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Espace : comment des astronomes amateurs ont découvert une nébuleuse encore jamais observée autour de la galaxie d'Andromède

Le Français Yann Sainty a réussi à photographier "Strottner-Drechsler-Sainty Object 1", un peu par hasard, en utilisant une méthode déconseillée, aidé par son compatriote Xavier Strottner et l'Allemand Marcel Drechsler.
Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La galaxie d'Andromède (aussi appelée M31) et la nébuleuse nouvellement découverte en 2022 (en bleu), appelée "Strottner-Drechsler-Sainty Object 1". (YANN SAINTY - MARCEL DRECHSLER)

Il faut toujours s'efforcer de voir les choses avec un regard différent. Telle pourrait être la morale de cette histoire. Trois astronomes amateurs ont créé la surprise en annonçant, lundi 9 janvier, la découverte d'une nébuleuse autour de la galaxie d'Andromède. "C'est la grande voisine la plus proche de la Voie lactée", explique François Hammer, astronome à l'Observatoire de Paris. Située à 2,5 millions d'années-lumière de la Terre, la galaxie d'Andromède (aussi appelée M31) est la galaxie la mieux documentée, la plus observée, la plus étudiée.

"La galaxie d'Andromède est celle que nous connaissons le mieux, peut-être même davantage que la nôtre."

François Hammer, astronome à l'Observatoire de Paris

à franceinfo

Difficile alors d'imaginer trouver de nouvelles choses en scrutant cette partie du ciel. Pourtant, le Français Yann Sainty, graphiste indépendant et astrophotographe depuis deux ans et demi, a réussi à mettre le doigt sur une nébuleuse (un nuage de gaz très chaud) dans les environs d'Andromède. C'est l'arc qui apparaît sur cette image en bleu, en haut à gauche de la galaxie. Un cliché qui a été publié une semaine plus tard sur un blog de la Nasa (en anglais).

La galaxie d'Andromède (aussi appelée M31) et la nébuleuse nouvellement découverte en 2022 (en bleu), appelée "Strottner-Drechsler-Sainty Object 1". (YANN SAINTY - MARCEL DRECHSLER)

Yann Sainty raconte avoir décidé en 2022 de se consacrer à un "projet repos" après avoir achevé un autre travail d'astrophotographie éreintant et exigeant. "J'ai choisi Andromède parce que c'est un objet tellement lumineux qu'il est relativement simple à photographier", glisse-t-il. Pour prendre ses clichés, il utilise un filtre qui s'intéresse à une catégorie particulière de l'oxygène, ce qui est généralement déconseillé. "Il est admis que cela ne sert à rien de shooter une galaxie avec un filtre d'oxygène parce que cela ne va rien apporter si ce n'est compliquer le traitement", explique-t-il. Dans le même temps, il choisit de coupler ce filtre avec de longues pauses dans l'infime espoir de capter une nébuleuse planétaire non encore référencée.

Passée inaperçue jusqu'ici

Après huit heures d'observation, Yann Sainty envoie ses images au duo formé par le Français Xavier Strottner et l'Allemand Marcel Drechsler, deux astronomes amateurs mondialement connus dans le milieu pour être des chasseurs de nébuleuses, avec quelque 350 découvertes au compteur. Après analyses, le binôme pointe "une zone plus blanchâtre dans un coin de l'image". "On a découvert un arc, très faible, qui nous semblait inconnu et donc on lui a demandé de poursuivre ses observations et ses photographies pour intensifier ce signal", se souvient Xavier Strottner.

"Moi tout seul, sans Xavier et Marcel, j'aurais pensé avoir mal fait un truc et je n'aurais certainement pas vu l'arc."

Yann Sainty, astrophotographe amateur

à franceinfo

Les trois hommes se lancent donc dans des recherches plus approfondies. Habitant en appartement, sans jardin, Yann Sainty multiplie les allers-retours pour se rendre dans des zones reculées où la pollution lumineuse est limitée. Après 22 nuits de travail, 111 heures d'observation, et quelque 5 000 km parcourus, il obtient assez de données pour mettre clairement l'arc en évidence.

