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Offres d'emploi rares, "concurrence énorme", "manque d'expérience"... Comment la crise du coronavirus freine l'entrée des jeunes sur le marché du travail

Relativement épargnée par l'épidémie de Covid-19, la jeune génération sera "la première victime" de ses répercussions sur l'économie, selon l'économiste Vanessa di Paola.

Article rédigé par Mathilde Goupil
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Une étudiante effectue un stage en entreprise, en Belgique, le 27 mai 2011. (SIERAKOWSKI / JOCHMANS / ISOPIX / SIPA)

"Aujourd'hui, dans ma promo, certains sont caissiers...", lâche Paul. Fin 2019, ce Parisien de 22 ans obtient sa licence de pilote de ligne. Les entretiens d'embauche avec de "grandes compagnies européennes" s'enchaînent, avant d'être soudainement annulés en mars, à cause de l'épidémie de Covid-19. Tant que les avions resteront cloués au sol, "il n'y aura aucune perspective d'embauche", regrette le jeune homme. Son "rêve d'enfant" devra donc attendre. 

Relativement épargnée par le virus, la génération de Paul sera "la première victime" de la crise économique, explique à franceinfo Vanessa di Paola, chercheuse au laboratoire d'économie et de sociologie du travail d'Aix-Marseille Université et spécialiste des questions d'insertion des jeunes sur le marché du travail

La première conséquence d'une crise économique est l'absence de création d'emplois : ceux qui n'en ont pas sont donc les plus touchés.

Vanessa di Paola, économiste

à franceinfo

Les 700 000 à 800 000 jeunes attendus sur le marché du travail en septembre devront donc "trouver un emploi un dans un contexte où il y en a beaucoup moins", résume la chercheuse. En avril, près d'un employeur sur deux souhaitant augmenter ses effectifs a annulé ou reporté sa décision d'embauche (44%), note en effet la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) (PDF). Pour ces nouveaux entrants, la tâche est compliquée par l'absence d'aides de l'Etat – n'ayant souvent pas droit au chômage faute d'avoir cotisé, ni au revenu de solidarité active (RSA) car ayant moins de 25 ans – mais aussi par leur "manque d'expérience" comparativement à leurs aînés, relève l'économiste.

Car pour ne rien arranger, le marché de l'emploi est déjà saturé : 595 340 jeunes de moins de 25 ans sont inscrits à Pôle emploi en catégorie A (aucune activité), selon la Dares. Parmi la précédente génération, certains "avaient un contrat et l'ont perdu durant l'épidémie", relève Vanessa di Paola. Plus de la moitié (59%) des CDD n'ont pas été renouvelés en avril (contre 49% en mars), indique en effet la Dares (PDF). En alternance dans une start-up évoluant dans le domaine de la e-santé à Montpellier (Hérault), Félix, 23 ans, n'a pas eu d'autre choix que de signer, début juillet, une rupture conventionnelle, car "[s]on entreprise ne pouvait pas [l]e garder financièrement". "Ils m'ont laissé un mois pour trouver une nouvelle entreprise, mais malgré sept entretiens, je n'ai rien décroché. Beaucoup de gens sont dans mon cas, ça crée une concurrence énorme", s'inquiète le jeune homme. S'il n'a pas trouvé une nouvelle alternance en décembre, le Montpelliérain devra payer de sa poche les frais de scolarité de son école de communication – soit "au moins 9 000 euros".

Les moins diplômés plus à risque

Pour ces jeunes, la recherche d'un emploi en pleine épidémie a des allures de parcours du combattant. "Le nombre d'offres s'est considérablement réduit, et elles concernent soit des profils très spécialisés, soit des gens déjà expérimentés", confie Judicaël, 25 ans, en deuxième année de master "Audit et conseil en systèmes d'informations". "Dans un an, on risque d'avoir deux générations d'un coup sur le marché du travail, et la première aura perdu des compétences...", craint aussi cet habitant d'Evry (Essonne). "J'aspirais à autre chose : j'avais envie de prendre mon indépendance, de commencer une nouvelle vie, se remémore Julia*, 24 ans, qui cherche en vain son premier emploi dans le domaine des cosmétiques. Au final, je dors super mal, j'y réfléchis tout le temps."

Mais tous ne sont pas logés à la même enseigne. Au regard des crises précédentes, les plus frappés seront certainement "les moins diplômés et ceux qui se sont destinés aux secteurs les plus impactés par la crise", assure Vanessa di Paola. Or, l'épidémie de Covid-19 "a touché très fortement l'hôtellerie, la restauration, le commerce... Soit des secteurs très pourvoyeurs d'emploi, dans lesquels près d'un quart des jeunes s'insèrent en début de la vie active", relève-t-elle. Antoine, 25 ans, qui enchaîne les missions d'intérim depuis son bac pro en 2018, en a fait les frais. 

