Pour maigrir, ce qui se passe dans la tête importe autant que ce qui est dans l’assiette
Surveiller ce que l'on mange est loin d'être suffisant pour perdre du poids, soulignent un chercheur en neurosciences et une médecin endocrinologue.
Fabien Dworczak, PhD, est chercheur en neurosciences et politiques publiques à l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Cet article a été co-écrit avec Lélia Bracco, médecin endocrinologue. Il s'inspire très largement de son livre, "Obésité. Au-delà de l'impasse" dans la collection "Mes cerveaux et moi" dirigée par Fabien Dworczak (éd. Edp sciences). Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l'article original.
Il y a encore 10 ans, les maladies infectieuses telles que la tuberculose, le VIH/Sida et le paludisme constituaient, à l'échelle mondiale, la principale préoccupation en termes de santé publique. Mais aujourd'hui, une autre menace émerge : les maladies non transmissibles, telles que le diabète ou les maladies cardiovasculaires. Celles-ci sont désormais une urgence sanitaire, dans les pays à revenus élevés comme dans les pays à faibles revenus. Or, seuls 2% du financement total alloué par les partenaires internationaux de la santé est consacré à la lutte contre ces maladies.
Pour les combattre, la lutte contre l'épidémie d'obésité qui se répand partout sur la planète est une priorité.
Surpoids, obésité : une épidémie mondiale
Le constat est alarmant : l'obésité est en augmentation partout sur la planète, et touche les pays riches comme les pays en voie d'émergence. L'obésité infantile, notamment, se développe de façon préoccupante avec, en 2014, 41 millions d'enfants de moins de 5 ans en surpoids ou obèses. Selon Gilles Fumey, professeur de géographie à l’ESPE-Paris et auteur de l’ouvrage Géopolitique de l’alimentation, "plus d’un milliard de personnes sont en surcharge pondérale dans le monde avec un indice de masse corporelle (IMC > 25) et au moins 300 millions de personnes sont obèses (IMC > 30). Le surpoids et l’obésité causent près de 3 millions de décès chaque année".
Les répercussions de ces problèmes de poids sont préoccupantes, car ils sont à l'origine de nombreuses maladies entraînant une diminution de l'espérance de vie et grevant les budgets de santé publique. Il s'agit non seulement de maladies du métabolisme, comme le diabète, l'hypertension artérielle, l'hypercholestérolémie, les maladies cardiaques et l'athérosclérose, mais aussi de pathologies ostéo-articulaires, de maladies pulmonaires et d'une augmentation de fréquence de certains cancers.
Malheureusement, en dépit de sa banalité, la problématique de l'excès de poids reste sans véritable solution sur le plan mondial, en raison de sa grande complexité.
Lélia Bracco et Fabien Dworczak
L'obésité résulte en effet de facteurs sociaux très hétérogènes : surconsommation, malbouffe, sédentarité, rythmes accélérés de la vie urbaine, stress, exclusion sociale… À ces facteurs s'ajoutent des facteurs génétiques, neurohormonaux, psychologiques, mais aussi des phases de restrictions alimentaires l'"effet yoyo"), des troubles du comportement alimentaire et des facteurs liés à l'histoire personnelle.
Les causes du surpoids sont donc à la fois individuelles et plurifactorielles, biologiques et socio-économiques.
Le rôle du plaisir
Le cerveau et le reste du corps communiquent et s'influencent en permanence. La moindre cellule graisseuse est reliée de façon bidirectionnelle au système nerveux central. Ce dialogue se traduit notamment par la place qu'occupe le plaisir dans l'alimentation. Le plaisir est anticipé par le cerveau, ressenti par les sens, en lien avec l'environnement affectif, mais aussi avec la mémoire, comme l'illustre la célèbre anecdote de la madeleine de Proust.
Le plaisir permet aussi une modulation hormonale des sensations d'appétit et de satiété, qui dépendent, pour chaque individu, de la sensibilité des zones cérébrales impliquées dans le système de récompense et d'autocontrôle. Cette cascade neurohormonale, qui découle d'un complexe mélange entre les émotions, le stress et l'alimentation, est propre à chacun. Elle se situe au croisement de la susceptibilité génétique et épigénétique, des paramètres psychologiques et des influences environnementales personnelles.
Comprendre comment s'auto-influencent ces divers facteurs pourrait permettre de mieux lutter contre l'obésité, en déjouant notamment les stigmatisations liées à la culpabilité ou aux jugements négatifs. De nombreuses personnes souhaitant perdre du poids sont, en effet, en souffrance psychologique. Or, l'angoisse, comme le plaisir de manger, peuvent inciter à se nourrir sans réel besoin physiologique.
