de plafonner le "reste à charge" a déjà été évoquée dans un rapport de 2007 commandé par Nicolas Sarkozy et rendu par Bertrand Fragonard, président du Haut conseil de la famille. Il s'appelait à l'époque "le bouclier sanitaire", mais envisageait un autre mode de financement, tient à préciser Grégoire de Lagasnerie. Il n'empêche, Bertrand Fragonard est aussi l'auteur du rapport récent qui a inspiré la réforme à venir des allocations familiales. Or, celle-ci prévoit également de tenir compte des revenus.
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Une idée dans l'air du temps ? "Hier, je vous aurais volontiers répondu non , convient Pierre-Yves Geoffard. Mais manifestement cette étude a un certain retentissement, donc il semblerait qu'elle propose des pistes... intéressantes ". Personne pourtant ne semble souhaiter se mouiller. Jointe par France Info, la Caisse nationale d'Assurance maladie n'a pas souhaité commenter cette étude. Aucune réaction non plus au ministère de la Santé.
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