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Un ADN de mastodonte découvert au Groenland : "Une véritable découverte inattendue", se réjouit un paléogénéticien

Ces traces génétiques, datées de deux millions d'années, sont les plus vieilles jamais observées. Elles ont été prélevées dans les sols gelés de l'Arctique.

Article rédigé par franceinfo
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Des scientifiques présentent des prélèvements de sédiments à Kap Kobenhavn, dans le nord du Groenland (Danemark), le 6 décembre 2022. (HANDOUT / SVEND FUNDER)

Les fragments d'ADN vieux de deux millions d'années prélevés par des scientifiques dans les sols gelés de l’Arctique et présentés dans la revue Nature sont "une véritable découverte inattendue", s’est réjoui jeudi 8 décembre sur franceinfo Régis Debruyne, paléogénéticien au Muséum national d’histoire naturelle. Ces traces génétiques, les plus vieilles jamais mises au jour, témoignent notamment de la présence de mastodontes, "un parent des éléphants et des mammouths", explique-t-il. "Les derniers représentants de ces animaux vivaient en Amérique du Nord il y a 10 000 ans, ajoute Régis Debruyne. Ça risque de beaucoup exciter les paléontologues".

franceinfo : A quoi ressemblait le Groenland, il y a deux millions d’années ?

Régis Debruyne : Ce que nous dit cette publication, c'est que le Groenland de l'époque avait un environnement relativement surprenant et inédit par rapport aux environnements modernes. Il y faisait globalement bien plus chaud qu'aujourd'hui, une dizaine de degrés au delà la température moyenne du Groenland actuel. On avait sur ces territoires à la fois de la forêt boréale, des peupliers, des tuyas, des épicéas qui apparentaient cet environnement à ce qu'on peut trouver, par exemple en Scandinavie. Et puis, en parallèle de ces environnements forestiers, quand même des environnements plus ouverts, où allaient s'épanouir justement les rennes, les lièvres ou les lemmings qui ont pu, pour certains perdurer jusqu'à aujourd'hui.

On pouvait y croiser des mastodontes. À quoi ressemble un mastodonte ?

C’est très surprenant. C’est une véritable découverte inattendue parce que le mastodonte est un parent des éléphants et des mammouths. Il a, comme les mammouths, disparu il y a environ 10 000 ans. Les derniers représentants de ces animaux vivaient en Amérique du Nord il y a 10 000 ans. Ces animaux ont une morphologie qui s'apparente à celle d'un mammouth laineux. Ils sont un peu plus trapus. Et puis surtout, ils ont un régime alimentaire qui est très différent. Le mammouth laineux vivait dans des milieux complètement ouverts. Il mangeait de l'herbe. Le mastodonte, au contraire, c'est un animal forestier, donc c'est vraiment aussi un traceur de ce changement de l'écosystème. À l'époque, au Groenland, il faut qu'il y ait des forêts très étendues pour soutenir des populations de ces gigantesques herbivores en forêt.

Comment est-il arrivé jusqu’au Groenland ?

Soit par des passages à sec du fait de la baisse temporaire du niveau des mers, soit parfois par colonisation emmenée sur des radeaux. Ces animaux peuvent coloniser des îles. Ça s'est vu aussi pour les mammouths. Ils nageaient très bien, mais ils peuvent être finalement embarqués malgré eux dans un voyage de quelques kilomètres à quelques dizaines de kilomètres pour bien évidemment se retrouver sur une île. Ces mastodontes, effectivement, on les connaît sur la façade nord-est américaine. Ce n'est pas si surprenant. Le Groenland n'est pas très loin, mais par contre, on a aucun fossile de mastodonte connu à ce jour au Groenland. Ça risque de beaucoup exciter les paléontologues, de se dire qu'il y a des terrains dans lesquels il faut aller chercher des zones mastodontes aujourd’hui.

Comment trouve-t-on ces fragments ?

Il faut travailler dans le sol. Il n'y a pas besoin de creuser parce que les paléo-généticiens qui travaillent sur les sédiments anciens, la plupart du temps, travaillent sur des falaises. L'érosion et le réchauffement climatique "jouent" pour nous et mettent au jour des terrains, des sols très anciens. Il suffit de venir avec une espèce de très grosse perceuse à trépan, de faire des carottes à l'horizontale et non pas à la verticale dans le sol, dans ses falaises de sédiments anciens.

Avec cette découverte, on remonte à deux millions d'années en arrière. Jusqu'où va-t-on pouvoir aller ?

Toutes ces découvertes d'ADN très anciennes sont associées à ces sols qui sont restés gelés depuis au moins un ou deux millions d'années. Donc il se trouve que ces terrains ont une extension qui est relativement importante géographiquement parlant. Ils couvrent à peu près quasiment 20% du globe terrestre. Mais par contre, chronologiquement parlant, ils ne nous permettent pas a priori de remonter beaucoup plus loin que ces deux millions d’années parce que les plus anciens permafrost [sol perpétuellement gelé des régions arctiques] que l'on connaît sur Terre ont sans doute l'âge de la période qu'on appelle le Pléistocène, c’est-à-dire deux millions et demi d'années.

Cela signifie qu'on ne retrouvera probablement jamais d'ADN de dinosaure ?

Exactement ! C’est ce que soutiennent les paléogénéticiens du monde entier depuis une vingtaine d’années. Il y a tous les arguments pour convaincre qu'il n'y a aucune raison de retrouver de l'ADN, en tout cas dans ce type de sédiments. Peut être que dans quelques années, on découvrira encore des meilleures matrices d'ADN. Il faut s'imaginer qu’il y a une vingtaine d'années on n'envisageait pas que le sol sous nos pieds puisse être un très bon réservoir pour des ADN anciens. On travaillaient exclusivement, par exemple, sur les squelettes.

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