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"Si des structures proposaient des dons de sang rémunérés, je les boycotterais"

L'Etablissement français du sang (EFS) n'a pas perdu son monopole, mais l'idée est dans les tuyaux et ne réjouit pas du tout les donneurs de sang bénévoles. Reportage dans un centre de don du 15e arrondissement de Paris.

 

Article rédigé par Jéromine Santo-Gammaire
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Claude et une infirmière bavardent tandis qu'elle retire la poche de plaquettes, le 5 février 2015 au centre de don du sang du 15e arrondissement de Paris. (JEROMINE SANTO-GAMMAIRE / FRANCETV INFO)

"Vous voulez une boisson chaude, une viennoiserie ?" La petite dame en blouse blanche, serveuse désignée, disparaît par la porte derrière le comptoir. Une seconde après, elle revient avec un petit plateau portant une tasse fumante. Assise à une table, devant une corbeille de gâteaux, Laura, 25 ans, feuillette un magazine et reprend des forces. Comme 2,5% des Français, elle donne son sang. Dans ce centre de l'Etablissement français du sang (EFS), rue Cabanel, dans le 15e arrondissement de Paris, jeudi 5 février, c'est sa deuxième fois.

"Mon père m'a toujours encouragée à le faire, raconte-t-elle. Avant, je ne pouvais pas parce que je faisais de l'aviron à haut niveau, je m'entraînais une à deux fois par jour, je ne pouvais pas m'arrêter trois jours pour récupérer." Aujourd'hui, elle essaie à son tour de convaincre sa mère et sa sœur de participer. "Nous sommes en bonne santé, notre sang est sain, autant en faire profiter ceux qui en ont besoin. Et puis c'est vraiment rapide ! La prise de sang a duré dix minutes", ajoute-t-elle, encore étonnée.

Un petit groupe de jeunes d'une vingtaine d'années pénètre dans l'espace. Ils sont en BTS tourisme dans un établissement voisin. C'est l'intervention d'une infirmière de l'EFS dans leur classe qui les a décidés à venir. "Vous voulez une boisson chaude ? répète la dame aux petits soins avec les donneurs. Surtout, buvez beaucoup d'eau." "Lorsque les donneurs viennent, on les chouchoute, reconnaît la docteur Geneviève Woimant, responsable du centre. C'est le moins que l'on puisse faire."

"Je regrette de ne pas avoir donné mon sang plus jeune"

Avant de goûter la collation, le donneur se présente à son arrivée au comptoir de l'accueil où on lui remet une planche d'étiquettes avec un numéro qui permet à l'EFS de tracer les tubes et les poches de prélèvements réalisés. Après quoi, le donneur remplit seul un questionnaire et rencontre un médecin afin de déterminer s'il est apte au don en termes de sécurité pour lui-même et pour celui qui recevra son sang. On peut donner son sang, mais également du plasma ou des plaquettes, un processus plus long. L'EFS doit ainsi recueillir 10 000 dons par jour pour couvrir l'ensemble des besoins sur le territoire français.

En bas des escaliers, dans la salle de prélèvement, les donneurs de plasma somnolent ou lisent un livre, allongés dans un fauteuil. De leur bras sort leur sang, via un cathéter relié à un appareil complexe. "Mon sang est aspiré, la machine le divise, récupère le plasma et les plaquettes, ensuite le mécanisme s'inverse et me réinjecte mon sang", détaille Valérie.

Une poche de plasma et une poche de plaquettes prélevées dans l'après-midi, le 5 février 2015. (JEROMINE SANTO GAMMAIRE / FRANCETV INFO )

A 60 ans, cette organisatrice d'événements donne son sang depuis six ans. "Je regrette seulement de ne pas avoir commencé plus tôt. C'est facile, il suffit de s'asseoir et d'attendre." Elle affirme n'avoir jamais ressenti de malaise et être toujours repartie par les escaliers plutôt que par l'ascenseur. 

"L'EFS restera le seul à pouvoir réaliser des collectes"

Depuis une semaine, le bruit circule que le don de sang pourrait devenir rémunéré. "Il y a un amalgame qui est fait", tempère le docteur Daniel Bloom, délégué syndical SNTS CFE-CGC. Depuis le 31 janvier, l'EFS ne peut plus distribuer de plasma SD, à la suite d'une décision du Conseil d'Etat prise en juillet 2014. Le président de l'EFS, François Toujas, s'efforce de calmer l'emballement médiatique. "Rien ne change, si ce n'est que des laboratoires pourront vendre leur plasma SD aux hôpitaux français, mais nous produisons toujours deux autres plasmas pharmaceutiques. De plus, ils devront collecter le plasma à l'étranger et de façon éthique, c'est-à-dire sur la base du don volontaire, anonyme et non rémunéré. L'EFS restera le seul à pouvoir effectuer des collectes sur le sol français."

En réalité, l'idée d'une fin du monopole de l'EFS sur la collecte de plasma qui pourrait entraîner une rémunération des dons est évoquée dans un audit commandé par le ministère de la Santé. Mais, pour appliquer ces préconisations, il faudrait d'abord changer la loi. Rien de concret donc, pour l'instant. "Un acte rémunéré n'est pas un acte citoyen et pourrait entraîner des dérives sur la marchandisation du corps humain, estime François Toujas. D'ailleurs, rien ne laisse penser que cela suscitera plus de dons, l'inverse s'est même produit dans certains pays qui ont fait ce changement. Les donneurs viennent parce que c'est non rémunéré."

Effectivement, la perspective de toucher de l'argent ne rencontre aucun enthousiasme chez les donneurs de sang du 15e arrondissement. "Ça ne me semble pas vraiment compatible avec le principe de don du sang, estime Laura, un peu indécise. C'est censé être un acte de générosité…"

"Un engagement humain"

"C'est une sorte d'engagement humain", assure pour sa part Claude, psychothérapeute dans le quartier, habitué à donner son sang régulièrement depuis quarante-cinq ans. Il y a trois ans, il a appris que la petite-fille de sa compagne était atteinte de leucémie, ce qui l'a encore davantage conforté dans sa démarche. "Si des structures proposaient des dons rémunérés, je les boycotterais. C'est l'un des derniers domaines qui échappent à la marchandisation."

Le sexagénaire affirme, en se tournant vers l'infirmière, qu'il continuera à donner jusqu'à ce qu'on l'arrête à cause de son âge. "Oh, vous avez encore du temps, vous pouvez donner jusqu'à la veille de vos 71 ans", répond la soignante. Claude lance une boutade qui fait rire son interlocutrice. "Ce que j'apprécie ici, c'est l'ambiance. On connaît les infirmières à force de venir, parfois on parle de choses personnelles. Ça s'explique aussi parce que les dons sont bénévoles et totalement désintéressés."

De son côté, l'infirmière s'interroge : "Il y a des maladies que l'on ne détecte pas avec des tests. Si le don était rémunéré, est-ce que tout le monde dirait la vérité sur sa santé au moment de répondre au questionnaire ?"

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