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Peut-on refuser l'installation du compteur Linky chez soi ?

Le compteur électrique communicant, qu'Enedis doit installer dans 35 millions de foyers d'ici 2021, suscite les craintes de certains usagers. Dans les collectifs d'opposants qui se sont formés circulent des courriers destinés à refuser sa pose. Franceinfo fait le point.

Article rédigé par Louis Boy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Un technicien installe un compteur électrique Linky dans une habitation à Sequedin (Nord), le 5 janvier 2018. (MAXPPP)

D'ici 2021, les 35 millions de compteurs électriques sous la responsabilité d'Enedis (ex-ERDF) seront remplacés. Tous ? Pas forcément. C'est l'objectif de l'entreprise, mais certains usagers s'opposent à la pose du boîtier vert, dont la principale nouveauté est d'être "communicant" : par le biais d'un courant circulant sur les lignes électriques, il peut récolter et transmettre des informations beaucoup plus précises sur la consommation des usagers à Enedis. De quoi permettre, notamment, un relevé des compteurs à distance et une tarification basée sur la consommation réelle, et non plus estimée.

Cette nouveauté technologique charrie, pour certains, son lot d'inquiétudes : qu'il fasse exploser la facture d'électricité, que le rayonnement produit par le courant transmis par Linky ait des effets néfastes sur la santé, ou encore que le compteur serve à recueillir des informations sur le mode de vie des ménages et à les vendre. Des craintes notamment appuyées par la mise en demeure adressée, mardi 27 mars, par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (Cnil) à Direct Energie au sujet de consentement des clients au recueil de leurs données.

Sur les réseaux sociaux, les comités anti-Linky se sont multipliés, dans lesquels les internautes se partagent des arguments contre le compteur, mais aussi des conseils pour permettre de refuser son installation, pourtant présentée comme obligatoire par le gestionnaire du réseau. Alors qui faut-il croire ? Est-il réellement impossible de dire non au compteur Linky ? Franceinfo fait le point.

Pour Enedis, le compteur est obligatoire

A la recherche d'une réponse sur la légalité ou non de son opposition au compteur Linky, l'usager peut se tourner directement vers le site d'Enedis. Et celle-ci est clairement exprimée : "Oui", la pose du compteur Linky est obligatoire.

Il n'y a pas de procédure de refus. Le compteur fait partie du réseau électrique, il n'appartient pas au client.

Bernard Lassus, directeur du programme Linky

à franceinfo

En effet, votre compteur électrique est la propriété de votre commune, qui en confie la gestion à Enedis (dans 95% des cas) dans le cadre d'une délégation de service public. Le cahier des charges, qui régit ses contrats entre le distributeur d'électricité et les communes, veut que le compteur fasse partie du "domaine concédé". En somme, c'est à Enedis, et non aux usagers ni même aux communes, de décider de les changer ou non.

Et Enedis assure ne pas avoir le choix. "C'est une loi qui nous oblige à moderniser le réseau", explique Bernard Lassus à franceinfo. L'entreprise renvoie vers une directive européenne de 2009, qui enjoint les Etats-membres à mettre en place des "systèmes intelligents de mesure" de la consommation électrique. En France, le Code de l'énergie a été modifié en 2015 pour y introduire le fait que les gestionnaires du réseau électrique devaient mettre en œuvre un certain nombre de possibilités technologiques, notamment permettre aux fournisseurs "d'accéder aux données de comptage de consommation (...) en temps réel, sous réserve de l'accord du consommateur".

Le respect de cet objectif par les compteurs Linky a été contesté par l'UFC-Que choisir. L'association de consommateurs avait déposé un recours pour empêcher leur déploiement, bien avant le début de celui-ci fin 2015. Elle estimait que Linky, compteur "faussement intelligent", ne répondait en réalité pas "aux exigences normatives européennes et nationales", notamment car il ne proposait pas aux usagers de connaître leur consommation en temps réel. Mais l'UFC-Que choisir a été déboutée par le Conseil d'Etat en 2013 et le suivi de la consommation en direct est aujourd'hui proposé par certains fournisseurs en ajoutant un petit émetteur au compteur.

Des opposants ont saisi la justice

Dans le camp des anti-Linky, certains contestent les arguments juridiques d'Enedis. Des communes ont, souvent sous l'impulsion d'habitants en colère, voté des vœux, des délibérations ou des arrêtés contre les nouveaux compteurs : un site militant en compte plus de 500, documents à l'appui. Mais, même si les compteurs appartiennent aux communes, la justice a donné raison à Enedis dans tous les cas où ces décisions locales ont été attaquées en justice (à une exception, en Seine-et-Marne, pour un motif technique).

Les actions collectives de particuliers peuvent représenter une autre voie. Plusieurs avocats ont lancé des inscriptions pour une procédure visant à empêcher la pose du compteur chez les requérants, et plus de 1 500 personnes s'étaient inscrites en ligne, fin mars. L'un de ces avocats, Arnaud Durand, joint par franceinfo, estime qu'Enedis viole la liberté de choix des consommateurs en imposant le remplacement du compteur.

Mais son principal angle d'attaque est sanitaire : pour lui, l'Anses, l'agence de l'Etat chargée d'évaluer les éventuels risques sanitaires, "n'a aucune certitude" quant à l'absence d'effets sur la santé des rayonnements émis par le compteur, et par le courant qu'il fait passer dans les installations électriques.

Si vous lisez son rapport de juin 2017, l’Anses n’a aucune certitude de l'absence de risque pour la santé, elle se base sur la vraisemblance.

