Psychiatrie : crise profonde parmi les professionnels dans l'ensemble de l'Hexagone
Depuis bientôt neuf semaines les soignants du centre hospitalier Guillaume-Régnier, situé à Rennes, sont en grève. Les professionnels, qui sont représentés par le syndicat Sud Santé Sociaux, ne demandent pas une hausse des salaires, mais une hausse des moyens financiers pour soigner les patients. Tous dénoncent l'abandon et le désintérêt de l'Etat pour le secteur.
Pourtant, en France, les pathologies psychiatriques sont au troisième rang des maladies les plus fréquentes, juste derrière le cancer et les maladies cardiovasculaires. Selon le rapport de la Cour des comptes de 2011, entre 5 et 10 % de la population risque même d'être un jour atteint par un trouble mental.
Epuisement professionnel et "idées noires"
Sur la devanture du centre Guillaume-Régnier, plusieurs banderoles : "hôpital sans lits", "redonnons du sens à notre travail", "souffrance au travail". "Le patient est devenu un objet " explique Michel Roy, infirmier à l'hôpital psychiatrique de Rennes à l'AFP. Il poursuit : "je dis aux jeunes de fuir". En cause ? Le manque de moyen et l'absence de réaction étatique. Alors, pour sensibiliser l'opinion et les pouvoirs publics, les soignants posent "des heures, des jours" afin d'assurer 24 heures sur 24 le piquet de grève, confie Michel Roy.
Si la situation est aujourd'hui explosive à Guillaume-Régnier, c'est parce qu'un mal-être s'y est progressivement installé ces dernières années. Selon Sud Santé et la CGT, l'absentéisme aurait progressé de 1,5 % entre 2014 et 2016 et atteindrait en moyenne depuis cette date 8,5 %. Au total, les syndicats soulignent également que près de 1.400 signalements liés à des dysfonctionnements (violence, manque de lits, sous-effectifs) ont été adressés à la direction, à l'inspection du travail et au préfet. Dans cet établissement breton, comme l'explique Goulven Boullion, de Sud Santé Sociaux, c'est le "ras-le-bol et la tentative de suicide d'une collègue" qui ont décidé les syndicats à lancer un mouvement de grève. "Il n'est pas rare de retrouver un collègue seul à 23 heures pour gérer 15 personnes" précise-t-il. Même inquiétude chez Martine, 58 ans, qui s'occupe des soins paramédicaux. "Les collègues ont des idées noires. On a peur que cela se termine en suicide" prévient-elle.
Des grèves qui se multiplient
Jean-Pierre Salvarelli, membre du bureau national du Syndicat des psychiatres des hôpitaux (SPH), résume sobrement : "on n'en peut plus". Depuis désormais 25 ans, il est psychiatre au Vinatier, une structure de la région lyonnaise de 2.500 soignants où 22.500 patients sont suivis chaque année. Tout comme d'autres confrères, il est l'un des signataires de "l'appel des psychiatres et médecins du centre hospitalier le Vinatier" rédigé en février 2017 et dénonçant la "tyrannie des économies comptables".
Plus généralement, les mouvements de grève se sont multipliés ces derniers mois. En avril, des praticiens du centre hospitalier de Montfavet, dans la région d'Avignon, se sont associés à des collègues exerçant à Rennes, à Lyon, mais aussi dans la Somme, le Cher et la Gironde. "Aujourd'hui, notre idée est d'entrer en résistance et d'interpeller les pouvoirs publics. Les impacts budgétaires, c'est soit on supprime des postes, soit on supprime des lits" explique Jean-Pierre Salvarelli.
Manque de moyens et dégradation de la prise en charge
"Il y a des années que je n'ai pas pris le temps d'aller au café d'en face avec un patient et de discuter" déplore Michel Roy. Même amertume chez Antoine, son collègue. "On est devenu des gestionnaires de lits, le soin a perdu son sens" affirme-t-il. Il ajoute : "la première chose que l'on demande lorsqu'on prend le service, c'est si on est en nombre suffisant de personnel et de lits".
En effet, si le manque de moyens cause un certain épuisement professionnel, il entraîne également une dégradation des conditions d'accueil des patients. Sud Santé rappelle que l'admission se fait parfois sur "des fauteuils dans l'attente de la libération d'un lit". Le syndicat évoque également des "chambres dont la température est tellement froide que même quatre couvertures ne suffisent pas à se réchauffer".
A Guillaume-Régnier, le directeur, Bernard Garin, doit composer avec un "contexte budgétaire extrêmement serré". "Notre dotation annuelle de fonctionnement est stable depuis trois-quatre ans alors que les charges de personnel augmentent" précise-t-il.
En réponse à cette situation des plus préoccupantes, Agnès Buzyn a annoncé le dégel de 44 millions d'euros en ce début d'année pour le secteur. Guillaume-Régnier devrait notamment recevoir 500.000 euros. La ministre de la santé a également assuré avoir "travaillé sur une feuille de route". Toutefois, elle a déclaré ne pas encore être à un stade où elle peut "faire des annonces".
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