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Covid-19 : neuf spécialistes et médecins nous racontent où et quand ils portent encore le masque

Franceinfo a recueilli les témoignages de professionnels devenus des experts de l'épidémie. Dans un contexte de rebond des contaminations, tous restent prudents, mais plusieurs reconnaissent tomber le masque dans certaines circonstances.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10 min
Un passant tient à la main son masque FFP2 dans une rue de Brême (Allemagne), le 21 mars 2022. (SINA SCHULDT / DPA / AFP)

Cela fait désormais trois semaines, depuis le 14 mars, que le port du masque n'est plus obligatoire dans les lieux clos, hormis les transports. Les sites dont l'accès était conditionné au pass sanitaire sont maintenant ouverts à tous. L'isolement n'est plus non plus systématique quand on est cas contact. Si certains appliquent toujours scrupuleusement les gestes barrières, d'autres les ont abandonnés. Entre ces deux extrêmes, chacun fait ses choix, parfois au cas par cas.

Mais que font les médecins et les scientifiques qui travaillent sur le Covid-19 et ses conséquences depuis plus de deux ans ? Comment ces experts, pour certains exposés au quotidien au virus, se positionnent-ils ? Que pensent-ils de la levée des restrictions, au moment où la France connaît un rebond épidémique ? Franceinfo a recueilli les témoignages de neuf de ces spécialistes. Tous continuent de porter le masque dans certaines circonstances (notamment au travail, car il reste obligatoire à l'hôpital), mais leurs avis et leurs attitudes diffèrent, preuve que ces questions ne sont pas faciles à trancher.

"Porter le masque, ça reste une habitude"

Emmanuel Rusch, épidémiologiste et président de la Société française de santé publique :

"Je mets peut-être trente secondes de plus à enfiler mon masque quand j'entre dans un magasin. Ce stress de l'oublier a disparu. Mais j'essaie de continuer à le porter à chaque fois, et je continue de le faire au cinéma et au théâtre. Moins au café, c'est vrai. Travaillant à l'hôpital, je dois déjà rester masqué pour l'essentiel de mon temps de travail, ce qui explique peut-être que ça reste une habitude.

Quand je vais au ministère de la Santé, dans les agences régionales de santé, à l'université où j'enseigne, il n'y a plus aucun masque dans les couloirs. Ça me choque, parce que j'ai l'impression qu'on est dans deux mondes différents.

On ne sait pas toujours qui est fragile ou pas. Je pense qu'une grande partie de la population ne réalise pas que la plupart d'entre nous a des personnes à risque dans son entourage. Je n'ai pas l'impression, par exemple, que les gens fassent particulièrement attention en présence de personnes en situation d'obésité, qui est un critère de vulnérabilité."

"Sept jours d'alitement, je n'ai pas envie de ça"

Denis Malvy, infectiologue responsable de l'unité maladies tropicales du CHU de Bordeaux et membre du Conseil scientifique :

"Je garde le masque dans les circonstances où j'estime qu'il y a un risque, que j'évalue comme tout citoyen qui a deux ans d'expérience de cette pandémie. Quand je fais les courses, je le porte. Je vais au restaurant, mais je m'assure que l'espace est aéré et qu'on n'est pas serrés comme des sardines.

J'observe, dans mon entourage, que le Covid-19 symptomatique, même quand il ne nécessite pas d'hospitalisation, c'est sept jours d'alitement, des courbatures très pénibles, la perte du goût et de l'odorat. J'y ai échappé jusqu'à présent et, personnellement, je n'ai pas envie de ça.

Je n'ai pas à juger le comportement des gens. Mais je pense qu'avec un minimum de contraintes, on peut faire beaucoup [contre la propagation du virus]. Les services de réanimation ne sont pas débordés, mais les patients qui y sont aujourd'hui, ce sont des immunodéprimés. Ils demandent à être protégés et il faut le faire."

