Violences sexuelles : comment les prévenir par l'éducation des garçons ?
Gigantesque problème de santé publique, les violences sexistes et sexuelles ne peuvent être combattues sans être abordées sous l'angle de la prévention. Repenser l'éducation des garçons, qui intègrent souvent le sexisme dès le plus jeune âge, est un des leviers d'actions pour réduire ces violences dans notre société. Aurélia Blanc, journaliste et auteure de Tu seras un homme -féministe- mon fils !, nous explique comment il est possible de minimiser la prise du sexisme sur les garçons à chaque âge.
- Quand les parents évoquent entre eux les violences sexistes et sexuelles et l’éducation des enfants, la question de l’éducation des petits garçons est souvent un non-sujet…
Aurélia Blanc : C’est vrai, et c’est un problème. Pour bon nombre de parents, il en va de leur devoir de protéger leurs filles de ces violences. Mais pour les en prémunir, ils ne pensent souvent qu’à la façon dont ils peuvent les élever elles, pour les soustraire aux potentiels agresseurs. Alors qu’il faudrait aussi prendre les choses dans l’autre sens. Les violences sexistes et sexuelles sont très majoritairement du fait des hommes sur les femmes. 96% des victimes de viols et des tentatives de viol sont des femmes. Et plus de 9 agresseurs sur 10 sont des hommes. Pour expliquer cet état de fait, il y a toujours ce mythe, tenace, qui voudrait que les violences sexuelles et les viols soient liés à une nature masculine un peu sexuellement agressive. Mais nous savons que c’est faux : elles sont bien souvent le fruit d’une éducation. La preuve qu’il n’y pas de déterminisme biologique : tous les garçons, et heureusement, ne deviennent pas des hommes sexistes et des agresseurs. L’éducation des garçons est le nerf de la guerre.
- Qu’est ce qui fait le lit des violences sexistes et sexuelles, dans l'éducation qu'on donne aux garçons ?
Aurélia Blanc : Les hommes violents envers les femmes ont tous un point commun : ils ont une vision de la masculinité et des rapports hommes-femmes qui sont profondément stéréotypés et très rigides. Et cela ne tombe pas du ciel. Ces croyances viennent d’une éducation qui, dès le plus jeune âge, transmet ces stéréotypes. Et elles sont également confortées par notre environnement culturel.
- Par quoi passe la transmission des stéréotypes de genre ?
Aurélia Blanc : Par toutes sortes de choses. Par les histoires qu’on lit aux petits garçons, par exemple. Dans les contes et la littérature enfantine, les clichés de genre sont déjà présents : les hommes sont fait pour conquérir – et s’en trouvent socialement valorisés- et les femmes, plus passives, pour être conquises. Toute cette imagerie et ce bagage culturel véhiculent l’idée qu’il faut insister auprès des femmes. Cela peut sembler anecdotique, mais ça ne l’est pas : à l’adolescence, ces idées sont très ancrées dans la tête des garçons et elles vont avoir un influence sur leur vision des femmes et des rapports sexuels (insistance pour avoir des rapports sexuels, refus du port du préservatif...). Mais cette transmission de clichés ne se fait pas qu'à travers les produits culturels, elle est aussi le fait des parents eux-mêmes.
- De quelle manière ?
Aurélia Blanc : Les parents s’emploient à distinguer leurs petits garçons des filles, beaucoup plus que l’inverse. Globalement, une petite fille peut s’aventurer sur un terrain dit "masculin" sans trop de réprobations. En revanche, des tenues vestimentaires, des goûts ou des attitudes perçus comme "féminins", chez un garçon, sont souvent très fermement condamnés par les parents. Par exemple, si un petit garçon croise les jambes, il est repris. Il s'entend dire qu’il se tient "comme une fille". De la même manière, les pères et les mères ont tendance à réprimer l’expression des émotions de leur fils, qui selon eux est une caractéristique féminine. En revanche, parce que dans l’inconscient collectif les garçons ont par nature "besoin de se dépenser", ils tolèrent qu’ils soient turbulents, coupent la parole ou occupent l'espace. Beaucoup plus que les petites filles à qui l'on demande d’être "sages" et de rester discrètes. Les garçons grandissent avec l'idée qu’ils ont du pouvoir.
- Pourquoi les parents véhiculent-ils ces clichés ?