Une fois cette première confirmation obtenue, il faut s'assurer qu'il ne s'agit pas d'un défaut des instruments d'observation utilisés ou de tout autre problème. Le trio contacte alors d'autres astrophotographes et scientifiques (dont des professionnels) répartis sur plusieurs continents pour valider l'ensemble grâce à des observations supplémentaires menées avec du matériel différent afin d'écarter tout biais. Vérification effectuée, l'existence de la nébuleuse est bien confirmée. L'Américain Bray Falls, qui a participé à cette démarche, la détaille dans la vidéo ci-dessous (en anglais) :

Comment cette nébuleuse a-t-elle pu passer inaperçue dans cette zone du ciel si observée ? Première explication : les télescopes les plus puissants comme ceux de la Nasa sont trop centrés sur Andromède, mettant la nébuleuse hors champ, explique Xavier Strottner.

"Les télescopes professionnels ont des champs de vision qui sont très restreints. Dans leur champ, on va voir la galaxie d'Andromède mais on ne verra pas son voisinage direct. A la différence de la lunette utilisée par Yann Sainty, qui permet de voir la galaxie M31 mais aussi tout ce qui l'entoure."

Xavier Strottner, astronome amateur

à franceinfo

A l'origine de cette découverte, il y a aussi le filtre utilisé par Yann Sainty, qui isole les raies de l'oxygène, couplé à des poses étendues. "Les amateurs ont quelque chose qui est précieux, c'est le temps", note Xavier Strottner. En effet, la nébuleuse nouvellement découverte est d'un éclat si faible qu'elle ne peut apparaître qu'avec de longues plages d'observation, ce que les professionnels n'ont pas toujours l'occasion de faire. Au final, cette configuration "n'avait finalement jamais été fait par le passé", relève l'astronome amateur.

Des astronomes amateurs découvrent une nébuleuse autour d'Andromède

Les vestiges d'une supernova ?

Si l'existence de la nébuleuse est formellement établie, peu d'éléments sont disponibles sur sa composition et son origine. Une chose est certaine : l'arc comporte de l'oxygène doublement ionisé, c'est-à-dire des molécules d'oxygène auxquelles il manque deux électrons. "C'est un élément chimique que l'on retrouve régulièrement dans le milieu interstellaire", commente Xavier Strottner. La présence d'éventuels autres éléments reste à déterminer.

La provenance et la formation de la nébuleuse, baptisée "Strottner-Drechsler-Sainty Object 1", demeurent encore inconnues. A ce stade, nous ignorons sa taille précise, si elle s'approche ou s'éloigne de la galaxie d'Andromède, ou encore la distance entre les deux objets. Quant à son origine, plusieurs hypothèses sont sur la table. Cela pourrait être une très ancienne nébuleuse planétaire, ou le vestige d'une supernova, c'est-à-dire de l'explosion d'une étoile massive.

Des analyses complémentaires, déjà en cours, permettront peut-être d'en savoir davantage, ce qui n'est pas acquis tant la nébuleuse est grande et peu lumineuse. En attendant, Yann Sainty encourage les astronomes amateurs à se lancer.

"Nous sommes à une époque où l'évolution du matériel de plus en plus poussé fait que l'on est un peu à un tournant, et les amateurs ont un rôle de plus en plus grand à jouer."

Yann Sainty, astrophotographe amateur

à franceinfo

"Nous avons beaucoup de science participative qui se développe autour de la recherche de comètes, d'astéroïdes, d'exoplanètes [des planètes hors de notre système solaire]. De plus en plus d'amateurs permettent d'apporter de nouveaux éléments", abonde Xavier Strottner, qui sourit en évoquant "l'adrénaline du découvreur, du chasseur de trésor". De quoi faire naître des vocations ?

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