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Réédition de "Mein Kampf" : "Ce discours historien manquait cruellement en France", estime le spécialiste Christian Ingrao

"Il y a un effet de fétichisation autour de cet écrit, qui fait qu'il faut le démystifier et le désacraliser", justifie le directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l'histoire du nazisme et membre de l'équipe scientifique qui a travaillé sur cette nouvelle traduction intitulée "Historiciser le mal".

Article rédigé par franceinfo
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Une version de "Mein Kampf" présentée au mémorial de la Shoa à Paris le 2018 (illustration). (THOMAS PADILLA / MAXPPP)

"'Mein Kampf' est un texte, rien qu'un texte, qu'il faut accompagner d'un discours historien", martèle sur franceinfo Christian Ingrao, directeur de recherche au CNRS, spécialiste de l'histoire du nazisme et membre de l'équipe scientifique qui a travaillé sur Historiciser le mal, la nouvelle traduction commentée de Mein Kampf publiée mercredi 2 juin chez Fayard. Ce livre exposant l'idéologie antisémite d'Adolf Hitler est paru en deux tomes, en 1925 et 1926, avant d'être largement diffusé en Allemagne après l'accession au pouvoir du dictateur en 1933. La dernière traduction intégrale du texte en français remonte à 1934, soit 87 ans.

franceinfo : Pourquoi cette réédition est-elle nécessaire, selon vous ?

Christian Ingrao : Elle est nécessaire parce qu'il y a un effet de fétichisation autour de cet écrit, qui fait qu'il faut le démystifier et le désacraliser. C'est un texte, rien qu'un texte, qu'il faut accompagner d'un discours historien. Ce discours historien manquait cruellement en France jusqu'à cette réédition.

"Le nom d'Adolf Hitler n'apparaît pas sur la couverture de Historiciser le mal, parce qu'on voulait éviter les effets d'aubaine, les effets de sidération et les effets de fétichisme."

Christian Ingrao, spécialiste de l'histoire du nazisme

à franceinfo

Le but de l'opération, c'est de faire de l'Histoire et pour cela, il valait mieux mentionner le nom des historiens en fronton de couverture.

Historiciser le mal est à la fois une nouvelle traduction et une version critique. La dernière traduction intégrale parue en France de Mein Kampf remontait à 1934. Pourquoi ce choix de revenir au texte originel d'Hitler ?

D'abord parce que la traduction telle qu'elle avait été mise en place en 1934 était problématique et fautive. Ce n'est faire insulte à personne que de dire que les choix de traduction qui avaient été faits étaient discutables. De plus, nous avons opéré le choix non pas de traduire le texte du futur dictateur, mais de le transcrire. Vous avez affaire à un texte qui est redondant, labyrinthique et émaillé de répétitions et de fautes. Nous avons essayé de trouver un français de "cochon" pour rendre compte de tout cela.

Ce texte est encadré par quasiment 3 000 annotations sur le contexte de l'époque et les mots employés. Il fallait, en quelque sorte, "noyer" les idées d'Adolf Hitler, les mettre à bonne distance ?

Pour pouvoir avoir une approche analytique et être critique, il faut mettre en place de la distance. Il faut en même temps pouvoir entrer dans le labyrinthe et le contempler d'en haut. C'est ce que nous avons essayé de faire avec cette disposition qui enserre le texte, des notes de bas de page et des références bibliographiques.

Ce livre sera uniquement vendu sur commande, on ne pourra pas le feuilleter en librairie. À quel public est-il destiné ?

À mes yeux, il est destiné d'abord à un public institutionnel. Fayard destine 10 % du tirage à des bibliothèques qui pourront l'obtenir gratuitement sur demande. Il est ensuite destiné à des chercheurs non-germanophones qui travaillent sur des sujets adjacents. Il est aussi destiné à un certain public cultivé. Quelqu'un comme Jean-Luc Mélenchon, qui disait il y a cinq ans être contre la réédition, nous a plutôt donné envie de rééditer pour montrer quel est le texte. On peut s'adresser à des gens cultivés et intelligents. Ce texte leur est destiné.

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