La résistance aux antibiotiques en cinq questions
L'Organisation mondiale de la santé vient de rendre public un rapport alarmant sur la résistance aux antibiotiques, qui progresse partout dans le monde. Francetv info vous explique pourquoi il faut s'inquiéter.
Pourrait-on mourir demain, dans les pays développés, après une diarrhée ou une pneumonie ? C'est ce que craint l'Organisation mondiale de la santé (OMS), qui publie un rapport sur la résistance aux antibiotiques dans 114 pays. "Cette grave menace n’est plus une prévision, mais bien une réalité dans chaque région du monde, tout un chacun, quels que soient son âge et son pays, peut être touché", explique le rapport, alors que la France est le deuxième pays consommateur d'antibiotiques en Europe, après la Grèce, selon les données de l'assurance-maladie.
Comment en est-on arrivé là et quelles solutions se présentent à nous ? Eléments de réponse en cinq points.
1 Pourquoi les antibiotiques sont-ils devenus inefficaces ?
La consommation abusive d'antibiotiques chez l'homme participe à rendre les bactéries résistantes à ces médicaments. Contacté par francetv info, Patrice Courvalin, professeur à l'Institut Pasteur (Paris), référent sur la question, estime que parmi les prescriptions d'antibiotiques réalisées par des médecins généralistes, "70% sont inefficaces. Or il s'agit, pour beaucoup, de maladies virales et non bactériennes." L'expert déplore également que les médecins prescrivent des antibiotiques "en prévention", avant même d'être sûrs que l'infection à soigner est d'origine bactérienne.
Par ailleurs, selon Patrice Courvalin, sur les 60 000 tonnes d'antibiotiques consommées chaque année dans le monde, "75% sont destinés aux animaux". Or l'utilisation d'antibiotiques dans l'alimentation des animaux a aussi une répercussion chez l'homme, via la chaîne alimentaire. C'est pourquoi, en France, une disposition du projet de loi sur l'agriculture, qui vient d'être adoptée, prévoit de limiter la délivrance des antibiotiques par les vétérinaires, comme le rapporte Libération. Patrice Courvalin explique que "même si les concentrations d'antibiotiques sont faibles chez les animaux ou dans l'écosystème, cela favorise la résistance des bactéries".
2 Pourquoi est-ce que ça pose problème ?
Selon l'Agence européenne des médicaments, la résistance aux antibiotiques est responsable de 25 000 morts chaque année en Europe. "La résistance que l'on développe aux antibiotiques empêche de soigner des infections. C'est gravissime pour les progrès qu'a fait la médecine depuis vingt ans", affirme Patrice Courvalin. Des maladies et des infections facilement soignées aujourd'hui par des antibiotiques, comme la tuberculose, les otites et les angines, pourraient être fatales. "Cela va même plus loin. Sans l'effet des antibiotiques, tous les malades sous chimiothérapie et tous ceux bénéficiant d'une transplantation peuvent mourir d'infections", poursuit-il. Ainsi en l'absence d'antibiotiques, des chercheurs estiment qu'une personne sur six pourrait mourir d'une infection après la pose d'une prothèse de hanche, explique Le Figaro.
3 Que peuvent faire les pouvoirs publics et les professionnels de santé ?
Cela commence par informer la population des effets des antibiotiques. "Les antibiotiques, c'est pas automatique" : ce slogan, désormais bien connu en France, a été utilisé pour la première fois dans une campagne de sensibilisation en 2002, comme rappelle Le Figaro. Régulièrement, de nouvelles campagnes sont lancées. Mais leur efficacité semble mitigée. Car si en 2009 on notait une baisse de 15% de la consommation hexagonale d'antibiotiques, Patrice Courvalin affirme que "la tendance est repartie à la hausse".
Les médecins, eux, sont invités à prescrire moins d'antibiotiques. En cas d'angine, par exemple, il existe des "tests rapides pour déterminer si l'infection est d'origine virale ou bactérienne", préconise Patrice Courvalin. Un test salivaire "indolore et simple, qui ne prend que quelques minutes" et dont le résultat est immédiat peut être effectué, rappelle l'assurance-maladie.
4 Et le patient, que peut-il faire ?
L'OMS émet plusieurs recommandations.
Respecter les prescriptions. Il s'agit d'abord d'utiliser les antibiotiques uniquement quand ils sont prescrits par un médecin. Une boîte d'antibiotiques est par ailleurs personnelle et ne se partage pas. Un antibiotique peut être efficace contre une infection bactérienne à un moment précis, mais les bactéries évoluent, et il est donc souvent nécessaire de changer de familles d'antibiotiques. Il ne faut donc pas reprendre les médicaments d'un précédent traitement.
Respecter la durée du traitement. Lorsqu'on suit un traitement d'antibiotiques, il faut bien le prendre jusqu'au bout, même si l'on se sent mieux, et ne pas sauter de jours dans le traitement. La raison ? Au début du traitement, les antibiotiques détruisent les bactéries les plus sensibles, responsables de nos symptômes. Mais c'est souvent à la fin que l'antibiotique tue les bactéries les plus résistantes. Or si une bactérie résiste, elle a ensuite tranquillement le temps de proliférer et de provoquer une autre infection.
5 Quelles sont les solutions ?
Rechercher de nouveaux antibiotiques. Mettre au point de nouveaux antibiotiques est primordial. Or "très peu de molécules nouvelles sont arrivées sur le marché depuis dix ans [comme le montre cette infographie du Figaro]. A court et moyen terme, il n'y aura pas de nouveaux antibiotiques", se désole Patrice Courvalin. Le professeur de l'Institut Pasteur met en cause un "désengagement de l'industrie pharmaceutique dans la recherche" dans ce domaine. Plusieurs facteurs sont en jeu. D'abord, la recherche sur les antibiotiques prend du temps, de "dix à douze ans entre la découverte de la molécule et la commercialisation du médicament", selon Patrice Courvalin. En outre, la tendance est à l'augmentation des doses d'antibiotiques et à la réduction de la durée des traitements. "Or ce n'est pas rémunérateur pour les laboratoires", constate l'expert.
Enfin, aujourd'hui, quand une nouvelle molécule performante est trouvée et qu'un antibiotique est élaboré, il est réservé au milieu hospitalier afin de "retarder la résistance", justifie Patrice Courvalin.
Travailler sur des approches alternatives. Face à cette résistance croissante aux antibiotiques, des chercheurs travaillent sur d'autres approches. C'est le cas de la phagothérapie, mise au point au début du XXe siècle et remise au goût du jour. Le principe est d'accéder à une bactérie et d'y insérer un virus chargé de la détruire. Patrice Courvalin estime que cela peut être tenté dans certains cas, mais pas pour toutes les infections. Toutefois, le Service de santé des armées a lancé, en juin 2013, une série d'expérimentations à ce sujet.
L'Inserm précise aussi que d'autres voies thérapeutiques sont explorées, comme "la thérapie antivirulence". Le principe n'est plus de tuer la bactérie, mais de bloquer les systèmes qui rendent cette bactérie pathogène. Autre possibilité, bloquer les enzymes produites par certaines bactéries.
Malgré ces pistes, il n'existe aujourd'hui aucune véritable alternative. D'où les messages alarmistes de l'OMS et des autorités de santé.
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