"C'est vrai que ces derniers jours, je doute un peu plus"

Samira Fafi-Kremer, directrice de l'Institut de virologie du CHU de Strasbourg :

"J'avoue qu'il m'est arrivé d'aller à la boulangerie sans masque. Et que ne pas avoir à le porter est agréable. Par contre, j'évite les lieux où il y a beaucoup de monde et je garde toujours un masque à portée de main si c'est le cas, même en extérieur. L'autre jour, je l'ai mis au cinéma, dans une petite salle qui était bondée. Nous devions être quatre ou cinq à le faire.

Mes enfants n'ont pas besoin de consigne de ma part, ils sont encore plus stricts que moi. Déjà, quand je le retirais dehors, ma fille me disait : 'Maman, tu es virologue, tu ne vas quand même pas enlever le masque'. Le premier jour de la fin de l'obligation en classe, elle avait décidé de continuer à le porter. Mais ils n'étaient que deux, donc ça n'a pas duré.

La levée des restrictions a peut-être été trop rapide. Mais je me sens un peu hypocrite de le dire, parce qu'on était tous contents de ne plus avoir à porter le masque. Il faisait beau, les cas baissaient. C'est vrai que ces derniers jours, je doute un peu plus."

"Je garde un détecteur de CO2 allumé"

William Dab, épidémiologiste, professeur au Cnam et ancien directeur général de la santé :

"Je n'ai rien changé à mes habitudes. Le seul endroit où je ne porte plus le masque FFP2, c'est dans la rue. Là, je sors de cours, où je demande à tous mes étudiants de continuer à porter le masque et où je garde un détecteur de CO2 allumé. C'est aussi comme cela que je mesure si les restaurants ont un niveau d'aération suffisant avant d'y aller.

Dire que seules les personnes fragiles doivent se protéger est une absurdité épidémiologique. Le masque n'est pas efficace à 100%, aucune mesure ne l'est, c'est pour cela qu'il faut les combiner au maximum. Ces mesures ne sont pas si contraignantes, ce n'est pas un confinement. Mais nos autorités ont systématiquement été 'rassuristes', et les chiffres de ces dernières semaines le montrent à nouveau.

On dit que les Français en ont marre du masque, mais j'aimerais bien voir des études à ce sujet. Dans mon immeuble ou quand je fais les courses, je vois les gens continuer de le porter. J'étais au théâtre samedi et tout le monde était masqué. Je trouve que le bénéfice de lever cette obligation n'est pas si tangible."

"J'essaie surtout d'éviter les endroits bondés"

Marie-Paule Kieny, virologue spécialiste de la vaccination et directrice de recherche à l'Inserm :

"Je porte toujours le masque dans les colloques scientifiques ou les concerts. Pour le reste, j'essaie surtout d'éviter les endroits bondés. Par exemple, je vais au fitness aux heures de faible affluence et j'évite de rester très proche des autres sportifs.

Dans la sphère familiale, la situation est clairement plus relâchée. Notamment parce que beaucoup ont déjà eu le Covid-19, même si ce n'est pas le cas pour moi ni mon mari. On évite simplement de garder nos petits-enfants s'ils ont une toux sèche, par exemple.

Je pense qu'il était temps de passer à autre chose [en allégeant les restrictions]. Mais il reste des règles et ce qui m'énerve, c'est quand les gens ne les suivent pas. Comme cette dame qui portait son masque sur le menton dans un TGV où j'étais l'autre jour, et qui a protesté quand je lui ai fait une remarque. Certains profitent du relâchement. Il est important de ne pas oublier le respect des autres."

"Je ne m'empêche pas de vivre"

Jean-Michel Constantin, chef du service de réanimation à l'hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris :

"Tout dépend de la quantité de personnes autour et de la respirabilité du lieu. Quand je suis à la caisse d'un grand magasin, je mets un masque, mais pas quand on est trois chez mon boucher. Bien sûr, je le porte systématiquement quand il y a des personnes âgées ou à risque.

Il y a quelques jours, nous avons vu une douzaine de copains et ça a fait un mini-cluster. Sachant que j'étais cas contact et que ma compagne était positive, je me suis isolé et j'ai gardé mon masque en permanence.

