Reportage En Dordogne, la régulation des urgences la nuit soulage les soignants, mais inquiète les patients

Depuis le 17 mai, les portes des urgences du département ne sont ouvertes la nuit qu'à condition d'y être envoyé par le Samu. Contestée par les usagers, la mesure a été prise par l'Agence régionale de santé pour faire face au manque de personnel médical.
Article rédigé par Florence Morel
France Télévisions
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L'entrée des urgences de l'hôpital de Sarlat (Dordogne), le 20 juillet 2023. (FLORENCE MOREL / FRANCEINFO)

Le soleil inonde le parvis de l'hôpital Jean-Leclaire de Sarlat (Dordogne). Les vacances approchent pour Bob, Virginie et Héloïse, leur fille de 17 mois, venus pour une visite de contrôle à la maternité locale. Malgré la douceur ambiante, ils profitent de ce rendez-vous matinal de juillet pour signer la pétition du collectif Sauvons l'hôpital de Sarlat, vent debout contre la fermeture temporaire de la maternité et la régulation des urgences la nuit. Jusqu'au 30 septembre, comme dans l'ensemble du département, il faudra composer le 15, le numéro du Samu, avant de se rendre à l'hôpital entre 19 heures et 8 heures. Au bout du fil, un assistant de régulation médicale (ARM) oriente le patient vers les urgences ou vers un centre de soins non-programmés, en fonction de la gravité des symptômes du patient. Un filtrage pour éviter l'embouteillage, en somme.

Même si la lumière est visible depuis l'extérieur du bâtiment, les portes vitrées restent closes pour les usagers dont l'état de santé ne nécessite pas une hospitalisation. A Bergerac, une ligne téléphonique reliée au 15 a été installée dans le sas des urgences, pour les visiteurs qui arrivent directement à l'hôpital, sans passer par le Samu. Si leur cas le nécessite, ils pourront entrer. Sinon, il faudra se rendre à la maison médicale de garde, située à quelques mètres de là, ou attendre le lendemain.

Une patiente signe la pétition pour "sauver les urgences" de Sarlat (Dordogne), le 20 juillet 2023. (FLORENCE MOREL / FRANCEINFO)

Ce fonctionnement a été décidé le 17 mai par l'Agence régionale de santé (ARS) de Dordogne. En cause : le manque chronique de personnel depuis la crise sanitaire. Cette pénurie s'est aggravée depuis avril avec l'application de la loi Rist, qui plafonne les salaires des médecins intérimaires à 1 390 euros brut pour une garde de vingt-quatre heures, entraînant de grandes tensions dans les recrutements.

Une baisse de fréquentation la nuit

"C'est une décision concertée, proposée par les urgentistes eux-mêmes pour prendre en charge uniquement les patients qui en ont le plus besoin", assure le directeur de l'ARS de Dordogne, Denis Couteaud. A Bergerac, depuis le 17 mai, le nombre de passages aux urgences "a diminué de 10 à 15%" la nuit, mais le nombre d'hospitalisations, lui, "est resté identique", assure le directeur de l'établissement, Mathieu Labat. "Désormais, nous ne traitons plus que les situations d'urgence, ce pour quoi nous avons été formés, explique Anncy Eclancher, cheffe des urgences de l'hôpital. En plus, nous les prenons en charge dans de meilleurs délais et de meilleures conditions de sécurité".

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Au fond, la décision soulage les blouses blanches. "Cette annonce a été prise comme une protection du personnel, souligne Béatrice Cavalière, aide-soignante à l'hôpital de Périgueux et représentante syndicale CFDT. Ce n'était plus tenable d'avoir des patients dans les couloirs, où vous deviez parfois prodiguer des soins ou faire des toilettes." A ses côtés, Annette Alain, aide-soignante, a remplacé une collègue aux urgences pendant deux jours. Elle "comprend" les craintes des usagers, mais regrette que certains "viennent pour rien". "Un jeune homme de 30 ans s'est déplacé parce qu'il avait des boutons sur le cou ! Il n'avait rien à faire aux urgences", juge-t-elle.

