Viol : encore trop d'idées reçues
- Tenues sexy qui inciteraient au viol, plaisir à être forcée, un "non" à une relation sexuelle qui veut dire "oui"… On le constate dans votre enquête : certains clichés ont la vie dure. Comment expliquez-vous qu'en 2016 certains Français puissent encore penser cela ?
Dr M. Salmona : "On est en pleine culture du viol et du déni de la réalité des viols. Malheureusement, cela perdure. A partir du moment où on a une telle méconnaissance du viol, où on abandonne totalement les victimes, le viol n'est pas pris en compte comme il le devrait.
"Il n'y a justement pas de culture de la solidarité, pas de prise en charge et de protection des victimes. Ce qui est vraiment au devant de la scène, c'est plutôt une vision de déni, d'équivalence entre sexualité et violence où la sexualité pourrait être une zone de non-droit.
'Il y a aussi des stéréotypes sur la sexualité masculine avec des pulsions incontrôlées. La femme, elle, aurait une sexualité passive où il faudrait un peu la forcer."
- Certains stéréotypes sont bien ancrés, notamment chez les jeunes. On dit souvent qu'il n'y a pas de véritable éducation sexuelle à l'école. Selon vous, est-ce un élément d'explication ?
Dr M. Salmona : "C'est en effet un élément très important. Il faut qu'il y ait une éducation sexuelle, au respect de l'autre, au respect du consentement de l'autre… Et puis, il faut contrecarrer la pornographie qui colonise beaucoup les jeunes. Ils regardent beaucoup ces films, souvent dès l’âge de 11-12-13 ans. Cela leur donne une vision de la sexualité qui est violente et qui justement correspond à tous ces stéréotypes."
- Selon votre étude, seul 1% des viols fait l'objet d'une condamnation. Est-ce que les femmes n'osent toujours pas assez porter plainte ? La justice est-elle trop laxiste ?
Dr M. Salmona : "A cause de cette culture du viol, de ce déni, les victimes ont peur de porter plainte. Elles pensent qu’on ne va pas les croire, qu’on va leur renvoyer qu’elles sont coupables, que c’est de leur faute…Et puis, les professionnels commencent à être formés, mais il faut encore faire des efforts.
"Il y aussi beaucoup de viols qui sont déqualifiés et cela explique ce chiffre. Et puis, pour les enquêtes, on ne prend pas assez en compte d'autres faisceaux d'indices, comme les conséquences psycho-traumatiques et les mécanismes neurobiologiques qui expliquent les phénomènes de sidération, par exemple. La victime n'a pas pu crier, n'a pas pu se défendre… Il y a aussi la dissociation qui fait qu’elle est complètement déconnectée. Ces phénomènes vont plutôt être pris en compte pour décrédibiliser la parole de la victime, plutôt que comme une preuve en soi."
- Beaucoup de viols (incestes ou viols conjugaux) ont lieu dans la cellule familiale. Est-ce une des raisons du silence des victimes ?
Dr M. Salmona : "Oui, dans ces cas-là, il y a 2% seulement des victimes qui portent plainte. Ce sont souvent des enfants. Les viols se produisent essentiellement dans la famille ou dans le couple par 90% de personnes connues. Et cela participe effectivement à cette loi du silence.
"Si les victimes n'entendent pas parler de situations qui les concernent, elles vont avoir des doutes, se sentir isolées, ne pas connaître leurs droits. Et du coup, elles ne feront pas la démarche de porter plainte. Il faut donc aller vers elles."
- Que faut-il faire pour améliorer la prise en charge des victimes de viols ?
Dr M. Salmona : "Il faut renforcer la formation des professionnels, et notamment ceux de santé, pour qu'il y ait une réelle prise en charge. Nous, ce qu'on veut, c'est la création de centres de soins. Cette formation permettra justement de déconstruire toutes ces idées fausses, tous ces mythes. On voudrait une véritable politique, un plan Marschall en quelque sorte, de lutte contre ces violences. Les viols, c'est aussi un problème de santé publique."
Source : "Les Français et les représentations sur le viol" (PDF), Ipsos pour Mémoire traumatique et victimologie, décembre 2015.
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