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Coronavirus : Creuse, Lozère, Cantal, Hautes-Alpes… Comment les départements les moins peuplés de France tentent de séduire les touristes

Ces territoires ruraux mettent en avant la nature, les "grands espaces" ou encore l'"air pur" pour attirer des citadins qui se trouvent dans un rayon de deux à trois heures de route.

Article rédigé par Louis San
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Vue de l'Aubrac, un plateau volcanique dans le massif central, entre la Lozère, le Cantal et l'Aveyron. (LEZBROZ)

Qui rêve encore de se serrer sur les plages cet été après 55 jours de confinement, alors que la distanciation physique demeure nécessaire, et que le spectre d'une nouvelle vague est scruté avec la plus grande vigilance ? Pour cette saison estivale bousculée par la pandémie de Covid-19, les départements les moins peuplés de France disposent d'arguments pour tenter de tirer leur épingle du jeu.

Cet été, les Français souhaitent principalement de grands espaces, "être à l'extérieur", "être libres", "faire des randonnées, avec une belle vue, loin de la circulation, en entendant les oiseaux", énumère auprès de franceinfo Régis Alexandre, directeur de l'office de tourisme Gap-Tallard-Vallées (Hautes-Alpes). Il ajoute que les Français comptent partir moins loin que d'habitude, à deux ou trois heures de route de chez eux, selon une enquête menée par son département.

Mais d'autres territoires ruraux ont identifié ces tendances. Eric Debenne, directeur de Lozère Tourisme, indique par exemple à franceinfo que son département souhaite attirer des personnes qui résident près de Lyon, de Clermont-Ferrand, de Marseille ou encore de Montpellier. Bref, des citadins qui habitent à environ trois heures de voiture.

L'argument des grands espaces

C'est pour cette raison que la Lozère, le département le moins peuplé de France avec une densité de seulement 14,8 habitants par km², met en exergue un dépaysement XXL... sans parcourir des milliers de kilomètres. Ce territoire, qui a augmenté son budget communication de 30% par rapport à 2019, suggère que ses paysages peuvent rappeler les steppes de Mongolie, les forêts du Canada ou encore les montagnes écossaises. "La Lozère se trouve à un carrefour géologique offrant des paysages totalement différents", fait valoir Eric Debenne.

La Creuse, qui jouit d'une densité de seulement 21,5 habitants au km² (contre plus de 20 000 à Paris), n'a pas attendu la pandémie pour valoriser ses grands espaces. "Depuis deux ans, nous communiquons sur les aspects 'Etre seul au monde, c'est encore possible' ou encore 'votre petit bout du monde n'est peut-être pas si loin de chez vous'", explique à franceinfo Graziella Penot, chargée de communication de Creuse Tourisme.

Pendant le confinement, le département a continué à creuser ce sillon avec des slogans comme "La campagne vient à vous" ou encore "La Creuse vous attendra".

"Nous avons voulu amener le côté nature et grands espaces dont tout le monde rêvait pendant le confinement, explique Graziella Penot. Nous misons sur le sport, un retour 'zen' à la nature. Nous répondons aux attentes des gens et nous comptons bien capitaliser dessus."

Dans la Creuse, nous n'avons pas la mer, pas la montagne, mais nous avons les grands espaces (...) Depuis des années, nous avons du mal à nous faire entendre, comme la Lozère, mais enfin aujourd'hui, c'est vu comme un atout.

Graziella Penot, directrice de la communication de Creuse Tourisme

à franceinfo

Pour les Hautes-Alpes, les demandes des Français sont "du pain bénit", lance Régis Alexandre. "En quinze minutes en voiture autour de Gap, tout cela est possible", souligne-t-il. La région Paca a lancé "une campagne de communication sans précédent, d'un budget de 2,1 millions d'euros", selon Yvan Chaix, directeur de l'Agence de développement économique et touristique des Hautes-Alpes, dans une interview au magazine Travaux publics et bâtiment du Midi

Une campagne baptisée Impec'Alpes a ainsi débuté en mai. "La montagne ne manque pas d'attraits et ses bienfaits sont reconnus depuis la nuit des temps. Aujourd'hui, ils prennent une dimension nouvelle et essentielle", peut-on y lire, dans une référence évidente à la situation sanitaire actuelle. Les éléments mis en avant sont, sans surprise, les "grands espaces" et une "nature préservée".

