Cet article date de plus de trois ans.

Covid-19 : comment le feu vert européen au vaccin à dose unique de Janssen pourrait changer la stratégie vaccinale en France

L'Ad26.COV2.S devient le premier vaccin à une seule injection commercialisé sur le continent, ce qui devrait simplifier les circuits logistiques.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 9min
Essai clinique de phase 3 du vaccin candidat de Janssen, le 26 novembre 2020 à Cali (Colombie). (LUIS ROBAYO / AFP)

Et de quatre. L'agence européenne des médicaments a donné, jeudi 11 mars, son feu vert au déploiement du vaccin de Janssen au sein de l'Union européenne, où sont déjà autorisées les doses d'AstraZeneca, de Pfizer-BioNTech et de Moderna. Le groupe pharmaceutique américain Johnson & Johnson, via sa filiale européenne Janssen-Cilag, avait déposé une demande d'autorisation pour son candidat vaccin Ad26.COV2.S en février. Ce nouveau vaccin contre le Covid-19 est surtout le premier à une seule dose, une spécificité qui rend son CV très séduisant.

"D'un point de vue logistique, vous pouvez faire des campagnes en convoquant les gens une fois seulement", souligne auprès de franceinfo Marie-Paule Kieny, présidente du comité Vaccin Covid-19 et directrice de recherche à l'Inserm. Ce schéma de vaccination à une dose présente un net avantage pour libérer des créneaux et accélérer la cadence.

Le pari singulier de la dose unique

Ce n'est pas l'aspect technologique qui distingue le vaccin de Janssen, puisqu'il utilise la même méthode que celui d'AstraZeneca ou que le Spoutnik V. Ici, la séquence génétique codant la synthèse de la protéine "Spike" du coronavirus est insérée dans le génome d'un adénovirus (Ad26) débarrassé au préalable de son pouvoir de nuisance. Le laboratoire développe sa technologie "AdVac" depuis plus de dix ans. Elle l'utilise déjà pour son vaccin contre Ebola et pour tous ses projets de vaccin contre des virus. Au total, "200 000 sujets ont déjà été mis dans nos divers programmes d'essais cliniques" avec l'Ad26, explique à franceinfo Telma Lery, directrice médicale Infectiologie de Johnson & Johnson France.

Les vaccins à vecteurs viraux utilisent un adénovirus désactivé équipé d'une séquence génétique très précise du coronavirus : celle qui code la synthèse de l'antigène, la protéine "Spike".  (JESSICA KOMGUEN / FRANCEINFO)

Les vaccins à vecteur viral guident la synthèse de la protéine "Spike" par nos propres cellules, afin de déclencher une réponse immunitaire. Mais lors de la vaccination, la protéine est produite de manière isolée, indépendamment du coronavirus. Elle peut donc se présenter dans une configuration différente des protéines présentes à la surface du Sars-Cov-2. Le fabricant a corrigé cela en testant une dizaine "d'inserts génétiques". Jusqu'à obtenir la synthèse d'une protéine avec la configuration la plus proche possible de celle du coronavirus.

Après les bons résultats obtenus grâce à cette séquence "optimisée", et "dans un contexte pandémique", les chercheurs de Johnson & Johnson décident de tester la dose unique dans leur essai à grande échelle, explique Telma Lery. Fin janvier, l'industriel a présenté (en anglais) les résultats partiels de son essai mené sur plus de 40 000 participants. Après une injection, l'efficacité contre les formes modérées à sévères atteignait 72% aux Etats-Unis, 66% au Brésil et 57% en Afrique du Sud. J&J annonce aussi une efficacité de 85% contre les formes graves de la maladie, quelle que soit la région du monde. Des résultats encourageants lorsqu'on les compare à ceux des concurrents : après deux doses, l'efficacité du vaccin d'AstraZeneca atteint entre 62% et 70%, selon les études. "Leur vaccin pourrait avoir une meilleure efficacité que deux doses du vaccin d'AstraZeneca", explique Claire-Anne Siegrist, directrice du centre de vaccinologie des hôpitaux universitaires de Genève.

Une étude sur deux doses, au cas où

Le laboratoire semble donc avoir marqué un point et ne s'est pas fait prier pour vanter son succès. "Les vaccins monodoses sont considérés par l'Organisation mondiale de la santé comme la meilleure option en situation de pandémie. Ils améliorent l'accès au vaccin, sa distribution et sa conformité", s'est félicité Paul Stoffels, responsable scientifique de Johnson & Johnson. Avec ce produit, "un milliard de doses de vaccin se traduirait par un milliard de personnes vaccinées", s'est réjoui sur CNN (en anglais) le virologue Dan Barouch, qui a participé au développement du candidat vaccin.

