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Covid-19 : faut-il s'inquiéter de la nouvelle mutation du variant anglais du virus ?

L'agence anglaise de santé publique, Public Health England, a annoncé lundi avoir détecté une nouvelle mutation du variant du Sars-CoV-2 initialement identifié au Royaume-Uni, déjà observée sur les variants sud-africain et brésilien. 

Article rédigé par Valentine Pasquesoone
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Des écouvillons après des tests PCR de détection du Covid-19, le 1er février 2021 à Ingelheim (Allemagne).  (ANDREAS ARNOLD / DPA / AFP)

La découverte interroge les scientifiques et autorités outre-Manche. L'agence anglaise de santé publique, Public Health England (PHE)*, a révélé lundi 1er février avoir observé la mutation E484K sur le variant dit "anglais" du coronavirus, le rendant potentiellement plus résistant à certains vaccins, comme le suggère une étude préliminaire de l'université de Cambridge*, dévoilée mardi. 

Le variant anglais du Sars-CoV-2, dont le taux d'infection est déjà de 25 à 40% supérieur à d'autres formes du virus, est désormais présent dans 72 pays, rappelle le New York Times*. La mutation E484K, déjà repérée sur les variants identifiés en Afrique du sud et au Brésil, pourrait-elle rendre la vaccination moins efficace pour lutter contre ce variant apparu outre-Manche ? Eléments de réponse en cinq questions. 

Qu'ont découvert les autorités britanniques ? 

Outre-Manche, des chercheurs ont évalué précisément 214 159 génomes séquencés du coronavirus, à la date du 26 janvier. Sur l'ensemble de ces tests, ils ont repéré 11 cas du variant anglais du virus, le variant B.1.1.7, présentant une même mutation. "C'est une mutation qui concerne la protéine Spike à la surface du virus, qui s'attache aux cellules humaines", explique à franceinfo le docteur Paul Loubet, infectiologue au CHU de Nîmes. La plupart de ces cas ont été détectés dans le sud-ouest de l'Angleterre, et 32 autres cas du virus d'origine présentaient également cette mutation, baptisée E484K, dans la région de Liverpool, précise la BBC*.

La mutation E484K – E signifiant l'acide aminé qu'elle était au départ, 484 son emplacement et K l'acide aminé qu'elle est devenue – est une évolution du virus observée à la fois sur les variants sud-africain et brésilien, souligne l'organisme britannique Science Media Centre*. "PHE suit la situation de près et toutes les interventions de santé publique nécessaires sont entreprises, y compris le renforcement de la recherche des cas contacts et des mesures de contrôle", a réagi un porte-parole de l'agence anglaise de santé publique. 

Comment cette mutation est-elle apparue ? 

Cette découverte est loin d'être surprenante. Les mutations de virus "sont des phénomènes d'adaptation naturels, comme pour toutes les espèces. Il est normal que les organismes évoluent", souligne le docteur Paul Loubet. Et ces évolutions apparaissent lors d'erreurs au cours de la réplication virale au sein des cellules. "Un virus entre dans une cellule et la pirate. Chaque fois qu'il se reproduit, il y a des erreurs de copie. C'est comme cela que les mutations apparaissent", développe auprès de franceinfo François Renaud, chercheur au laboratoire Maladies infectieuses et vecteurs du CNRS. 

Selon le virologue Julian Tang de l'université de Leicester (Royaume-Uni), interrogé par le Science Media Centre, cette détection de la mutation E484K sur le variant anglais du virus peut aussi être "due à une recombinaison avec l'un des variants sud-africain ou brésilien, qui peuvent avoir co-infecté la même cellule", "comme nous le voyons avec différents virus de la grippe". Toutefois, ce scénario "est plus rare avec les coronavirus", tempère le chercheur. "Il est donc plus probable que cela soit dû à des sélections et évolutions naturelles parallèles et convergentes au sein de la population humaine, au fur et à mesure que le virus s'adapte à ce nouvel hôte".

Une sélection naturelle, donc, au fur et à mesure que le virus circule. "Si une mutation permet une meilleure affinité avec les cellules humaines, une reproduction plus importante (du virus), ces souches avec cette mutation vont être sélectionnées, et ce variant avec ces mutations va prendre le dessus naturellement", poursuit le docteur Paul Loubet. Et pour François Renaud, la possibilité de mutations "est gigantesque".

La mutation E484K réduit-elle l'efficacité des vaccins ? 

Quand le variant du Sars-CoV-2 est apparu en Afrique du Sud, deux vaccins, Novavax et Johnson & Johnson, ont semblé moins efficaces, rappelle le New York Times. Et ce, potentiellement du fait de la mutation E484K, craignent des scientifiques. D'autant que celle-ci a, par ailleurs, été détectée au Brésil sur "au moins un patient qui a été réinfecté" par le Covid, souligne auprès de franceinfo Stéphane Guindon, chercheur du CNRS travaillant notamment sur l'évolution génétique des virus. Ce patient avait hérité du variant brésilien, sur lequel a été détectée la mutation E484K. Mais à ce stade, il n'est "pas formellement établi que la mutation a[it] pu 'aider' à la réinfection", nuance le scientifique. 

