Cet article date de plus de sept ans.

Violences sexuelles : quel dépistage en France ?

Les 4e Assises nationales consacrées aux violences sexuelles ont lieu les 9 et 10 janvier 2017. Organisées par l'association "Stop aux violences sexuelles", elles mettent l'accent sur la prévention et la prise en charge de ces violences aux complications multiples. 
Article rédigé par La rédaction d'Allodocteurs.fr
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
  (61170179)

Les violences sexuelles et des complications variées

"Le dépistage est primordial car, en son absence, les personnes qui ont été victimes de violences sexuelles (VS), et qui n’auront pas suivi de parcours de soins, vont présenter des complications médicales, explique Violaine Guérin, gynécologue et présidente de l'association Stop aux violences sexuelles. En effet, le corps a la mémoire des violences vécues et il va parler pour attirer l’attention sur sa souffrance, dans une escalade de symptômes si l’on ne l’écoute pas."

Ce champ des complications somatiques commence a être mis en lumière par un nombre croissant de scientifiques. Si les symptômes psychiatriques associés aux VS sont relativement bien connus, à type d'anxiété, de dépression, de troubles du sommeil, de TOC, ou encore de stress post-traumatique, la médecine ne fait pas toujours les liens avec un passé de VS et certaines pathologies.

Cela a été l’un des objectifs de la revue de la littérature réalisée par le Dr Jean-Louis Thomas qui souligne une fréquence augmentée de certains troubles gynécologiques et gastro-intestinaux, de syndromes algiques et de la fibromyalgie, des troubles du comportement alimentaire, de la dépendance aux drogues ou à l'alcool,… chez les personnes victimes.

Le risque de cancer serait également augmenté, tout comme celui des allergies, de maladies infectieuses ou auto-immunes. Des tendances indiscutables, même s’il faut souligner la faiblesse méthodologique de certaines des études.

Les violences sexuelles et leurs complications sont à l'origine d'une grande souffrance physique et psychologique, et potentiellement source de handicap. "Le dépistage permettrait de prendre en charge ces complications, reprend-elle. Mais l’idée est surtout de les éviter grâce à un dépistage précoce des VS et de masse." 

Plus trivialement, les violences sexuelles représentent également un coût financier important si l'on prend en compte toutes les consultations, médicaments, thérapies,… qu'elles génèrent. 

Comment améliorer le dépistage en France ?

Cette amélioration passe par des actions à plusieurs niveaux, selon la spécialiste, avec en première ligne, la formation des médecins sur le sujet des violences sexuelles, quasi inexistante à l'heure actuelle.

"Tout médecin devrait savoir poser les bonnes questions, car le dépistage commence par l’ouverture de la parole, détaille le Dr Guérin. Je pose d'abord la question des violences physiques, question à laquelle il est souvent répondu « non ». En reformulant et posant la question de fessées et claques reçues, à laquelle il est souvent répondu « oui », cela permet de faire conscientiser aux patients qu’ils n’ont pas un bon cadre de référence par rapport à la violence. Puis je pose la question de la violence morale et enfin, de la violence sexuelle, que je clôture avec la mention, vous êtes-vous toujours senti respecté/e dans votre intimité ?."

Second angle, un dépistage plus actif devrait être effectué devant des troubles qui alertent l'attention… Par exemple, en cas de tentatives de suicide (où près de 40% des gens qui attentent à leur vie révèlent avoir vécu des VS quand on pose la question de façon systématique), ou de certaines pathologies médicales, comme l'endométriose, les fibromes précoces, ou encore d'autres affections auto-immunes, telles que la rectocolite hémorragique. Attention, ces maladies ne signifient pas forcément que des violences ont été subies ! Mais elles sont davantage associées à des violences sexuelles et doivent inciter les médecins à être vigilants.

