: Enquête Des ostéopathes pour bébés aux pratiques douteuses
L’ostéopathie est extrêmement populaire en France. En 2021, plus de 25 000 praticiens ont été recensés par l'IGAS, ce qui fait de la France le pays qui compte le plus grand nombre d’ostéopathes par habitant.
Certains d’entre eux sont spécialisés dans la prise en charge des bébés. C’est le cas de cet ostéopathe très populaire sur les réseaux sociaux : ses vidéos peuvent faire des millions de vues.
Nous avons assisté à l’une de ses consultations. Ce jour-là, il reçoit un bébé d’un mois qui a mal au ventre.
Il nous explique : "On va jouer un petit peu avec lui, on va faire un petit peu de pédalo. On peut lever un tout petit peu les jambes, on ne va pas lever fort… C’est très léger."
C’est la 2ème fois que cette mère amène son bébé ici. Elle revient car elle assure avoir vu un vrai changement : "En sortant d’ici, c’était un autre bébé, plus soulagé, bien plus calme."
Le syndrome de Kiss, un motif de consultation bien particulier
En France, l’ostéopathie est réglementée depuis une vingtaine d’années.
Mais les ostéopathes ne sont pas officiellement considérés comme des professionnels de santé et leurs consultations ne sont pas remboursées par la sécurité sociale.
Sur leurs sites, les ostéopathes énumèrent les motifs de consultation pour les bébés, très nombreux :
-Crâne plat
-Digestion
-Otites
Et certains ajoutent un motif bien particulier :
-Le syndrome de KISS.
Selon eux, ce syndrome se caractériserait par des pleurs répétés et par une posture arquée, qui seraient liés à un blocage au niveau de la nuque.
Sur les réseaux, l’existence de ce syndrome est très relayée.
"J’arrête pas de penser que ça peut être le KiSS qui regroupe tous les troubles de ma fille ", écrit une maman sur Facebook.
Certains ostéopathes assurent pouvoir mettre fin à ce syndrome en manipulant le cou des bébés. Des manipulations parfois impressionnantes comme vous allez le voir sur ces images tournées par la télévision belge.
Des ostéopathes spécialisés dans le syndrome de Kiss
En France, certains ostéopathes se sont spécialisés dans le traitement de cette pathologie.
C’est le cas de ce cabinet, qui n’a pas répondu à nos sollicitations. Nous y sommes donc allés en caméra cachée. Nous nous présentons seule, comme un parent à la recherche de conseils. Nous expliquons que notre enfant pleure beaucoup et souffre d’un torticolis.
Lorsque nous évoquons le syndrome de Kiss, ces ostéopathes nous recommandent de ne pas consulter que notre pédiatre.
"De toute façon, il faut aller voir d’autres personnes que votre pédiatre. Que ce soit nous voir nous ou voir un autre ostéo, il vous faut un autre avis. "
un ostéopathe spécialisé dans le syndrome de KISSà l'Oeil du 20h
Les ostéopathes expliquent qu’en cas de syndrome de Kiss, il faudra 3 séances à 120 euros chacune pour le faire disparaître. C’est bon le double d’une consultation classique. Ils ajoutent "On pourra vous dire si effectivement ça coince dans les charnières cervico-occipitales. C’est mécanique donc une fois qu’on a libéré [les bébés], ça va mieux. "
Un retard de diagnostic
Ce protocole, Ornella Blanc-Monaldi l’a suivi pour sa fille Manon lorsqu’elle avait 6 mois.
Préoccupée par de nombreux pleurs et par un manque d’appétit, elle découvre sur internet le syndrome de KISS, et prend rendez-vous avec un ostéopathe spécialisé.
Le diagnostic est formel : "Il nous avait tout à fait assuré que c’était le syndrome de Kiss, et il l’avait noté dans le carnet de santé"
Sur les conseils de cet ostéopathe, elle annule alors tous les examens médicaux prévus à l’hôpital pour sa fille, notamment une IRM et une ponction lombaire.
On l’a écouté parce que dès le premier rdv, il nous a confirmé et dit que notre fille avait le syndrome de Kiss, donc on préfère entendre ça qu’entendre une neurologue qui dit “on ne sait pas encore ce que votre enfant a”
Ornella Blanc-Monaldià l'Oeil du 20h
Les examens médicaux, reprogrammés quelques mois plus tard, montreront que Manon souffre en réalité d’une maladie génétique rare, une maladie mitochondriale, qui l’empêche d’être autonome. Sa mère a depuis fondé l'association "Manon Coeur de Lion".
Ces séances d’ostéopathie ont ainsi entraîné selon Ornella Blanc-Monaldi un retard de diagnostic. Tout ça pour un syndrome qui n’existe pas.
Un syndrome qui n'existe pas
Car le syndrome de KISS n’a jamais été démontré par aucune étude… comme nous l’explique Christèle Gras-Leguen, porte-parole de la Société française de pédiatrie.
Le syndrome de Kiss, c'est une imposture, vous ne trouverez ça dans aucun livre de médecine. On est dans une maladie inventée à base de symptômes qui sont extrêmement fréquents chez un tout-petit. Un tout-petit, ça pleure, ça se tortille, ça crie, ça a des mouvements atypiques.
Pr. Christèle Gras-Le Guenà l'Oeil du 20h
Les syndicats d’ostéopathes eux-mêmes assurent que cette pathologie n’a aucun fondement scientifique. En revanche, ils affirment que l’ostéopathie peut soulager les bébés pour d’autres maux.
“L’ostéopathie permet de restaurer de la mobilité chez le bébé, de lui donner confiance dans le mouvement, de moduler la douleur [et] le tonus musculaire”, assure l'Unité pour l'Ostéopathie.
L'ostéopathie pédiatrique, "pas recommandée" par la HAS
Alors quelles sont les recommandations officielles ?
La Haute autorité de santé ne mentionne quasiment jamais l’ostéopathie pédiatrique dans ses recommandations de soins pour les enfants.
Elle l’évoque uniquement pour les problèmes de déformation crânienne chez le nourrisson. Et voici ce qu’elle en dit :“Une approche ostéopathique à orientation pédiatrique peut être associée à la kinésithérapie en deuxième intention”.
Mais la HAS précise : “les données scientifiques ne permettent pas de recommander l’ostéopathie”.
Contactée par téléphone, la Haute autorité de Santé nous réaffirme qu’elle ne recommande pas l’ostéopathie pour les bébés.
Parmi nos sources :
Le reportage de la RTBF sur le syndrome de KISS
L'association Manon Coeur de Lion
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.