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Santé : six questions sur l'Androcur, ce traitement hormonal qui peut provoquer des tumeurs au cerveau

Le risque de méningiome est jusqu'à 20 fois plus élevé chez les femmes qui prennent ce traitement à fortes doses et sur une longue période, selon un rapport de l'Assurance-maladie et de l'hôpital Lariboisière.

Article rédigé par franceinfo
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Une boîte d'Androcur dans une pharmacie parisienne, le 10 novembre 2004. (SIMON ISABELLE / SIPA)

L'Agence nationale de la sécurité du médicament (ANSM) a annoncé, jeudi 6 septembre, s'interroger sur les risques posés par l'Androcur. Ce traitement hormonal, généralement prescrit pour combattre une pilosité excessive chez les femmes, peut multiplier par 20 le risque de développer des tumeurs au cerveau en cas d'utilisation prolongée.

Les chercheurs connaissaient ce risque mais ont été "surpris" par son ampleur, confirmée par une étude menée par l'Assurance maladie et l'hôpital parisien Lariboisière. "Cela constitue un fait nouveau qu'il faut prendre en compte dans l'évaluation du rapport bénéfice/risque de ce produit", précise Jean-Michel Race, endocrinologue à l'ANSM. Nous vous expliquons les inquiétudes autour de ce médicament.

Qu'est-ce que l'Androcur ?

L'acétate de cyprotérone, nom générique de l'Androcur, est "un dérivé de la progestérone", indique l'ANSM. Fabriqué par le laboratoire allemand Bayer, il a pour objectif de bloquer l'activité des hormones mâles. La France représente 60% du marché européen de ce traitement, également distribué au Royaume-Uni, en Italie, en Espagne et en Allemagne.

Dans quels cas ce médicament est-il prescrit ?

Dosé à 50 mg, l'Androcur est prescrit aux femmes dans le cadre de la prise en charge de l'hirsutisme (une augmentation du système pileux causée par certaines maladies hormonales). Il est également utilisé pour traiter d'autres pathologies, notamment l'endométriose.

Il est parfois prescrit pour des signes d'androgénie petits ou moyens : une pilosité un peu plus importante, une tendance à l'alopécie (une perte de cheveux), des peaux grasses et acnéiques.

Jean-Michel Race, endocrinologue à l'ANSM

à l'AFP

L'Androcur est également parfois préconisé dans le traitement certaines formes de cancer de la prostate chez l'homme. Il peut aussi être prescrit à des personnes transgenres, afin de diminuer les hormones mâles dans le cadre de leur parcours de transition.

Ce médicament existe aussi avec un dosage de 100 mg. Sous cette forme, il est utilisé comme traitement de "castration chimique", dans le cadre de la prise en charge des agresseurs sexuels. Il est alors utilisé pour éviter les récidives "en association avec une prise en charge psychothérapeutique", indique l'ANSM.

Quels sont les risques de ce traitement ?

L'Assurance-maladie a suivi 250 000 femmes prenant de l'Androcur pendant huit ans (la durée moyenne est de trois ans, précise l'ANSM). Cette étude pharmaco-épidémiologique révèle que le risque de développer un méningiome est multiplié par 7 chez les femmes ayant pris une forte dose ("plus de 3 g sur six mois") de ce traitement. "Il existe par ailleurs une forte relation entre la dose et l’effet, le risque étant multiplié par plus de 20 au-delà d’une dose cumulée de 60 g, soit environ cinq ans de traitement à 50 mg par jour ou 10 ans de traitement à 25 mg par jour", conclut le rapport de l'Assurance-maladie.

Le méningiome est souvent une tumeur bénigne. Mais "les méningiomes liés à l’acétate de cyprotérone sont souvent multiples et peuvent, en grossissant, être à l'origine d'un déficit fonctionnel important, de symptômes sévères comme des troubles visuels", explique Sébastien Froelich, neurochirurgien à Lariboisière, au Quotidien du médecin.

Marlène Vault a ainsi développé des difficultés à parler à cause d'une tumeur de "5 centimètres sur 9" au cerveau, rapporte L'Express. Selon l'hebdomadaire, cette trentenaire rennaise prenait de l'Androcur depuis sept ans. Opérée du cerveau, elle "souffre désormais d'épilepsie et de troubles de la mémoire, ne peut plus conduire et a dû arrêter de travailler".

L'Express précise que Marlène Vault a créé un groupe de soutien sur Facebook. D'autres patientes y témoignent de troubles similaires : l'une a perdu le goût et l'odorat, une autre est handicapée par des troubles visuels et une paralysie faciale, une troisième souffre de violents maux de tête. Certaines de ces patientes ont perdu leur emploi ou ont été "mises en invalidité" à cause de ces séquelles.

