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Covid-19 : l'espoir d'atteindre l'immunité collective grâce à la vague Omicron est-il vraiment fondé ?

Le ministre de la Santé, Olivier Véran, veut croire à de meilleurs lendemains quand le pic de contaminations dû au variant sera passé. Car sa forte contagiosité et sa moindre létalité pourraient aboutir à une "immunité" renforcée de la population.

Article rédigé par Mathilde Goupil, Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 6 min
Des passants dans la rue Sainte-Catherine de Bordeaux (Gironde), le 27 décembre 2021. (VALENTINO BELLONI / HANS LUCAS via AFP)

"Cette cinquième vague sera peut-être la dernière." Le ministre de la Santé, Olivier Véran, s'est permis une note d'optimisme au milieu d'une actualité bien maussade, lundi 3 janvier, sur France Inter. Selon lui, le variant Omicron est tellement contagieux qu'il "va entraîner une immunité renforcée" dans le monde et nous serons "tous plus armés après son passage". Avant Olivier Véran, le professeur Alain Fischer, le "monsieur vaccin" du gouvernement, avait déjà estimé sur BFMTV que le nouveau variant était "un peu plus transmissible mais moins agressif" et qu'on assistait "à un début d'évolution vers un virus plus banal comme on en connaît d'autres".

Vers un rhume saisonnier ? 

"Le scénario optimiste, ce n'est qu'un scénario, c'est celui de cette double immunité vaccinale et naturelle qui sera acquise probablement très rapidement à l'issue de ce blast [explosion de contaminations]", poursuit l'infectiologue Benjamin Davido sur franceinfo. "On peut espérer que l'année 2022 nous apporte cette immunité collective tant espérée en 2020." C'est également l'avis du virologue Bruno Lina, également membre du Conseil scientifique : "Toutes les personnes seront exposées au virus, soit dans un contexte de vaccination et elles feront une infection mineure ou pas d'infection, soit sans être vaccinées et elles feront une infection."

"On bascule vers un virus qui donne plus d'infections des voies aériennes supérieures" et "descend moins" dans les voies basses, ajoute Bruno Lina. Ce qui ouvrirait la voie à un scénario grippal, une maladie saisonnière qui entraîne une pression plus limitée sur le système de santé. "A terme, il y a de l'espoir" et "le Sars-CoV-2 rejoindra les autres coronavirus saisonniers humains qui nous donnent des rhumes et des angines chaque hiver", a ainsi commenté l'épidémiologiste Arnaud Fontanet dans Le Journal du dimanche.

"J'ai toujours l'espoir que le virus finira par ressembler davantage aux autres coronavirus du rhume – peut-être au cours des une ou deux prochaines années", a déclaré récemment le virologue britannique Julian Tang, cité par l'organisme Science Media Centre (en anglais). Et ce, "en répétant les vaccins et en conservant le masque et la distanciation sociale pour les plus vulnérables, comme ce que nous faisons pour la grippe chaque année".

Gare à un virus qui continue de circuler

Si la perspective d'une amélioration reste ouverte, "il faut être très prudent" en utilisant la grille de lecture d'Olivier Véran, nuance Jean-François Saluzzo, virologue et expert auprès de l'OMS. "C'est une déclaration à caractère politique mais à mon avis on est loin de la réponse." Interrogé par franceinfo, le chercheur identifie tout de même quelques signes encourageants : "L'intense circulation d'Omicron va néanmoins participer à l'immunité collectivité. Lorsque vous avez la totalité d'une population vaccinée ou déjà infectée, le virus circule moins facilement, même s'il circule quand même."

"En France, la forte couverture vaccinale et les précédentes contaminations n'ont pas fait de barrière aux contaminations à Omicron. Par contre ça a créé une barrière aux formes cliniques graves."

