Lune : six questions pour comprendre les enjeux de la mission indienne Chandrayaan-2
L'Inde, vantée pour la sobriété budgétaire de ses missions spatiales, veut devenir la quatrième nation à avoir exploré la Lune, en vue de l'implantation future de colonies humaines.
C'est l'heure de vérité pour le programme spatial indien. Vendredi 6 septembre dans la soirée, l'atterrisseur Vikram tentera de se poser près du pôle Sud lunaire, au terme d'un mois et demi de rotations orbitales autour de la Terre puis de la Lune. Si la mission est un succès, l'Inde deviendra la quatrième nation au monde à poser un appareil sur le sol sélénite, après l'Union soviétique, les Etats-Unis et la Chine.
Franceinfo détaille les enjeux de cette mission, baptisée Chandrayaan-2.
1Quel est l'objectif de la mission ?
En hindi, Chandrayaan signifie "chariot lunaire". L'objectif de cette mission est de poser l'atterrisseur Vikram à la surface de la Lune, afin de permettre au rover Prayan, le petit robot mobile qu'il transporte, de se promener à sa surface. Ce petit "chariot lunaire" devra y réaliser des prélèvements et transmettre un maximum d'informations aux scientifiques indiens sur Terre.
Fonctionnant à l'énergie solaire, le robot à six roues devrait fonctionner pendant environ quatorze jours terrestres et parcourir une distance d'environ 500 mètres.
2Comment l'atterrisseur va-t-il se poser ?
Lancé le 22 juillet d'un pas de tir du sud de l'Inde, un orbiteur a conduit l'atterrisseur Vikram jusqu'à proximité de la Lune avant de s'en séparer le 2 septembre.
Une fois libéré, Vikram a réalisé deux manœuvres afin d'abaisser son orbite. "Il se trouve aujourd'hui sur une orbite elliptique de 36 kilomètres par 110 kilomètres, prêt à se poser sur la Lune", indique Futura Sciences.
Il doit commencer sa descente vers 22h30, heure française. "La vitesse sera d'abord de 2,5 km/s, soit environ Mach 7, l'objectif étant que Vikram se pose à 22h45 tout en douceur, à une vitesse nulle, grâce à la poussée finale de rétrofusées", explique Bernard Foing, astrophysicien à l'Agence spatiale européenne (ESA), interrogé par Le Parisien.
Pendant ces 15 minutes, tout le pays, y compris le Premier ministre indien, Narendra Modi, qui assistera à l'événement depuis le QG de l'Agence spatiale indienne (ISRO) à Bangalore, retiendra son souffle. En juillet, Kailasavadivoo Sivan, le président de l'ISRO, avait déclaré s'attendre à vivre "15 minutes de terreur". Une fois posé, Vikram devrait libérer Prayan vers 1 heure du matin.
3Quelles sont les difficultés d'un alunissage ?
Si des hommes y ont effectivement déjà mis les pieds, se poser sur la Lune n'est pas aussi simple que faire un créneau. Si Vikram ne ralentit pas suffisamment, il arrivera trop vite et se fracassera contre la surface désolée. En avril, cette mésaventure est arrivée à la sonde lunaire israélienne Beresheet. Cet engin de 585 kg s'est écrasé à la surface de la Lune en raison d'une panne des moteurs censés ralentir sa descente. Avant le crash, elle avait transmis cette image.
Just received from SpaceIL communication team what appears to be the last image #Beresheet spacecraft managed to beam to earth before it crashed on the moons surface pic.twitter.com/yDx2ioZiXy
— Elad Ratson (@EladRatson) April 11, 2019
Aucun appareil ne s'est encore posé au pôle Sud de la Lune, complètement inexploré. Les précédents atterrissages, notamment ceux du programme américain Apollo, sont survenus au niveau de l'équateur sur la face visible de la Lune. En début d'année, une sonde chinoise s'est, elle, posée sur la face cachée, une première.
4Pourquoi avoir choisi de se poser au pôle Sud de la Lune ?
