L'abus de sucre aussi dangereux que l'alcool ou le tabac ?
Trois scientifiques américains ont lancé un avertissement dans la revue "Nature", appelant à limiter la consommation de produits sucrés. FTVi a demandé leur avis à plusieurs spécialistes français.
Sucre, alcool, tabac, même combat ? Dans une tribune publiée mercredi 1er février dans la revue scientifique Nature (article payant), trois scientifiques américains tirent la sonnette d'alarme sur les risques sanitaires mondiaux que présente l'abus de sucre, et en particulier l'absorption de sucres ajoutés comme le fructose. Selon eux, les produits sucrés devraient ainsi faire l'objet de mesures comparables à celles prises pour limiter la consommation d'alcool et de tabac. FTVi a demandé leur avis à plusieurs spécialistes français.
• Que dit l'article de "Nature"?
Selon les trois scientifiques de l'université de Californie, à San Francisco, le sucre est "l'un des principaux coupables de cette crise sanitaire mondiale" liée à l'augmentation des maladies non transmissibles (diabète, obésité, maladies cardiovasculaires, cancers), et "demeure non surveillé". Dans "sucre", il faut surtout entendre "fructose" industriel, présent dans les boissons et les aliments sucrés. Ces scientifiques veulent ainsi doubler le prix des sodas, limiter les points de vente de sucreries et leurs heures d'ouverture et fixer un âge minimal pour pouvoir acheter des boissons sucrées.
• Le fructose industriel est-il mauvais pour la santé ? "Oui"
Ce constat n'est pas nouveau : la consommation excessive de fructose favorise l'apparition de diabète de type 2, dit "gras", pouvant entraîner des maladies cardio-vasculaires. "L'ennemi, ce n'est pas le fructose naturel présent dans les fruits, mais le fructose fabriqué industriellement", utilisé comme additif, note Marie-Laure André, diététicienne à l'hôpital de Toulon (Var).
Aux Etats-Unis, il se présente souvent sous la forme de "sirop de maïs à haute teneur en fructose", moins cher à produire. Selon Robert Lustig et ses collègues, sa consommation excessive "exerce sur le foie des effets toxiques similaires à ceux de l'alcool", et pourrait "induire une dépendance chez l'homme". Marie-Laure André les rejoint surtout sur le fait que le fructose "n'a pas d'impact sur l'effet de satiété" et perturbe ainsi le signal de la faim, poussant le consommateur à manger davantage.
• La situation est-elle aussi critique en France ? "Non"
Selon l'Association nationale des industries alimentaires (Ania), citée par Le Monde, la vision des auteurs de l'article de Nature est déformée par leur prisme américain. Jean Lalau-Keraly, pédiatre nutritionniste à l'Hôpital américain de Neuilly (Hauts-de-Seine), confirme : "Il y a une véritable culture du soda aux Etats-Unis, avec toutes sortes de variétés, un peu comme l'eau minérale et le vin en France."
En outre, "la teneur en fructose des canettes de sodas américaines est plus élevée que celles que l'on peut trouver en France, en raison de l'utilisation du maïs pour en fabriquer", relève Jean-Michel Borys, endocrinologue et spécialiste des maladies métaboliques. Selon lui, le problème est avant tout d'ordre économique. Plutôt que d'interdire la vente de boissons sucrées aux jeunes, mieux vaudrait, entre autres, "stopper les subventions aux producteurs de maïs".
En France, enfin, des premières mesures ont déjà été prises pour limiter la consommation de produits sucrés. Depuis le 1er janvier, les boissons sucrées sont taxées à hauteur de 7,16 euros par hectolitre. Et les distributeurs automatiques de sucreries sont interdits depuis 2005 dans les écoles.
• Faut-il éviter les aliments avec des sucres ajoutés ? "Oui"
Qu'il soit issu du maïs, de la betterave ou de la canne à sucre, le fructose industriel est plutôt à éviter, dans la mesure du possible, préconisent les spécialistes français. Sur les étiquettes alimentaires, il est signalé ainsi : "sirop de glucose, fructose" ou "sirop de maïs". On en trouve dans les céréales, la confiture, les yahourts sucrés, les entremets, la pâtisserie industrielle, les gâteaux et bien sûr les boissons.
"Le sucre ne doit pas être proscrit, il est important dans la notion de plaisir, c'est une énergie immédiatement disponible pour le corps et le glucose est le carburant du cerveau", rappelle Marie-Laure André. Mais mieux vaut le consommer sous sa forme classique, le sucre de table, ou dans des aliments à sucres lents comme le pain, les pâtes et autres féculents, précise la spécialiste.
Et les édulcorants, tels que l'aspartame ou la stevia ? "Pour une personne diabétique, ils sont préférables, sans aucun doute", tranche Jean-Michel Borys. Et de rappeler que l'Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses), ex-Afssa, avait recommandé en 2004 aux gros consommateurs de sodas de privilégier les boissons light. Reste que, depuis, l'aspartame a été mise en cause dans plusieurs études, et présenterait notamment un risque pour les femmes enceintes.
• Est-ce aussi dangereux que l'alcool et le tabac ? "Cela dépend"
Sur ce point, les spécialistes français sont sceptiques. "Je n'irai pas aussi loin sur la dangerosité du fructose par rapport à l'alcool et au tabac. Cela dépend de chaque personne", observe Marie-Laure André. "Tout est dans l'excès, relève de son côté Jean-Michel Borys. Si vous mangez 10 kilos de pommes par jour, vous êtes aussi en surcharge de fructose, plaisante-t-il. Il est clair que quand on est en hypertriglycéridémie (excès de graisses dans le sang), il faut autant limiter la consommation de fruits que d'alcool."
Pour un individu qui ne présente pas (encore) ce type de pathologie, la consommation de fructose représente un risque à partir de 50 g par jour. "Ce seuil est atteint avec deux cannettes de sodas aux Etats-Unis. En France, il en faut sans doute un peu plus, mais on y est très vite", prévient l'endocrinologue.
Jean Lalau-Keraly estime également que la comparaison entre le fructose et le tabac et l'alcool dépend des quantités absorbées. Et ne se prononce pas sur la dépendance que cet additif sucré pourrait générer, alors qu'elle est avérée pour les deux autres produits. Ce qui ne fait aucun doute, selon lui, c'est "l'explosion actuelle des diabètes de type 2 dans les pays industrialisés". D'où l'impérieuse nécessité de ne pas faire l'impasse sur ce qui est "en train de devenir le problème de santé publique numéro 1". Devant le tabac et l'alcool, donc.
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