Les médecins et le milieu scolaire en première ligne

Le dépistage des violenes sexuelles ne concerne pas seulement les médecins, mais aussi les encadrants de la petite enfance. "Si l’on rappelle que les violences sexuelles touchent avant tout les enfants, garçons et filles, et que ces violences sont perpétrées dans une grande majorité des cas au sein de la famille, les deux endroits clés sont le cabinet médical et le milieu scolaire, qui est l’endroit privilégié du dépistage pour les enfants victimes d’inceste, estime Violaine Guérin. Les enseignants, ainsi que les médecins et infirmiers scolaires ont aussi un rôle majeur à jouer. Si déjà dans ces deux zones, le dépistage était correctement réalisé, cela changerait énormément les choses..."

Face à la diminution du nombre de médecins dans les écoles et le surcroît de travail des infirmières scolaires, les enseignants doivent être mobilisés dans le dépistage.

"Soit l’éducation nationale met les moyens pour qu’il y ait des professionnels de santé pour dépister les maltraitances et initier la prise en charge des enfants, soit les enseignants doivent avoir un minimum d’informations et de formation sur le sujet", conclut Violaine Guérin. A l'école, bien des signes peuvent alerter : fugues, troubles du comportement, chute brutale des résultats scolaires… Il convient d'en parler au médecin ou à l'infirmière, et il relève de la responsabilité du chef d’établissement de faire un signalement (voir encadré).

D'autres espaces, à sensibiliser…

A l’âge adulte, le monde de l'entreprise est un autre espace de dépistage possible, grâce à la médecine du travail. Les directeurs des Ressources humaines devraient aussi être sensibilisés sur le fait que les personnes victimes de harcèlement moral et/ou sexuel ont plus souvent des antécédents de violences sexuelles que les autres, d'après Violaine Guérin.

Et en périnatalité, l'association Stop aux violences sexuelles a également mis au point un programme de prévention des VS. Ce programme a un triple objectif : permettre le dépistage d’antécédents de VS chez les futurs pères et mères, mettre à disposition des outils thérapeutiques d’accompagnement spécifiques à la grossesse pour les personnes victimes, visiter les cadres de référence des futurs parents en matière de violence afin de prévenir la violence éducative.

"La grossesse est un moment important, souligne le Dr Guérin, car elle un moment privilégié de remontée des amnésies traumatiques, aussi bien chez les femmes que chez les hommes. C’est d’ailleurs une des raisons de la recrudescence dans certains couples de violences conjugales pendant la grossesse qui est alors un moment de grande angoisse par effet de projection."

L’association accompagne certains couples mais surtout a à cœur de former activement sages-femmes, puéricultrices et thérapeutes, car "nous sommes là au cœur de la prévention", précise le Dr Guérin, qui rappelle que la qualité du suivi des 800.000 naissances annuelles en France devrait permettre sans problème ce type d’action de prévention.

C’est donc un maillage renforcé des personnes susceptibles de reconnaître les sujets en souffrance, qui devrait être déployé avec des moyens, à tous les niveaux de la société (périnatal, médical, scolaire, professionnel) ; "un engagement politique fort est attendu sur ce sujet, non seulement pour des raisons humaines, mais aussi pour les économies de santé abyssales qu’il entraînerait", ajoute le Dr Guérin.

Quelle prise en charge des violences sexuelles ?

La prise en charge des violences sexuelles nécessite elle aussi de fortes améliorations : "nous devons tous nous former sur le sujet et apprendre à travailler en réseau mais il y a encore beaucoup d’antagonismes, par exemple entre les médecins et les thérapeutes", regrette la gynécologue. Aujourd'hui, on prescrit beaucoup trop de médicaments aux patients au passé de VS : il faut chercher pourquoi le symptôme est là…"

Il faut aussi remettre le sujet des violences sexuelles dans tous les champs de la médecine et pas uniquement dans celui de la psychiatrie. Pour la présidente de l'association, le cœur du dépistage doit être fait par les médecins généralistes, qui ont un lien privilégié avec leurs patients. Mais comme l’on sait aujourd’hui que le corps "parle" aussi par là où il a souffert, des spécialistes comme les gynécologues, les urologues, les hépato-gastro-entérologues, les ORL, les allergologues, les endocrinologues… doivent être formés pour reconnaître les complications de ces violences et initier l’accompagnement des patients vers leur soin.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.