Jean-François Saluzzo, virologue

à franceinfo

La circulation intense du virus "rend évident le fait que la bouffée épidémique sera de courte durée", ajoute Jean-François Saluzzo. "Quand la plupart des gens l'ont eu, le virus s'arrête car il lui reste peu de réservoir de population à contaminer." Mais le virus, ajoute-t-il, continuera de circuler. Reste à savoir comment. "Au printemps, ça risque de circuler à bas bruit, et là on pourrait être dans une situation endémique et saisonnière, surtout en hiver." Le Sars-CoV-2, par ailleurs, peut continuer à évoluer, "le pire scénario étant que dans les pays fortement vaccinés, un variant qui échappe totalement au système immunitaire apparaisse".

Une épidémie difficile à prédire

Au début de la pandémie, l'immunité collective a été un temps été brandie comme l'objectif final permettant de tourner la page du Covid-19 – il a parfois été question d'un seuil de 80% de vaccinés pour en finir avec le virus. Mais la pertinence de cette notion, issue des efforts vétérinaires pour gérer les épizooties, fait l'objet de débats dans le cadre d'une population humaine, plus mobile que les cheptels. Timidement évoquée en début d'année 2021, avec pour échéance l'été suivant, elle n'a en réalité jamais été atteinte. "C'est vrai que peut-être que s'attacher à cette immunité collective (...) c'est comme un mirage à chaque fois", se désolait en septembre la virologue Samira Fafi-Kremer, interrogée par franceinfo.

A ce jour, il semble donc prématuré d'imaginer l'après-Omicron, ne serait-ce que parce que la dynamique évolutive du virus est, par nature, difficile à connaître. "Qui peut sérieusement affirmer qu'il n'y aura pas un nouveau variant plus dangereux et qui échappe à l'immunité vaccinale ou post infectieuse ou vaccinale des variants précédents ?" s'interroge par exemple Gilles Deray, chef du service de néphrologie de la Pitié-Salpêtrière, dans les colonnes de L'Express. "Pour la première fois, un variant échappe de manière significative à l'immunité vaccinale en l'absence de dose de rappel. Si ça se produit une fois, il n'est pas aberrant de penser que ça se reproduise dans le futur", confirme Samuel Alizon, directeur de recherche au Centre interdisciplinaires de recherche en biologie (CNRS-Inserm), auprès de franceinfo.

Un avenir qui dépendra de l'évolution du virus

En filigrane, de nombreux spécialistes, ainsi que le ministre de la Santé, font le pari d'une évolution future du virus vers des formes moins virulentes. Mais Samuel Alizon appelle à la prudence sur ce point : il ne faut pas confondre, selon lui, le nombre de morts – qui peut varier en fonction de l'immunité dans une population – et la dangerosité intrinsèque du virus – qui expose les individus sans aucune immunité. "Ce qu’on a souvent pris pour une baisse de la virulence dans beaucoup d’épidémies passées n’est en fait qu’une hausse de l’immunisation des populations", expliquait le spécialiste de la modélisation des maladies infectieuses, interrogé mi-décembre par le site Reporterre.

D'autres paramètres doivent être pris en compte, comme la durée de la protection acquise par la vaccination ou la potentielle cohabitation de variants – ainsi, le variant Delta continuera-t-il longtemps à remplir les réanimations ? "Il faut passer le double cap de cette double infection qui se cumule", résume Alain Fischer sur BFMTV. Une façon de se concentrer sur l'épisode en cours, et sur la nécessité d'une large vaccination, avant d'entrevoir peut-être un ciel plus dégagé. "Je suis persuadé que ce ne sera pas la dernière vague", a ainsi déclaré au Parisien Eric Caumes, chef du service de maladies infectieuses à la Pitié-Salpêtrière. "Mais ça sera peut-être la dernière de cette intensité."

En tout cas, la France n'est pas le seul pays à débattre de la suite des événements. En Israël, autre pays à forte couverture vaccinale, le principal conseiller en santé publique, Nachman Ash, a jugé dimanche qu'il était "possible" d'atteindre l'immunité collective – de préférence grâce à une large vaccination plutôt que par des infections. Deux jours plus tard, Salman Zarka, responsable de la lutte contre le Covid-19, lui a répondu de manière cinglante : "L'immunité de groupe n'a aucun fondement scientifique."

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