Mal de mer : soigner le mal par le mal
Bon pied bon œil, voilà vingt ans que l’équipe du Dr Bonne est sur le pont pour soigner chaque année une centaine de personnes, professionnels de la mer, skippers ou simples plaisanciers, souffrant du mal de mer.
Faim, frousse, froid et fatigue
D’installation progressive, ce trouble appartient à la famille des cinétoses, plus connues sous le nom de mal des transports. Il se traduit généralement par des maux de tête, des vertiges, des sueurs froides et des nausées.
Un phénomène d’autant plus incommodant que personne n’est à l’abri. "Lors d’une transatlantique, en conditions normales, on estime qu’environ 20% des passagers seront sujets au mal de mer", précise le chef du service ORL de l’hôpital de Brest. Mais certains facteurs de risques - surnommés "les quatre F" pour "Faim, Frousse, Froid et Fatigue" - sont connus pour augmenter ce trouble. Ainsi lors d’une tempête ou d’un naufrage, 80 à 100% des navigants vont être sujets au mal de mer.
"Il n'est donc pas anormal d'être malade en mer au moins les premiers jours de navigation, mais cela devient un réel souci quand l’amarinage, c’est-à-dire l’adaptation, ne se fait pas", résume Loïs Bonne. "C'est d'autant plus délicat qu’il n’existe pas à l’heure actuelle de facteurs de prédisposition connus, notamment génétiques, au mal de mer", précise l’ORL.
Et si les plaisanciers occasionnels peuvent compter sur des traitements médicamenteux à base d’antihistaminiques ou d’atropine, ces derniers ne sont pas dénués d’effets secondaires et ne peuvent donc pas être pris au long cours. Pour les passionnés de la plaisance et autres marins professionnels en souffrance, une autre solution existe : la rééducation.
Résoudre un conflit sensoriel
Ainsi la meilleure connaissance au cours de ces vingt dernières années de notre centre de l’équilibre a permis de mettre au point des techniques de rééducation des sujets sensibles.
Le mal de mer a pour origine un conflit interne entre nos trois centres de l’équilibre : les yeux qui transmettent au cerveau des informations sur les objets qui nous entourent et leur position dans l’espace, l’oreille interne qui fait office d’accéléromètre en indiquant au cerveau les variations de notre vitesse de déplacement, et enfin les capteurs proprioceptifs situés au niveau de nos tendons, nos articulations et notre peau qui nous permettent de situer notre corps dans l’espace.
En cas de mal de mer, la coordination au niveau cérébral de ces informations est perturbée. Le conflit majeur est lié à la stimulation de l'oreille interne par les mouvements verticaux de la houle, comparables à ceux d’un piston. Un mouvement différent de celui perçu par les capteurs propriceptifs des voutes plantaires, fixés au pont, qui peut être accentué par la vision quand, par exemple, nous lisons une carte maritime ou que nous sommes de corvée de pommes de terre au fond de la cale. "Chez certaines personnes, le cerveau va être capable de résoudre ce conflit car il aura intégré des schémas résolutifs à l’occasion d’expériences passées. Chez d’autres, pauvres en références ou plus sensibles, la capacité d’adaptation sera moindre", détaille le Dr Bonne.
Rééducation optocinétique
D’où l’idée "d’éduquer" les sujets sensibles en créant artificiellement des conflits semblables à ceux rencontrés en mer afin de les résoudre progressivement. "Le but est de créer volontairement un conflit sensoriel pour que le cerveau s’habitue progressivement à mettre en place des solutions".
Initialement, les séances d’une trentaine de minutes se déroulaient dans une salle plongée dans le noir, devant un écran sans repère où le patient, debout et sans appui était soumis à l’action d’un planatorium, sorte de boule à facette stroboscopique dont le défilement de spots lumineux entraînait une illusion de mouvement. Aujourd’hui, ce système est progressivement remplacé par l’emploi de lunettes numériques (photo ci-dessus) permettant de plonger le patient dans des scénarios de mers agitées. "Nous pouvons en moduler l’intensité en jouant sur l'amplitude de la houle ou la position du bateau", détaille le médecin. Le programme, qui comporte généralement une dizaine de séances à raison d'une par jour maximum s’accompagne également d’une rééducation cognitive afin d’apprendre aux personnes à mieux gérer les autres facteurs de risques et notamment le stress ou la fatigue.
Si la technique n’est pas infaillible, elle affiche tout de même de très bons résultats. Ainsi en 2010, l’équipe ayant mené une enquête sur 110 marins a obtenu une amélioration significative dans 75% des cas. En 2013, une autre étude publiée dans les annales européennes d’ORL comparant l’effet de la rééducation optocinétique à un placebo montrait que parmi les sujets rééduqués, 71,4% avaient été améliorés par la rééducation contre 12,5% dans le groupe placebo.
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