Pourquoi les découvre-t-on seulement aujourd'hui ?

Sébastien Froelich, neurochirugien à l'hôpital Lariboisière, a donné la première alerte en 2008. "J'ai commencé à me poser des questions le jour où j'ai vu en consultation deux patientes sous Androcur atteintes de méningiomes multiples, dont l'une était sur le point de devenir aveugle", raconte-t-il à L'Express. Ses soupçons s'accumulent lorsqu'une autre patiente, a priori inopérable, voit sa tumeur régresser après l'arrêt du traitement. "C'était un argument de plus pour établir un lien avec le remède", note Sébastien Froelich. Le neurochirugien a alors compilé les cas et présenté le dossier dans des congrès médicaux.

Un an plus tard, la France a saisi l'Agence européenne du médicament qui fait préciser sur la notice de l'Androcur que "des cas de méningiomes ont été rapportés lors d'utilisations prolongées (plusieurs années)". Selon L'Express, l'enquête de pharmacoviligance mise en place en France ne donne que peu de résultats et les investigations sont abandonnées.

Sébastien Froelich a toutefois persévéré et monté un groupe de travail à Lariboisière. "En 2015, il finit par aller frapper, avec une de ses patientes également médecin, à la porte de l'Assurance-maladie, seule à même de mener une étude nationale pour évaluer l'ampleur du risque, grâce à ses gigantesques bases de données", rapporte L'Express. Les résultats de cette enquête ont poussé les autorités sanitaires françaises à étudier de plus près les risques présentés par l'Androcur.

Combien de femmes sont concernées ?

L'étude de l'ANSM et de Lariboisière indique qu'environ 500 femmes traitées avec de l'acétate de cyprotérone ont subi une intervention pour un méningiome entre 2007 et 2015. Selon Jean-Michel Race Race, "89 000 femmes ont fait l'objet d'au moins une prescription [d'Androcur] en 2017" en France. "Ces chiffres reposent sur l'analyse des seuls cas opérés. Or les médecins ne retirent pas toujours les tumeurs, car elles régressent souvent spontanément après l'arrêt du traitement, indique Isabelle Yoldjian, cheffe de pôle des médicaments en endocrinologie à l'ANSM, contactée par l'hebdomadaire. Et certaines peuvent aussi passer longtemps inaperçues."

Que préconise l'ANSM ?

L'agence du médicament a annoncé, jeudi 6 septembre, qu'elle ne jugeait pas nécessaire de retirer l'Androcur du marché. "Il a des bénéfices dans les indications qui sont les siennes", explique Jean-Michel Race. Les autorités sanitaires vont en revanche demander à l'Europe de "repréciser ces indications" pour éviter les utilisations impropres du médicament et de ses génériques. L'objectif est de "confirmer qu'il ne faut pas l'utiliser dans les pathologies plus légères [que celles pour lesquelles il est indiqué] et définir pour combien de temps et avec quelles posologies maximales" il doit être prescrit.

L'ANSM a, en outre, mis en place un Comité scientifique spécialisé temporaire, "constitué d'endocrinologues, de gynécologues, de neurochirurgiens et de dermatologues", rapporte Le Quotidien du médecin. Le groupe d'experts s'est réuni une première fois, mi-juin, et doit se voir à nouveau le 1er octobre. "On aura alors les grandes lignes en termes d'indication, de durée et de posologie", selon Jean-Michel Race. Ces données seront transmises au niveau européen "avant la fin de l'année" pour une procédure dont l'issue est espérée en 2019.

Les nouvelles recommandations seront, en outre, communiquées aux professionnels de santé d'ici à la fin de l'année 2018, précise Le Quotidien du médecin. L'ANSM appelle en attendant à la prudence. Les médecins doivent "réévaluer l'intérêt de cette spécialité, surtout si le produit est prescrit depuis plus de 5 ans". "Lorsqu'un méningiome est diagnostiqué, neurochirurgien et prescripteur doivent discuter, mais l'arrêt du traitement est certainement la meilleure chose à faire", conclut le chef du service de neurochirurgie de Lariboisière, Sébastien Froelich, interrogé par Le Quotidien du médecin. L'ANSM invite les patients concernés à "se rapprocher de leur médecin ou de leur pharmacien". "Ils ne doivent en aucun cas arrêter leur traitement sans l'avis d'un médecin", précise l'agence sanitaire.

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