Mais je ne m'empêche pas de vivre. Et vu la pression hospitalière en ce moment, qui est supportable, ça ne me choque pas qu'on laisse filer les contaminations. Il faut profiter du fait que l'on n'est pas face à un variant plus dangereux. Et espérer qu'il se mette à faire beau.

"Il faut avoir cette responsabilité, quand on est cas contact, de considérer qu'on pourrait transmettre le virus à tout le monde."

Jean-Michel Constantin, réanimateur

à franceinfo

"Je ne suis pas du tout retourné au bar"

Gilles Pialoux, chef du service des maladies infectieuses de l’hôpital Tenon à Paris :

"Au travail, je suis à 'l'étage Covid', donc je porte un FFP2 toute la journée. En dehors, je garde un masque chirurgical dans tous les espaces clos, quand je prends l'ascenseur, que je fais mes courses... 

Je ne suis pas du tout retourné au bar : je ne me vois pas discuter à cinq, serrés et debout au fond d'une salle, même si ce sont des moments agréables. Je suis allé voir un concert récemment, mais je suis resté masqué. Vous êtes compressé à la sécurité, au guichet... C'est plus simple que de l'enlever et le remettre en permanence. Mais dans la salle, il devait y avoir 50 masques pour 500 personnes.

Je trouve très dommageable qu'on soit passé, sans transition, d'une crise gérée par l'obligation à une situation où tout est laissé à la responsabilité individuelle. Je ne pense pas que tout le monde ait en tête tous les enjeux : le risque pour les enfants, le risque de Covid long... On avait les moyens de faire plus de pédagogie."

"Cela ne devrait pas être une question individuelle"

Samuel Alizon, chercheur au CNRS, spécialiste de la modélisation de l'évolution des virus :

"Là, par exemple, je suis en intérieur, donc je porte le masque. Je le fais à peu près tout le temps quand je suis dans des lieux clos et partagés. C'est dans les bars, les restaurants et lors des soirées que je trouve la situation plus compliquée. J'essaie de n'aller au restaurant que si je peux m'asseoir en terrasse ou s'il n'y a personne d'autre dans la salle.

Ça ne devrait pas être une question de culpabilité individuelle, on parle de choix collectifs et politiques. En tant qu'épidémiologistes, on est évidemment biaisés, mais on a l'impression de vivre totalement en décalage alors que le sujet est totalement absent de la campagne électorale."

"Dommage que le masque ne soit pas plus fortement recommandé"

Anne Geffroy-Wernet, médecin au CHU de Perpignan et présidente du Syndicat national des praticiens hospitaliers anesthésistes-réanimateurs (SNPHARE) :

"La première fois où je suis rentrée dans un magasin après la fin de l'obligation du port du masque, je n'en ai pas mis. Mais, tout de suite, je ne me suis pas sentie à l'aise, et j'ai recommencé à le porter. Je le mets beaucoup moins qu'avant en extérieur, parce que je vis à la campagne, mais je me rends à Paris bientôt et je pense le porter en permanence dans la rue.

J'ai été cas contact récemment, mais à l'hôpital on ne peut pas s'isoler. Cela voudrait dire déprogrammer des patients. La semaine dernière, 20% de mon équipe d'anesthésistes-réanimateurs était absente parce que positive.

"Moi aussi, j'en ai marre du masque, tout le monde en a marre…"

Anne Geffroy-Wernet, médecin anesthésiste-réanimatrice

à franceinfo

Il est dommage que le masque ne soit pas, au moins, plus fortement recommandé. C'est terrible de voir des personnes dire : 'J'en ai marre, je ne le remettrai que quand ce sera obligatoire', alors même qu'elles sont à côté de personnes âgées, de malades du cancer…

Dans les semaines à venir, on se retrouvera en réanimation avec des non-vaccinés, mais aussi des personnes immunodéprimées, qui ont une moindre sensibilité à la vaccination. Mieux vaut avoir sur la tête un masque chirurgical qu'un masque à oxygène."

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