Cette zone inexplorée étant largement à l'ombre, les scientifiques indiens espèrent avoir plus de chances d'y trouver des traces d'eau, explique Le Parisien. Or, cette mission s'inscrit dans le prolongement de sa grande sœur, Chandrayaan-1, laquelle avait permis, en 2008, de découvrir la présence de molécules d'eau à la surface de la Lune.
"L'Inde se rend là où seront probablement les futures colonies humaines dans vingt, cinquante ou cent ans, explique à l'AFP Mathieu Weiss, représentant du Centre national d'études spatiales français (Cnes) en Inde. C'est pour cela que toute la communauté scientifique suit cette mission." Les pôles lunaires offrent des températures constantes ainsi que de l'eau sous forme de glace dans l'ombre de gigantesques cratères. "Si vous voulez survivre sur la Lune, vous avez besoin d'eau, et vous avez besoin d'eau pour produire de l'énergie. Avec de l'eau, vous pouvez faire fonctionner des moteurs", poursuit-il.
Mais attention, explorer le pôle Sud de la Lune présente aussi des inconvénients. Une grande partie de la zone se trouve en effet dans la pénombre. Or, trop peu de luminosité pourrait paralyser le robot, qui fonctionne à l'énergie solaire.
5Quelles sont les ambitions du programme indien ?
Parce qu'il installe l'Inde parmi les grandes nations spatiales, Chandrayaan-2 fait la fierté des Indiens. Pour les responsables politiques du pays, développer un programme spatial est "un facteur d'unité". Pour Bernard Foing, l'astrophysicien cité par Le Parisien, "l'Inde est un pays mosaïque et, dans l'imaginaire local, la Lune occupe une place importante. Alors, si Chandrayaan-2 est un succès, ce sera un élément de fierté nationale." Une ambition affichée dans ce spot publicitaire vantant la mission.
L'ISRO compte par ailleurs envoyer d'ici 2022 un équipage de trois astronautes dans l'espace à l'occasion de son tout premier vol habité. L'agence travaille également à l'élaboration de sa propre station spatiale, attendue au cours de la prochaine décennie.
6Pourquoi ce regain d'intérêt pour la Lune ?
La Lune a été relativement délaissée depuis la fin du programme Apollo dans les années 1970, les grandes agences spatiales ayant préféré se consacrer à l'étude et à l'exploration du Système solaire. Mais le satellite de la Terre, distant de quelque 384 000 kilomètres, est l'objet d'un regain d'intérêt international depuis un moment. Le gouvernement américain a ainsi demandé à la Nasa d'y renvoyer des astronautes pour 2024, en visant le pôle Sud comme zone d'atterrissage.
Les gens vont sur la Lune car c'est la première étape pour aller vers Mars. Il n'y a pas d'intérêt à aller sur la Lune si vous ne la voyez pas dans la perspective globale de vols vers Mars.
Mathieu Weiss, représentant du Cnes en Indeà l'AFP
La Chine, de son côté, a déjà envoyé deux engins explorer la Lune. En 2013, la mission Chang'e-3 a déposé Yutu ("Lapin de jade") sur la face visible du satellite. Six ans plus tard, la sonde chinoise Chang'e-4 a effectué le 3 janvier la première arrivée en douceur sur la face cachée de la Lune. A son bord, le rover à quatre roues Yutu-2 ("Lapin de jade-2") a commencé à explorer cette zone, faisant rapidement d'excitantes découvertes dans le cratère lunaire Von Kármán. Dès le mois de juillet, l’Administration spatiale nationale chinoise (CNSA) a annoncé avoir découvert un "gel à l’éclat mystérieux" et à la couleur "inhabituelle", relève Numerama.
Préparant aussi le terrain pour d'éventuelles futures colonies humaines, les scientifiques de l'université de Chongqing ont envoyé un conteneur de 18 centimètres en forme de seau contenant de l'air, de l'eau, de la terre et des graines de coton, de pomme de terre et d'arabidopsis (une plante de la famille de la moutarde). C'est ainsi que le 15 janvier, ils ont annoncé qu'une graine de coton avait germé sur la Lune.
La CNSA a annoncé depuis que quatre autres missions lunaires étaient prévues, confirmant le lancement d'un module d'exploration d'ici à la fin de l'année pour recueillir et rapporter des échantillons de la Lune.
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