Drôme : les urgences fermées cet été traduisent la crise du système
"Les médecins intérimaires boycottent les hôpitaux publics, estimant que le niveau de leur rémunération qui est désormais plafonné n'est pas suffisant", voilà comment Jean-Pierre Coulier, directeur des Hôpitaux Drôme Nord, explique dans une interview vidéo au Dauphiné Libéré la fermeture des urgences de Saint-Vallier en août. Il n'a trouvé personne pour remplacer les départs en vacances.
Ce "boycott" a été déclenché par une réforme mise en place depuis le 1er janvier 2018 pour plafonner le salaire des interimaires. Selon le décret du 24 novembre 2017, la limite est fixée pour cette année à 1.404,05 euros brut pour une garde de 24 heures puis à 1.287 euros en 2019, et 1.107 euros en 2020. Des nouveaux tarifs immédiatement dénoncés par le Syndicat National des Médecins Remplaçants en Hôpitaux (SNMRH) qui s'est créé pour contester cette baisse de leurs revenus.
Une contestation non justifiée
Pourtant, selon le Dr Christophe Prudhomme, porte-parole de l'Association des Médecins Urgentistes de France (AMUF), "ce niveau de rémunération est honnête. Il est 30% supérieur à celui d'un urgentiste titulaire, une sorte de bonus pour compenser la précarité liée au statut de remplaçant", précise-t-il. "Le plafonnement était devenu indispensable car les hôpitaux se concurrençaient pour attirer les médecins remplaçants en proposant des salaires élevés. Pour la nuit de Noël par exemple, la garde était à 3.000 euros, ce qui est fou".
"C'est scandaleux", estime Frédéric Valletoux, président de la FHF, Fédération Hospitalière de France, qui rassemble les directeurs d'établissements. "Les hôpitaux qui appliquent la loi sont boycottés par certains médecins intérimaires : ce sont des mercenaires à la recherche de vacations juteuses", dénonce-t-il. "Nous avons demandé à l'Ordre des médecins de prendre à leur encontre des mesures disciplinaires mais pour le moment, ce n'est pas le cas".
Le Conseil National de l'Ordre des Médecins a néanmoins réagi. Pour lui, les appels à l'arrêt d'activité du collectif de médecins interimaires sont des "comportements peu soucieux du devoir d'humanité envers les patients, (...) susceptibles de nuire à leur prise en charge et déconsidèrent la profession". Et d'ajouter : "Dans la défense de ses intérêts matériels, un médecin doit tenir compte de ses responsabilités éthiques et déontologiques".
Hôpitaux et patients subissent la loi du plus offrant
Mais pour Frédéric Valletoux, le véritable problème, c'est la pénurie de médecins. "25% des postes ne sont pas pourvus. Le recours aux intérimaires devait être une solution temporaire pour calmer une urgence, mais cela devient un mode de fonctionnement régulier pour les hôpitaux publics qui n'ont pas le choix...", déplore le président de la FHF. "Ce plafonnement, que nous avions demandé, n'est pas suffisant. Si nous ne voulons plus être à la merci de quelques mercenaires dans les périodes critiques comme l'été et les fêtes de fin d'année, il faut recréer de l'attractivité à l'hôpital".
Les patients en danger
Le Dr Christophe Prudhomme confirme l'urgence d'une réflexion plus globale sur la situation hospitalière. "Ce n'est pas en tapant sur les urgentistes intérimaires, qui ne sont d’ailleurs pas tous des mercenaires, que l'on va résoudre le problème, explique-t-il. Il faut d'abord baisser la charge de travail des médecins titulaires pour qu'ils ne se tournent pas vers la meilleure qualité de vie offerte par l'intérim". Un objectif impossible à obtenir tant que la pénurie de professionnels fait rage. Alors l'urgentiste suggère de "supprimer le numerus clausus qui limite le nombre des étudiants en médecine et de les inciter à faire leur internat dans les régions qui en ont le plus besoin. Au bout de quatre ans, il y a de fortes chances pour qu'un petit pourcentage de médecins reste dans l'hôpital qui l'a formé".
En attendant, le Dr Prudhomme invite chacun à réagir face aux fermetures comme celle des urgences de St-Vallier. "Cela fait quinze ans que ça dure mais là, la situation est devenue critique : les familles doivent porter plainte contre l'Etat", estime-t-il, l'accès aux soins est un droit constitutionnel".
En France, on estime que 6.000 praticiens ont choisi l'intérim. Un choix qui coûte 500 millions d'euros chaque année à l'hôpital.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.