Selon de premières données, cette mutation pourrait limiter la capacité d'anticorps à attaquer le virus, et ainsi à l'empêcher de pénétrer dans les cellules. C'est ce qu'explique le professeur de microbiologie cellulaire Simon Clarke, de l'université de Reading, auprès du Science Media Centre : "Cette mutation signifie que les anticorps sont moins capables de se fixer à la protéine Spike du virus, pour l'empêcher d'entrer dans les cellules humaines". L'étude préliminaire de l'université de Cambridge (Royaume-Uni), portant sur l'efficacité du vaccin de Pfizer-BioNTech sur le variant B.1.1.7, apporte des éléments complémentaires. 

Avec la mutation E484K, "des niveaux considérablement plus élevés d'anticorps étaient nécessaires", constate l'université de Cambridge dans un résumé de ses travaux préliminaires. "En moyenne, cette mutation demandait de décupler la concentration de sérum d'anticorps pour neutraliser le virus, en comparaison avec la souche qui circulait avant l'apparition du variant." 

Pourquoi est-il trop tôt pour s'inquiéter ? 

Pour l'instant, les données disponibles sur la résistance de la mutation d'E484K sont trop peu nombreuses. Le New York Times relève également une limite à l'étude de l'université de Cambridge : les tests ont été réalisés sur les prélèvements sanguins de 26 personnes, qui n'avaient reçu qu'une seule dose de vaccin, trois semaines plus tôt. Une seconde dose pourrait donc améliorer l'efficacité vaccinale contre la mutation. De premiers résultats montrent d'ailleurs que deux doses du vaccin Moderna semblent toujours efficaces contre le variant britannique, même avec des mutations, souligne la BBC. L'immunité semble toutefois ne pas être aussi forte ou durable face à la mutation E484K.

Et ces recherches "ne reflètent qu'une seule partie de la réponse immunitaire", souligne Paul Loubet, du CHU de Nîmes. "Il y a aussi l'immunité cellulaire, les lymphocytes T, qui sont plus difficiles à évaluer. Cela demande des tests bien plus coûteux et complexes", tandis que l'efficacité des anticorps peut être plus facilement détectée. François Renaud, du CNRS, estime lui aussi qu'il est bien trop tôt pour tirer des conclusions : "Nous n'en savons rien du tout. J'ai lu des choses contradictoires. Qu'avons-nous comme recul ?", s'interroge-t-il. 

Comment éviter que cette mutation ne se propage ? 

Julian Tang, de l'université de Leicester, indique au Science Media Centre qu'il est important de respecter les restrictions en vigueur pour lutter contre le Covid-19, et de réduire le nombre de cas d'infection pour empêcher au virus de muter davantage. Car plus le coronavirus circule, plus il existe un risque de "melting-pot", c'est-à-dire de mélange entre différents variants, prévient le virologue. "Dans un système parfait, il faudrait que tous les individus à travers le monde soient confinés, seuls, pendant au moins trois semaines. Là, le virus tendrait à disparaître. C'est impossible, donc il faut respecter les gestes barrières, isoler le plus possible", recommande François Renaud.  

Stéphane Guindon juge également le séquencage des génomes du SARS-Cov-2 "primordial", "si nous voulons être réellement capables de retracer les chaînes de transmission du virus". "Ce séquencage permet en effet d’établir 'qui infecte qui' avec une précision accrue par rapport au 'contact tracing' utilisé en ce moment", souligne le chercheur du CNRS. 

Il faut surtout vaccinerpoursuit François Renaud. "Vaccinons en masse et analysons l'efficacité des vaccins. Si ce variant est réfractaire, échappe au système vaccinal, il faudra aller très vite pour fabriquer un nouveau vaccin", prévient-il. Un processus de "mise à jour" existe déjà pour le vaccin contre la grippe, "chaque année en fonction des souches virales ayant circulé récemment", souligne Stéphane Guindon. Pour les vaccins à ARN Messager contre le Covid-19, comme ceux de Pfizer-BioNTech et de Moderna, "la création d'un nouvel ARN Messager prendrait quatre à six semaines d'après les laboratoires", estime le docteur Paul Loubet. Ensuite, "une nouvelle production s'enclenche". Une perspective préoccupante, car elle "pourrait impliquer de revacciner les personnes déjà vaccinées, mais peut-être avec une seule dose". Et pour en arriver là, il faudrait être sûr que les variants du Sars-CoV-2 sont devenus majoritaires, "et que les personnes vaccinées s'infectent". 

*L'ensemble des articles vers lesquels renvoient ces liens sont en anglais.

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