Pour perdre du poids, tout ne se passe pas dans l'assiette
Les conséquences néfastes de l'obésité sur la santé ne se résument pas aux problèmes médicaux "physiques", pour lesquels une diminution de poids s'impose. Une autre conséquence, indépendante du niveau de corpulence, est la souffrance psychique. La complexité de la gestion de cette dernière vient autant de ses causes, multiples (troubles de l'estime de soi, pensées obsédantes…), que de sa prise en charge. La souffrance psychique peut en effet, paradoxalement, être aggravée par les mesures prises pour perdre du poids et doit donc être traitée indépendamment des questions de nutrition.
Dans les suivis nutritionnels au long cours, le sentiment d'échec et de culpabilité est omniprésent…
Lélia Bracco et Fabien Dworczak
La prise en charge de l'obésité et du surpoids nécessite un désapprentissage d'un grand nombre de pratiques actuelles devant l'échec reconnu du simple conseil hygiénodiététique. À ce jour, aucune approche n'ayant fait preuve d'efficacité durable, les autorités de santé doivent rester à l'écoute de l'individu et offrir un accompagnement global corps-esprit, en tenant compte des contradictions de la société. Cette dernière met en effet en avant la consommation, crée des besoins, des envies… Et donc, par là même, des frustrations et des dépendances. Nous sommes les heureuses victimes de grandes surfaces aux innombrables rayons débordant d'aliments industriels, aux emballages irrésistibles, bourrés de calories !
Un modèle qui favorise le surpoids
Cette industrialisation des aliments s'est traduite par un enrichissement en graisse et en sucre, afin d'améliorer le plaisir du palais et, donc, d'augmenter les ventes. Il s'agit du principal facteur de maladies comme le diabète. Ces transformations alimentaires ont abouti à des aliments ayant des niveaux caloriques élevés dans de petits volumes. Nos capacités de régulation physiologique sont trompées par cette nourriture industrielle. La sensation de satiété repose en effet notamment sur la dilatation de l'estomac, qui est interprétée comme un signal que les besoins alimentaires ont été satisfaits.
Par ailleurs, l'apport alimentaire excessif entraîne l'apparition de comportements addictifs. En outre, déjà malmené par la nutrition, notre équilibre physiologique doit également s'adapter aux changements dus au mode de vie moderne, plus sédentaire.
Il n'est pas anodin que l'apparition de l'obésité dans un pays soit corrélée à son niveau de développement économique et industriel. Elle est favorisée par l'urbanisation et touche en premier lieu les classes sociales défavorisées. Au niveau économique, il s'agit donc de trouver un difficile équilibre entre les bénéfices liés aux profits du secteur agroalimentaire et de la grande distribution et les pertes dus à l'augmentation exponentielle des coûts de santé engendrés par l'obésité et la dégradation de la qualité nutritionnelle.
Trouver les ressources pour briser le cercle vicieux
À l'heure actuelle, pour perdre du poids, la solution la plus efficace est la chirurgie de l'estomac (chirurgie bariatrique). Compte tenu de sa nature intrusive et irréversible, elle reste toutefois réservée aux obésités sévères ou compliquées. La modification diététique et les transformations de l'hygiène de vie, comme la lutte contre la sédentarité, demeurent donc des incontournables de la diminution de poids.
Plus facile à dire qu'à faire : après avoir suivi une multitude de conseils médicaux, sociétaux ou amicaux, et s'être astreint à une longue période de difficiles efforts, de lutte, de perte de contrôle et de confiance en soi, nombre de personnes finissent par "craquer", et céder à une augmentation paradoxale de prises alimentaires et de poids.
Lélia Bracco et Fabien Dworczak
Pour éviter l'impasse, la compréhension des cercles vicieux qui aboutissent à cette résistance à l'amaigrissement est indispensable. Il faut pour cela explorer tant le plan neurobiologique que psychologique.
La personne souffrant d'obésité détient en elle-même des ressources insoupçonnées. Les nouvelles connaissances sur la capacité du cerveau à se remodeler suggèrent la possibilité de changer ses habitudes et de se transformer favorablement à tout âge.
Et pour ceux qui souhaitent vivre avec un excès de poids, se pose alors la question du libre arbitre et de la possibilité, pour chacun, de vivre autrement.
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