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"Interdire la cigarette électronique dans les lieux publics est un non-sens"

Le pneumologue et tabacologue Gérard Mathern, qui a participé au rapport sur les effets de l'e-cigarette, déplore les restrictions prônées par la ministre de la Santé, Marisol Touraine.

Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Un vapoteur dans son bureau à Paris, le 5 mars 2013. (KENZO TRIBOUILLARD / AFP)

Dans "cigarette électronique", il faut retenir le mot "cigarette". C'est en substance ce qu'a déclaré Marisol Touraine, vendredi 31 mai, à l'occasion de la Journée mondiale contre le tabac. La ministre de la Santé prône notamment l'interdiction d'en fumer dans les lieux publics.

Ce n'est pas l'avis du pneumologue et tabacologue Gérard Mathern, qui a participé au rapport sur les effets de l'e-cigarette remis récemment au ministère de la Santé. Interview. 

Francetv info : Les recommandations de Marisol Touraine vont dans le sens du rapport qui lui a été remis mardi, dont vous êtes signataire. Pourquoi vous surprennent-elles ? 

Gérard Mathern : Ce n'est pas parce que j'ai signé ce rapport que j'approuve tout ce qui s'y trouve ! Cette interdiction de la cigarette électronique dans les lieux publics ne repose sur aucune base scientifique. Il est par exemple prouvé que la vapeur dégagée contient 400 à 1 000 fois moins de produits toxiques que la fumée d'une cigarette traditionnelle. Et les particules rejetées ne restent que 11 secondes dans l'atmosphère, contre 20 minutes pour une blonde. Enfin, l'e-cigarette ne contient aucun monoxyde de carbone, dont l'absorption, même en cas de tabagisme passif, favorise les cancers du poumon et les maladies cardiovasculaires. 

Qu'en est-il du propylène glycol et de la glycérine contenus dans le liquide de la cigarette électronique ?

Il est vrai qu'on ne sait pas ce que peut produire l'absorption de propylène glycol pendant dix ans. Il faudrait mener des études à plus long terme. Mais ce produit est partout. Il est utilisé, par exemple, dans le gaz propulseur des inhalateurs pour asthmatiques. On en trouve aussi, tout comme la glycérine, dans les aliments, en tant qu'additif, ou dans des crèmes cosmétiques. Certains s'en mettent tous les jours sur la figure, sans courir un risque majeur pour autant.  

Que répondez-vous à ceux qui affirment qu'une libre utilisation de la cigarette électronique est une incitation à fumer de vraies cigarettes ? 

Les vapoteurs [utilisateurs de cigarette électronique] sont très largement des fumeurs. Une étude polonaise infirme par ailleurs l'aspect "prosélyte" de la cigarette électronique sur les adolescents. Le fait que des cigarettiers comme Marlboro veuillent se lancer sur le marché est toutefois inquiétant. Car leurs e-cigarettes risquent d'être d'emblée à la nicotine, et ils ont des outils redoutables en matière de marketing. C'est pourquoi je ne serais pas hostile à une interdiction de la cigarette électronique dans les lieux d'accueil pour mineurs et dans les lieux de promiscuité, comme les transports en commun. Pour le reste, remettons-en nous à la civilité. Je n'ai pas forcément envie, par exemple, d'avoir des odeurs de vapeur à la pêche en plein milieu de mon plat de résistance au restaurant. Mais interdire l'e-cigarette dans tous les lieux publics commencerait par signer l'arrêt de mort des boutiques qui en vendent.

Justement, que pensez-vous de la proposition du député UMP Thierry Lazaro de vendre les cigarettes électroniques dans les bureaux de tabac, qui ferment les uns après les autres ? 

Ce n'est pas une bonne idée. Quand un alcoolique arrête de boire, il ne va pas acheter son eau au bistrot du coin. Et puis la vente d'une cigarette électronique doit être accompagnée d'une démonstration et de conseils, notamment pour réduire progressivement la dose de nicotine. Les personnes qui tiennent ces boutiques font cela très bien. Les voir disparaître reviendrait aussi à supprimer des emplois, même si c'est dans une moindre mesure, bien sûr.

Mais pourquoi vendre les gommes et les patchs dans les pharmacies et pas la cigarette électronique ? N'y a-t-il pas un risque de dépendance à la nicotine plus élevé, dans la mesure où le geste de fumer persiste ? 

Il est vrai qu'avec la cigarette électronique, la dépendance comportementale persiste. Mais après tout, peu importe, tant que l’intoxication par la fumée de tabac cesse. Mon ennemi, en tant que pneumologue, c'est le cancer du poumon. Et l'e-cigarette permet de s'en protéger. L'interdire dans tous les lieux publics est un non-sens au regard de la lutte contre le tabagisme. Cela peut avoir un effet pervers extrêmement important. Ceux qui se sont éloignés de la cigarette risquent d'y replonger en accompagnant les fumeurs dehors, par exemple. Quant à la dépendance à la nicotine, elle tend plutôt à diminuer au fil du temps puisque l'on peut maîtriser la quantité absorbée. Enfin, les effets ne sont pas négligeables sur le portefeuille : le vapoteur dépense en un an ce que le fumeur paie en un mois. 

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