L'eSport : quand le jeu vidéo s'inspire du sport pro
Les doigts s'agitent frénétiquement sur les touches du clavier et sur la souris. Les yeux rivés sur l'écran de son ordinateur, micro-casque vissé sur la tête, Doigby donne les dernières consignes à son équipe avant le début du match. Les cinq joueurs sont concentrés. Il est 14h et ils vont débuter leur entraînement quotidien. Ils portent tous les couleurs de la plus grosse équipe d'eSport en France: Millenium.
L'eSport, ou sport électronique, permet à des joueurs de s'affronter lors de compétitions autour de jeux vidéo de stratégie ou de combat, comme Counter-Strike , Quake , League of Legends , ou Starcraft 2 pour ne citer que les plus connus. S'il existe maintenant depuis une quinzaine d'années, il ne se professionnalise que depuis quelques mois en France, notamment en reprenant les codes du sport traditionnel.
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Avec des tournois mettant en jeu parfois plusieurs millions d'euros, diffusés et commentés en direct, des joueurs professionnels transférés dans les plus grandes équipes et entraînés par des coachs, l'eSport rappelle le monde du football ou du basket professionnel. Il existe même des centres d'entraînement partout dans le monde, appelés "Gaming house".
En France, il n'y a qu'une Gaming house. C'est celle ouverte par Millenium en décembre 2011 à Marseille. Trois étages répartis sur 400 m², avec une terrasse, une cuisine, des chambres pour les joueurs, et évidemment des ordinateurs dernier cri dans toutes les pièces. Au premier étage, dans un coin aménagé pour les joueurs, Doigby et ses coéquipiers sont en train de s'entraîner à League of Legends (LoL), un jeu de stratégie et combat en arène dans un monde heroic-fantasy. Il se joue à cinq contre cinq et c'est le jeu du moment, comme le montrent les derniers chiffres rendus publics par la société Riot, qui possède le jeu.
Sous l'oeil attentif de leur coach, Jean-Marc Gaudin, les cinq joueurs vont disputer plusieurs matchs d'entraînement comptant également pour les qualifications des prochains championnats du monde. Tous sont passés professionnels il y a quelques mois. "Nous sommes aujourd'hui en contrat avec 26 joueurs, dont 13 sont professionnels, c'est-à-dire qu'ils gagnent entre 1.200 euros et 4.000 euros par mois, sans compter l'argent remporté dans les tournois ", explique Rémy Chanson, manager eSport de Millenium.
Les joueurs sont rémunérés directement par Gameo Consulting, la société qui gère et possède la marque Millenium. Car Millenium n'est pas qu'une équipe d'eSport, c'est aussi un site Internet spécialisé dans le sport électronique, et surtout la plus grosse web-télévision française, toutes catégories confondues. Elle totalise 24 millions de vues chaque mois sur Dailymotion lors de ses "streamings", les retransmissions de matchs commentés en direct.
"C'est en grande partie grâce au développement de notre web-TV, installée ici dans la Gaming house, que nous pouvons nous professionnaliser ", reconnaît Cédric Page, fondateur de Millenium et président de Gameo Consulting. "Grâce à la publicité diffusée avant les rencontres et en fonction du nombre de spectateurs qui regarde une rencontre, Millenium touche de l'argent. Nous en reversons une partie aux joueurs. "
Certaines stars peuvent gagner jusqu'à 10.000 euros par mois
Plus ils sont connus, plus les joueurs vont attirer de spectateurs sur leurs streamings, et donc plus ils vont toucher d'argent. Les stars peuvent ainsi voir leurs revenus monter jusqu'à 10.000 euros par mois. C'est dans cette sphère très enviée qu'évolue Bora Kim, alias YellowStar. C'est un des meilleurs français de League of Legends .
Avant, il jouait pour Millenium, aujourd'hui, il porte les couleurs de Fnatic, une des plus grosses équipes d'eSport en Europe. "Aujourd'hui, j'ai une vie très confortable. Je peux largement vivre grâce aux revenus de l'eSport, d'autant que le logement et la nourriture sont payés par l'organisation ", explique le joueur.
Il y a quelques semaines, lui et son équipe se sont inclinés lors des demi-finales des championnats du monde de LoL, qui se disputaient à Los Angeles. La finale se jouait, elle, dans le Staples Center de la ville. Le stade, où jouent habituellement les équipes de basket-ball des Lakers ou des Clippers, était plein : près de 20.000 personnes avaient fait le déplacement. Et pour l'occasion, une cérémonie d'ouverture digne des plus grands événements sportifs était organisée.
Lors de cette troisième édition des championnats du monde de League of Legends , près de six millions d'euros de "cash prizes", c'est-à-dire de récompenses en argent, étaient mis en jeu. L'équipe gagnante s'est partagée près d'un million d'euros. Ces sommes donnent le vertige et montrent l'importance prise par l'eSport.
L'engouement suscité intéresse évidemment les entreprises de jeux vidéo ou de matériel informatique. C'est le cas de la société Plantronics. Spécialisée à l'origine dans la confection de micro-casques haute technologie pour les astronautes ou les pilotes d'avion, elle a pris le virage de l'eSport il y a sept ans environ et s'associe aujourd'hui à de grands événements autour de la discipline.
"L'eSport est un spectacle, avec des champions au même titre qu'un Zlatan [Ibrahimovic] ou qu'un Ronaldo. Ce sont des véritables stars dont les matchs sont suivis par autant de spectateurs que pour une finale NBA ", assure Grégory Morquin, directeur marketing Europe de Plantronics. Pour preuve, les milliers, voire les millions, de fans qu'ont les joueurs sur les réseaux sociaux.
En Corée du Sud, les rencontres d'eSport viennent concurrencer les sports traditionnels. Tous les soirs, à la télévision, des matchs sont retransmis en direct sur les grandes chaînes et obtiennent des scores d'audience qu'envieraient certains programmes télé français. Et aux Etats-Unis, des "eSportifs" viennent d'obtenir le statut d'athlète.
Ce n'est certes pas encore le cas en France, mais les manifestations publiques autour de ce phénomène, comme au Casino de Paris il y a quelques semaines, rassemblent des milliers de fans, et font surtout tomber les clichés autour de cet univers encore méconnu du grand public.
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