Au même moment, la région a également dévoilé une autre campagne en insistant sur la pureté de l'air alpin.

Le souhait de se rapprocher de la nature se vérifie aussi dans le Cantal, département qui affiche une densité de seulement 25,5 habitants au km², et neuf morts depuis le début de l'épidémie. "Les grands espaces, la randonnée, c'est le boom depuis deux semaines", indique à franceinfo Fabienne Van Eeckhout, directrice de l'établissement public Hautes terres tourisme. "Nous avons énormément de demandes de renseignements sur les randonnées, les GR, les gîtes d'étape", ajoute-t-elle. La dirigeante précise que le chemin le plus demandé est le GR400, qui fait le tour des monts du Cantal.

Des demandes spécifiques d'après-Covid

Les départements peu peuplés parviennent à attirer cette nouvelle population de touristes qui veulent fuir la foule. Mais ces derniers formulent des demandes particulières liées à l'épidémie. "D'après les échos de mon territoire, dans les campings, tout ce qui est locatif [mobil-homes, bungalows…] semble avoir pas mal de demandes", rapporte Pascal Stawicki, directeur de l'office de tourisme du pays d'Aurillac (Cantal). Selon lui, "il y a un certain trauma de la part des gens à cause du Covid".

Même si tous les protocoles sont mis en place et respectés, les gens préfèrent avoir leurs propres sanitaires et ne pas se rendre dans les douches partagées.

Pascal Stawicki, directeur de l'office de tourisme du pays d'Aurillac

à franceinfo

Sur le front sanitaire, les autorités se veulent rassurantes. La délégation creusoise de l'agence régionale de santé du Limousin affirme auprès de franceinfo maintenir "le plus haut niveau de vigilance pour, en cas de contaminations avérées, être en capacité de lancer des dépistages massifs rapidement, y compris le week-end" et de "déclencher les procédures de contact tracing". Elle rappelle également l'importance des gestes barrières, le lavage fréquent des mains, avec cet avertissement : "Il faut éviter le relâchement même dans les zones où la densité de population est plus faible."

"Une nouvelle clientèle à fidéliser"

Les opérations séduction des départements les moins peuplés peuvent-elles vraiment fonctionner ? "Déjà, la majorité des Français qui part en vacances va en France, il ne faut pas l'oublier", recadre Bertrand Réau, sociologue spécialiste du tourisme au Conservatoire national des arts et métiers. "Covid ou pas, le modèle principal pour les Français, ce sont des vacances dans la famille ou dans des hébergements non marchands près de la mer." Ce chercheur ne croit pas à un bouleversement profond et soudain des pratiques touristiques en raison de la crise sanitaire et économique. Pour lui, le manque de touristes étrangers va être le principal changement cet été en France.

C'est ce que confirme Hugues de Houdetot, qui gère avec ses parents le camping du château de Poinsouze (Creuse), un lieu "calme et familial où il n'y a généralement plus un bruit après 22 heures".

D'habitude, nous avons environ 60 à 70% de touristes étrangers. Cette année, beaucoup ne vont pas venir.

Hugues de Houdetot, cogérant du camping de Poinsouze

à franceinfo

"Nous allons donc avoir beaucoup de Français et une nouvelle clientèle à fidéliser, à conquérir. Cela va être difficile parce que ce sont des gens qui n'ont pas l'habitude de venir dans des endroits comme chez nous, mais c'est possible", poursuit-il avec prudence.

Pour l'instant, la foule n'est pas là. "Au mois de juin, la fréquentation est divisée par trois dans nos offices de tourisme", admet Christelle Blanc, chargée du développement touristique au sein de Creuse confluence tourisme. "Les accueils physiques dans les offices sont moindres, c'est sûr", concède Régis Alexandre.

Mais tous s'attendent à des réservations de dernière minute, comme l'a montré un sondage d'Opinion Way pour Sofinco publié mi-juin. Pas étonnant que les professionnels du tourisme des départements peu peuplés refusent tous d'avancer un pronostic sur les chiffres de cet été. Une chose est certaine : les résultats de 2020 seront moins bons que ceux de 2019. Toutefois, ils s'accordent à dire qu'"ils seront un peu moins catastrophiques que ce qu'ils imaginaient" en mars, lorsque le confinement a débuté. Pour Christelle Blanc, "la saison ne sera pas nulle. Cela ne sera pas noir, ça sera gris clair."

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