Aurélia Blanc : Les parents ne se rendent pas toujours compte de leurs réflexes sexistes. Déjà, ils ont souvent ce bagage culturel eux-mêmes. Et surtout ils pensent faire ce qui est bien pour leur fils. Ils veulent qu’il soit bien inséré socialement. La peur de l’homosexualité masculine pèse aussi très fortement. Pour cela, ils pensent qu’il faut le reprendre lorsque ce qu’il fait ne colle pas avec ce qu’on attend d’un garçon. C’est malheureusement profondément délétère : ces réactions empêchent le petit garçon en construction d’être ce qu’il est et lui inculquent l’idée, indirectement mais très fortement, que le féminin est méprisable et qu’il faut s’en démarquer à tout prix. C’est la porte d’entrée vers une pensée et une attitude sexiste. S’élever contre ces modes éducatifs traditionnels est très difficile, d'autant que la pression sociale est forte. Et il y a aussi des âges où c’est important pour le garçon de coller aux stéréotypes pour se construire et être intégré dans le groupe. Pour les parents, c’est un équilibre compliqué...L’essentiel n’est pas de bannir le stéréotype, ce qui est de toute façon impossible. Le but est de permettre au petit garçon de ne pas se laisser enfermer dans ce carcan.
- Que faire pour lutter contre la perpétuation de ces constructions sexistes ?
Aurélia Blanc : Dès le plus jeune âge, il faut être attentif à accepter et favoriser l’expression des émotions chez les garçons. Plus la palette des émotions qu’on lui laisser exprimer, et que l’on verbalise, est importante, plus il sera connecté à celles-ci. Si un enfant ne sait pas identifier et reconnaître ses émotions, il se forme un magma d’émotions indifférenciées qui se transforme en agressivité. Parallèlement, il est crucial de remettre en question l’image du prince conquérant et la princesse passive. Il existe une littérature moins sexiste, minoritaire mais de plus en plus présente. Et si on choisit de raconter une histoire sexiste, parce que c’est le patrimoine commun et qu’on a envie de le transmettre, c’est une bonne idée de demander au petit garçon ce qu’il en pense, d’ouvrir le débat, de ne pas faire comme s'il s’agissait de rôles acquis et inamovibles. Enfin, l’idéal est de faire accéder l’enfant à un large spectre d’activités, idéalement mixtes - les activités de groupe entre garçons sons souvent le lieu où, pour être acceptés, les petits garçons doivent verser dans la surrenchère des codes de la masculinité. Sans le forcer, évidemment.
- Ce qu’on dit devant les petits garçons et aussi très important…
Aurélia Blanc : Oui. Il faut être attentif, en particulier, à ne pas sexualiser et "romantiser" systématiquement les rapports filles-garçons. Les réflexions comme "on va les marier ces deux-là", "attention à ta fille…" sont à bannir. Elles introduisent d’emblée deux idées : celle qui voudrait que le petit garçon doive chasser et conquérir la petite fille, et l’autre qui réduit l’interaction entre les garçons et les filles à des rapports sexuels et amoureux. De la même manière, les parents doivent faire attention à ne pas tenir des propos sexistes et dévalorisants à propos d’autres femmes devant le petit garçon : la culture du viol se construit aussi sur l'idée que certaines femmes ne sont pas "respectables".
- Et comment aborder la notion de consentement avec les garçons ?
Aurélia Blanc : L’idée du consentement s’aborde bien avant la puberté, mais hors du contexte sexuel. Le terme est un peu compliqué pour un enfant. Mieux vaux parler d’intimité et prendre un exemple du quotidien. En parlant des cheveux, par exemple. On peut demander à son fils s'il veut bien que sa grande sœur lui coupe une petite mèche de cheveux, pour jouer. Si il dit oui, c’est l’occasion de lui demander si, en revanche, il serait content si elle revenait lui couper tous les cheveux dans la nuit, pendant qu’il dort. Cela lui permet de comprendre, très concrètement, qu’on ne touche pas au corps de l’autre sans son accord et qu’on peut être d’accord à un moment donné, et ne plus l’être par la suite. Par ailleurs, quand le garçon est plus âgé, on peut se saisir d’un fait d’actualité pour aborder la question du viol. On peut alors lui demander ce qu’est un viol, et si il pense qu’on peut commettre un viol sur une femme, alors même que c’est déjà son amoureuse. Il ne s’agit pas de le mettre dans une position de potentiel agresseur mais de lui parler du viol comme d'un fait de société, qui nous concerne tous.
Livre :
- Tu seras un homme - féministe - mon fils !
Aurélia Blanc
Ed. Marabout, octobre 2018
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