Lévothyrox® : "effets secondaires", ou surdosage ?
Médicament utilisé par 3 millions de patients en France, le Lévothyrox® fait l'objet d'une controverse qui enfle depuis cet été. L'ANSM recense 5.000 signalements d'effets indésirables depuis le 15 août. Une pétition contre le nouveau médicament a, elle, déjà recueilli de plus de 200.000 signatures. Eléments d'explication.
Le Lévothyrox®, c’est quoi ?
Les hormones sécrétées par notre thyroïde influent sur un nombre incalculable de mécanismes biologiques. L’activité de cette glande est, en temps normal, modulée très finement par l’hypophyse, dans notre cerveau. Le moindre dysfonctionnement a, rapidement, des conséquences sensibles. Quand la thyroïde ne sécrète pas assez d’hormone (hypothyroïdie), les fonctions de l'organisme tournent au ralenti. Il est – notamment – possible de ressentir fatigue, frilosité, ou d’avoir des difficultés de réflexion, de mémorisation. Dans la situation inverse (hyperthyroïdie), la machine s’emballe : le cœur bat plus vite, la respiration s'accélère, la digestion est trop rapide (entraînant parfois des diarrhées), on tremble, et des troubles de l’humeur plus ou moins importants apparaissent.
Un changement de formule qui devait bénéficier aux patients...
En France, les comprimés de Lévothyrox® des laboratoires Merck permettent de disposer de l’hormone lévothyroxine en sept dosages différents. Si la lévothyroxine est le seul ingrédient actif du médicament, les comprimés incorporent d’autres substances, essentiellement destinées à moduler son absorption, et à favoriser la conservation du produit.
Jusqu’à récemment, l’un de ces excipients était le lactose. Il s’avère que ce lactose dégradait, peu à peu, la lévothyroxine dans les comprimés. Afin que la qualité du traitement reste la même de sa sortie d’usine jusqu’à la date de péremption, l’Agence Nationale de Sécurité du Médicament a demandé à Merck de revoir sa copie : sans changer d’un gramme les dosages d’hormone de synthèse, il fallait trouver une alternative au lactose.
Les candidats n’avaient pas à chercher bien loin : mannitol et acide citrique [1], utilisés dans de nombreux autres traitements, n’interagissent pas avec la lévothyroxine.
Un médicament "à marge thérapeutique étroite"
Au début des années 2010, le mannitol avait déjà été substitué au lactose dans un générique du Lévothyrox®. Des essais avaient alors été menés qui avaient conclu à la bioéquivalence des produits. Le principe de ces essais est le suivant : tout d’abord, on administre un médicament princeps à des patients sains, puis mesurer la concentration du médicament dans le sang. Puis, quelques temps plus tard, on fait de même avec le générique [2]. Si la concentration maximale dans le sang est de niveau égal, si elle survient au même moment, et si la quantité totale mesurée est identique, la bioéquivalence est parfaite. Une petite fluctuation est toutefois tolérée – de fait, un même médicament pris par le même individu n’est jamais assimilé rigoureusement de la même façon.
Pour la plupart des médicaments, la fourchette de tolérance est relativement large (environ plus ou moins 20% d’écart entre les deux mesures), mais certains traitements sont soumis à des normes beaucoup plus strictes. Il s’agit de médicaments dits "à marge thérapeutique étroite" – pour lesquels on estime que de petites variations de la vitesse d’absorption ou de concentration peuvent avoir des effets notables. Longtemps, la fourchette de tolérance retenue est voisine de 10%. Ce fut le cas en 2010.
En dépit de ce protocole resserré, et des résultats conformes des essais, l’Agence de sûreté du médicament avait anticipé le fait que certains patients sensibles doivent réajuster leur traitement en passant au générique. "L’ajustement posologique de ce traitement au long cours est individuel et nécessite un contrôle clinique et biologique attentif, l’équilibre thyroïdien du patient pouvant être sensible à de très faibles variations de dose", expliquait-elle alors, précisant que "l’ajustement de la posologie nécessite chez certains patients des paliers d’adaptation de 12,5 µg."
Des retours négatifs de certains utilisateurs du générique se multiplièrent et, au final, peu de médecins et de patients souhaitèrent prendre le risque de substituer un traitement difficile à ajuster par un autre.