Avant, il y avait toujours du boulot. Mais le Covid a mis un gros coup de frein aux missions d'extras dans la restauration.

Antoine, 25 ans, en intérim

à franceinfo

"Dans le travail de paysagiste, les effectifs ont été beaucoup restreints" pour respecter les gestes barrières dans les jardins, explique-t-il aussi à franceinfo. Résultat : "Je n'ai eu aucune mission depuis le début du confinement", confie celui qui survit en dormant chez des amis ou chez sa mère.

S'ils sont mieux lotis, la situation n'est pour autant pas toujours rose pour les diplômés. Détentrice d'un bac +5, Naailah, 30 ans, est ainsi en cours de licenciement économique par l'agence d'événementiel parisienne dans laquelle elle travaillait depuis moins d'un an. "J'ai pris contact avec une boîte de recrutement, mais on m'a répondu que dans mon domaine, ça allait être très compliqué", regrette la trentenaire, qui, selon ses calculs, va perdre "600 euros" par mois en passant au chômage, et devra donc renoncer aux travaux prévus dans sa nouvelle maison.

Un "plan jeunes" pour échapper au pire

Pour enrayer les effets de la crise sur la jeunesse, le président, Emmanuel Macron, et le Premier ministre, Jean Castex, déclinent depuis la mi-juillet un "plan jeunes" de 6,5 milliards d'euros destiné à favoriser l'insertion des nouveaux entrants sur le marché du travail. Parmi les mesures annoncées : une aide de 4 000 euros par entreprise pour l'embauche d'un jeune de moins de 25 ans, l'annonce de 100 000 places supplémentaires en service civique, de 60 000 contrats aidés dans le secteur marchand et de 200 000 places supplémentaires en formation. 

Ces annonces "sont de nature à lever les freins à l'embauche" des jeunes, salue Jean-Philippe Audrain, trésorier de la Fédération nationale des directeurs de centres de formation des apprentis, qui rappelle néanmoins que "ce qui détermine l'ouverture d'un contrat, c'est le fait qu'une entreprise ait ou non de l'activité, et non pas l'aide attribuée". "On salue certaines de ces annonces, comme la hausse du nombre de places en formations, et on attend des précisions sur d'autres", avance de son côté Anthony Ikni, délégué général du Forum français de la jeunesse, qui souhaite l'adoption de mesures supplémentaires. Parmi elles : l'ouverture du RSA dès 18 ans, l'augmentation de la gratification légale des stages et l'obligation de gratification dès le premier jour travaillé.

Le contexte pour entrer sur le marché du travail est le pire que l'on puisse avoir cette année.

Vanessa di Paola, économiste

à franceinfo

"Dans la mesure du possible, je conseille aux jeunes de poursuivre leurs études, assure de son côté Vanessa di Paola. Dans un an, que ce soit après une année de plus dans le même cursus ou dans un autre domaine, la situation sera toujours meilleure."

Reprendre des études ou "se brader"

Plusieurs jeunes interrogés par franceinfo en sont venus à la même conclusion. Après avoir cherché en vain un CDI dans son secteur, Judith, 24 ans, diplômée d'un bachelor en webdesign, a décidé durant le confinement de poursuivre ses études en master, "pour ne pas arriver sur le marché du travail avec seulement un bac+3". Ne souhaitant pas "se brader", Alexandre, 23 ans, a quant à lui opté pour une formation en études parlementaires au Luxembourg, où il a déjà obtenu son master de droit. "Ça me permettra d'avoir un job étudiant en même temps, et ça me fera une qualification supplémentaire, justifie le jeune homme. Mais surtout, la formation me permettra d'être conventionné pour pouvoir continuer à faire des stages en droit."

D'autres ont décidé de faire des concessions, que ce soit en termes de secteur géographique, du domaine d'activité ou du poste visé. Clothilde, 23 ans, diplômée d'une grande école de commerce, vient ainsi de décrocher un CDI dans une start-up après avoir délaissé le secteur du conseil pour celui de l'environnement. Sébastien, 29 ans, qui termine une alternance de prestataire de sécurité pour de grands magasins en Ile-de-France, sera finalement embauché "comme exploitant, et non sur sur un poste de direction comme prévu". Quant à Paul, qui se voyait déjà pilote, il vient de démarrer un CDD dans la formation au contrôle aérien. Mais il promet : "Le rêve a été mis en pause, pas abandonné." 

* Le prénom a été modifié

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