"Une perte de temps et de chance" pour les patients

A plus de 70 km de là, sur le parvis de l'hôpital Jean-Leclaire, les patients s'inquiètent de cette nouvelle régulation, qui fait craindre le pire à Bob et Virginie. Ils ont déjà connu cette situation et ont eu très peur pour leur fille. A l'automne 2022, alors qu'une triple épidémie particulièrement virulente de bronchiolite, grippe et Covid-19 a mis à mal les urgences de tout le pays, Héloïse a contracté un virus respiratoire. Après plusieurs appels au 15 et des rendez-vous chez son pédiatre, son état s'est aggravé et elle a finalement été hospitalisée pendant cinq jours. "On a perdu beaucoup de temps avec cette régulation", se souvient, amer, le père de famille.

A ses côtés, Arlette Laflaquière s'inquiète aussi, encore échaudée par une mauvaise expérience. Un samedi de janvier, elle se souvient de l'appel passé au Samu pour sa mère de 95 ans. "J'ai attendu vingt minutes au téléphone, pour qu'un médecin me dise que ça pouvait attendre, regrette-t-elle. Quand l'infirmière a vu l'état de ma maman le lendemain, elle s'est affolée. Elle a appelé les pompiers, qui sont venus très vite. Ma mère a été hospitalisée pendant un mois."

Virginie, Bob et leur fille Héloïse devant l'hôpital de Sarlat (Dordogne), le 20 juillet 2023. (FLORENCE MOREL / FRANCEINFO)

Autant de témoignages qui suscitent des craintes au sein du collectif Sauvons l'hôpital de Sarlat. Pour sa présidente, Nicole Marty, passer par le 15 "est une perte de temps et de chance". Une préoccupation partagée par Pascale Slagmolen, secrétaire départementale Unsa santé, qui craint que ce filtrage soit un obstacle pour les patients en difficulté. "Imaginez le stress de la personne qui arrive aux urgences et qui ne peut pas ouvrir la porte, qui va se demander comment être prise en charge." 

"Au départ, ces fermetures de services étaient ponctuelles. Mais cette fois, c'est pour une période de quatre mois."

Nicole Marty, présidente du collectif Sauvons l'hôpital de Sarlat

à franceinfo

Par ailleurs, cette régulation a été mise en place pendant la saison touristique, durant laquelle les urgences sont très sollicitées. Rien qu'à Sarlat, commune de presque 10 000 habitants, "deux millions de visiteurs sont accueillis chaque année, dont la moitié l'été", assure le maire, Jean-Jacques de Peretti (divers droite). 

Séduire les touristes et les médecins

Si le territoire attire les vacanciers, il peine à séduire les praticiens, aussi bien à l'hôpital qu'en ville. "Il nous manque un tiers de médecins aux urgences", concède le directeur de l'établissement de Bergerac. En arrivant à son poste, il pensait que le Périgord, "en étant aussi touristique", serait attractif pour les médecins. Mais la réalité est différente : "J'ai découvert qu'il était perçu comme un territoire rural, beaucoup moins attractif que le littoral".

Les élus aussi se démènent pour attirer de nouveaux praticiens. En 2022, le département comptait 132 médecins généralistes pour 100 000 habitants, selon l'Insee, contre 165 pour 100 000 habitants dans l'ensemble de la Nouvelle-Aquitaine. Outre la faible densité médicale, "le problème, c'est que de nombreux médecins vont partir à la retraite", redoute le maire de Sarlat. En 2022, l'âge moyen des médecins du département était d'un peu plus de 51 ans, contre 50 ans pour la moyenne nationale, selon un rapport du Conseil de l'ordre des médecins (PDF).

Pour endiguer le phénomène, à Bergerac, le maire a mis à disposition des apprentis médecins un appartement meublé et gratuit, le temps qu'ils effectuent leur stage. Avec l'espoir que ce moment passé dans le Périgord leur donnera des envies d'installation. A une heure et demie de route de là, à Sarlat, l'équipe municipale a créé un stand sur le marché de la ville, tous les samedis matin, pour vendre le territoire aux médecins en vacances. "On vient de trouver un chirurgien", se félicite l'élu sarladais, qui compte bien profiter de l'été pour en convaincre d'autres.

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