"C'est un avantage compétitif pour eux", résume Marie-Paule Kieny, mais aussi "pour le payeur, pour les personnes vaccinées et pour les institutions publiques en charge de la vaccination". Certains groupes ont pourtant déjà essuyé des échecs dans leur quête de la dose unique. Le laboratoire Merck, dont c'était le grand objectif, a dû jeter l'éponge en janvier pour ses deux projets de vaccins. Il reste toujours des prétendants : le maire de Moscou (Russie) Sergueï Sobianine vient d'annoncer le recrutement de nouveaux participants pour l'essai de phase 3 (en anglais) portant sur une administration à une seule injection du Spoutnik V. Les intentions d'AstraZeneca ne sont pas claires sur ce point.

En parallèle, J&J a tout de même assuré ses arrières avec une étude de phase 3 imminente sur un schéma à deux doses. Cet essai, estime Claire-Anne Siegrist, a plutôt "pour but de voir si [le fabricant pourrait] concurrencer les 95% d'efficacité des vaccins à ARN ou de Spoutnik V". Selon des données préliminaires, souligne l'Inserm, "le schéma vaccinal en deux doses multiplie par 2 à 3 la quantité d'anticorps produits contre le Sars-Cov-2". Marie-Paule Kieny ajoute que "si l'efficacité après deux doses était sensiblement plus élevée, le schéma vaccinal pourrait être modulé selon l'âge ou les facteurs de risque".

La durée de l'immunité en question

La dose de rappel des autres vaccins n'a rien d'un gadget : elle permet de consolider l'immunité neutralisante et de l'inscrire dans le temps. "Dans un contexte épidémique, la question est donc de savoir quelle est la durabilité de la réponse et de la mémoire", souligne notamment l'immunologue Brigitte Autran, du comité Vaccin Covid-19, contactée par franceinfo. A ce stade, le fabricant explique manquer de recul pour fournir des données précises sur ce point, mais il n'observe pas de baisse de la quantité d'anticorps dans les trois premiers mois.

Marie-Paule Kieny, pour sa part, estime que "ce n'est pas un problème qui semble rédhibitoire pour le vaccin de Janssen, d'autant qu'avec les autres vaccins, on ne connaît pas non plus cette durée". Interrogé sur BFMTV, Alain Fischer, chargé de la politique vaccinale en France, se veut plus prudent.

"La question se pose pour les autres vaccins, mais un peu plus dans ce cas-là : si on ne fait qu'une seule dose, quelle sera la durée de protection ?"

Alain Fischer, chargé de la campagne de vaccination en France

sur BFMTV

Contacté par franceinfo, le biologiste Claude-Alexandre Gustave émet d'autres réserves. Il souligne le risque d'une absence "de protection contre l'infection et la transmission, tant que la neutralisation est absente". Dans le cas des vaccins de Pfizer et de Moderna, explique-t-il, la quantité d'anticorps est presque maximale après la première dose, mais leur capacité à neutraliser le virus est atteinte une semaine après la deuxième dose. La société J&J observe aussi un temps de "maturation" de la réponse immunitaire, "y compris des anticorps neutralisants, à distance de l'immunisation", analyse Marie-Paule Kieny. Ce point mérite encore des données plus fines.

Un accès plus équitable au vaccin

Les premières doses pourraient être livrées au mieux en avril sur le territoire français, précise le ministère de la Santé, qui n'exclut pas "un petit décalage éventuel à mai". Cette dose unique "autorisera à être inventifs sur la logistique", ajoute-t-il, sans livrer davantage de détails. Au total, 8,1 millions de doses du vaccin de Janssen sont espérées d'ici fin juin et à cette date, elles pourraient donc représenter un cinquième de la force de frappe vaccinale française.

Lorsqu'il faut espacer les deux injections, par exemple entre 9 et 12 semaines dans le cas du vaccin d'AstraZeneca, il peut être difficile de faire revenir les primo-vaccinés. L'éventuelle arrivée de ce vaccin candidat devrait également rebattre les cartes dans les pays en développement. Les vaccins à ARNm sont inaccessibles dans de nombreuses régions en raison de leur coût et des contraintes logistiques (congélateurs adaptés et circuits sécurisés) pour maintenir la chaîne du froid. Comme le vaccin d'AstraZeneca, le vaccin de Janssen présente aussi l'avantage de se conserver plusieurs semaines entre 2 et 8 °C.

C'est ce qui explique l'intérêt de l'OMS, qui avait annoncé en décembre dernier un mémorandum portant sur l'acquisition de 500 millions de doses de ce vaccin candidat (170 millions pour AstraZeneca, aucun vaccin à ARNm), dans le cadre de l'initiative Covax, qui vise à assurer un accès équitable de tous les pays aux vaccins.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.