Des essais de bioéquivalence plus stricts pour le nouveau Lévothyrox®
C'est vraisemblablement forte de cet échec que l'ANSM a exigé qu'un protocole de bioéquivalence encore plus strict soit réalisé par Merck. L'essai clinique, dont nous avons consulté les résultats, garantit une bioéquivalence sur une fourchette de l'ordre de 5%. Il s'agit du standard le plus élevé en la matière.
Au regard de l'étude de Merck, chez les sujets sains, l'assimilation du Levothyrox nouvelle formule semble identique à celle de son prédécesseur. Mais plusieurs questions se posent aujourd'hui, au vu de nombreux signalements d'effets indésirables du nouveau traitement.
En mars 2017, en amont du changement de formulation, l'ANSM avait diffusé sur son site Internet un "point d'information" précisant qu'"aucun changement lié à la modification de formule n’est attendu pour les patients" mais rappelait que "la lévothyroxine étant une hormone thyroïdienne de synthèse à marge thérapeutique étroite, l’équilibre thyroïdien du patient [pouvait] être sensible à de très faibles variations de dose". "Aussi, par mesure de précaution, il convient, chez certains patients [...] de réaliser un dosage de TSH" (voir encadré) "dans les 6 à 8 semaines après le début de la prise de la nouvelle formule. Les femmes enceintes sous Levothyrox sont invitées, quant à elles, à contrôler leur TSH dans les 4 semaines après le début de la prise de la nouvelle formule".
La dose sur la boîte était-elle la dose dans le médicament ?
De fait, dans un certain nombre de cas rapportés à l'ANSM depuis mars par les utilisateurs de Lévothyrox®, les effets décrits sont particulièrement évocateurs d'une hyperthyroïdie. Comment cela est-il possible, si le médicament contient rigoureusement la même dose de principe actif ? Une première hypothèse (qui reste à confronter à l'expérience) pourrait être l'action du lactose dans les anciens comprimés : au moment de leur commercialisation en officine, les anciens comprimés auraient inclus moins de principe actif qu'indiqué sur la boîte. Certains patients sous nouveau Lévothyrox® consommeraient donc plus de lévothyroxine qu'auparavant [3]. Or, les symptômes d'hyperthyroïdie ne sont pas répertoriés comme "effets indésirables" dans la notice du nouveau traitement, car ce sont des effets qui n'existent qu'en cas d'erreur de dosage.
Dans d'autres hypothèses, la nouvelle formulation – notamment en raison de la présence de l’acide citrique [1] – modifierait l'assimilation de la lévothyroxine chez certains patients, mais chez aucun des sujets de l'étude.
Certains patients déclarent expérimenter des effets indésirables en dépit de taux de TSH normal. Dans leur cas, des investigations complémentaires s’imposent. Dans ce cas précis, qu’il s’agisse de tout ou partie du problème, l’hypothèse d’effets psychologiques – un effet nocebo – ne doit pas être balayé d’un revers de la main. Il faut ici interroger le rôle des médias, l’effet de loupe des réseaux sociaux, et l'important défaut de communication autour de la nouvelle formulation, le tout dans un contexte de forte suspicion à l’égard de l’industrie pharmaceutique.
En attendant que la situation se règle, de nombreux patients exigent la mise à disposition de l'ancienne formulation par le laboratoire Merck. Parmi eux, beaucoup regrettent que leur parole n'ait pas été suffisamment prise en considération durant les derniers mois par les autorités de santé.
la rédaction d'Allodocteurs.fr
[1] Comme nous le précise Alain Astier, professeur en pharmacie et chroniqueur régulier du Magazine de la santé, "l’absorption de la lévothyroxine dépend de l’acidité gastrique. Il faut donc pendre le comprimé à jeun. L’ajout d’acide citrique dans la nouvelle formulation stabilise cette absorption et la rend moins sensible aux variations d’acidité chez le patient (en fonction de son alimentation, par exemple)."
[2] Chez environ un volontaire sur deux, l’ordre d’administration est inversé (générique puis principes).
[3] Les essais de bioéquivalence réalisés par Merck n'ont pas mis en évidence ce phénomène. Mais ils ont vraisemblablement été réalisés à partir de médicaments non stockés en officine. Les concentrations de lévothyroxine active aurait été équivalente dans les deux formulations.
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