Arnaud Durand, avocat défenseur de militants anti-Linky

à franceinfo

En juin 2017, l'Anses a publié un avis révisé sur ces compteurs communicants, dans lequel elle se dit favorable à leur déploiement. Mais dans ce document, elle ne cite, comme seul élément sur le type de radiofréquences émises par les Linky, qu'une expertise de 2009 qui jugeait impossible de conclure définitivement "à l’existence ou non d’effet délétère", faute d'études spécifiques. Impossible donc, selon l'avocat, de lever les craintes de certains opposant, et notamment les personnes qui se disent électrosensibles, pour leur santé. Quand bien même l'Anses explique que "le niveau maximum de champ magnétique mesuré in situ est environ 6 000 fois inférieur à la valeur limite d’exposition réglementaire".

Enfin, la dernière objection soulevée par Arnaud Durand concerne les données sur la consommation recueillies par le compteur Linky et envoyées à Enedis. Aux yeux de l'avocat, "imposer un système d'information à un usager qui demande simplement un bien de première nécessité est une clause abusive" dans un contrat. Il s'inquiète des capacités du compteur en terme de transmission de données, qui sont "sans aucun lien" selon lui "avec sa fonction de compteur intelligent" et suggéreraient le recueil de données plus extensives.

A ce sujet, Enedis assure de son côté respecter les recommandations de la Cnil, l'autorité chargée de veiller au respect de la vie privée, qui lui impose notamment de demander le consentement de l'usager avant de recueillir la courbe de sa consommation électrique heure par heure. Mais la Cnil a mis en demeure le fournisseur Direct Energie, le 27 mars, "le consentement [de ses clients] au traitement de données personnelles n’étant pas libre, éclairé et spécifique". Elle estime que le fournisseur d'électricité présente les choses de façon trompeuse pour obtenir leur accord. Donnant raison à certaines craintes des opposants.

En pratique, certains parviennent à le refuser

Questionné sur la possibilité de dire non au compteur Linky, Enedis donne une réponse ferme. Pourtant, entre les lignes, on comprend que l'entreprise ne peut pas pour autant l'imposer à tout prix à un usager. "Nous respectons la propriété privée", assure Bernard Lassus à franceinfo. En pratique, un usager peut donc refuser le remplacement de son compteur s'il se trouve à l'intérieur de son domicile. Une possibilité confirmée le 12 septembre 2018 par le tribunal administratif de Toulouse : les employés d'Enedis ne peuvent pas entrer sans autorisation.

Le directeur du programme Linky chez Enedis assure même que les techniciens "n'installent pas le compteur" si l'accès est obstrué, par exemple avec une chaîne (en revanche, l'entreprise poursuit certains usagers s'il y a destruction de biens). Une technique conseillée par de nombreux anti-Linky sur internet. "Une première procédure interne disait aux poseurs de couper les cadenas", mais elle a été abandonnée en 2016, quelques semaines après le début du déploiement, assure Benard Lassus. 

En revanche, pas la peine selon lui d'envoyer à Enedis un courrier exprimant son refus de Linky. "Ce qu'on veut, c'est aller sur le terrain et discuter avec les gens", affirme Bernard Lassus, qui balaye les lettres souvent identiques reçues par son entreprise. Des modèles de lettres circulent en effet sur le web, mises en ligne notamment par un cabinet d'avocats spécialisé dans l'environnement. Arnaud Durand, lui-même avocat d'opposants, estime qu'un courrier avec recommandé reste "important" comme preuve du "non-consentement", en vue d'une éventuelle procédure.

En pratique, tous les membres de comités d'opposants joints par franceinfo pour cet article ont, pour l'instant, réussi à s'opposer à la pose du compteur chez eux. "Je fais partie des chanceux, mon compteur est à l'intérieur de ma maison", explique Patricia, leader d'un collectif d'opposants dans les Deux-Sèvres. Elle a pu conserver son ancien modèle, au prix d'une certaine persistance.

Ils m'ont harcelée au téléphone pendant six mois, ça pouvait être quinze appels par jour.

Patricia, porte-parole d'un collectif anti-Linky dans les Deux-Sèvres

à franceinfo

"Ils sont revenus à la charge durant toute l'année 2016, mais ils ont vu à qui ils avaient affaire", se félicite de son côté Bernard, consultant en informatique dans le Pas-de-Calais. Maxime, lui, habite un immeuble à Millau (Aveyron) mais il a aussi réussi à y échapper à Linky : "J'ai interpellé le technicien deux ou trois fois alors qu'il passait, pour lui dire que je n'en voulais pas. Et des voisins avaient envoyé un courrier pour le refuser. Donc il ne l'a installé qu'à deux appartements sur quatre."

Le refus peut même marcher à plus grande échelle : selon Le Figaro, la ville de Bayonne a ainsi obtenu d'Enedis que le compteur ne soit pas installé chez 401 habitants qui le refusaient, après un courrier du maire. "Dans certains cas, on essaie de trouver les moyens de tenir compte de la sensibilité des personnes, se contente de commenter Bernard Lassus. Mais ça reste quelques choses d'assez rare."

Enedis revendique 10 millions de Linky posés depuis fin 2015 et assure que le nombre de refus est "très faible". Mais s'abstient de communiquer un chiffre sur le sujet. Bernard Lassus se contente d'avertir les récalcitrants : "Avec Linky, 70% des interventions que l'on fait aujourd'hui pourront se faire à distance", un avantage dont se priveraient ceux qui refusent le compteur. "Ces personnes devront toujours prendre une demi-journée de RTT" pour le relevé de leur consommation, et "à un moment donné, elles seront obligées de payer" cette intervention aujourd'hui gratuite.

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