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Trois questions sur Saccorhytus, la créature sans anus présentée comme un ancêtre très lointain de l'être humain

La découverte d'un fossile de cette créature préhistorique minuscule dans le centre de la Chine passionne les scientifiques.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Une illustration de Saccorhytus publiée dans la revue "Nature" le 30 janvier 2017. (JIAN HAN / NATURE / AFP)

Des chercheurs chinois ont fait une découverte dans un gisement de la province du Shaanxi, dans le centre de la Chine. Ils ont mis au jour les fossiles d'une créature qu'ils ont baptisée Saccorhytus. Leur étude, coécrite avec l'université anglaise de Cambridge et publiée lundi 30 janvier dans la revue britannique Nature (en anglais), présente Saccorhytus comme le "plus vieil ancêtre préhistorique des humains". Une affirmation qui soulève quelques questions.

A quoi ressemblait Saccorhytus ?

Saccorhytus était une créature aquatique minuscule, qui vivait au début du Cambrien, il y a 540 millions d'années. Elle avait la forme sphérique d'un tout petit sac et mesurait environ 1 mm. Elle vivait probablement entre les sédiments marins, dans les grains de sable au fond de l'eau, "de tous petits vides occupés, aujourd'hui, par certains petits vers et petits coquillages", détaille Jean Vannier, paléontologue, directeur de recherche au laboratoire de géologie de Lyon du CNRS, joint par franceinfo. 

La créature avait un grand orifice, identifié par les scientifiques comme une bouche, énorme pour sa taille. Elle avait huit petites ouvertures coniques le long de son corps, qui lui permettaient, peut-être, d'évacuer l'eau qu'elle avalait et qu'elle filtrait. Un système interprété comme l'ancêtre des branchies des poissons.

Saccorhytus se nourrissait probablement des petites particules en suspension dans l'eau. "Son corps devait être assez souple et flexible pour pouvoir se mouvoir et exécuter des contractions afin d'expulser l'eau, mais pas aussi gélatineux et fragile qu'une méduse", imagine le chercheur.

Une illustration de Saccorhytus publiée dans la revue "Nature" le 30 janvier 2017. (JIAN HAN / NATURE / AFP)

Les chercheurs n'ont, en revanche, rien trouvé qui pouvait ressembler à des yeux, mais ils pensent que l'animal disposait, peut-être, de récepteurs sensoriels. Le petit monstre ne semblait pas, non plus, avoir d'anus. "Tous les fossiles qu'on trouve dans ce gisement chinois sont petits, précise Jean Vannier. Mais il y en avait sûrement de plus grandes créatures, simplement, on n'en trouve pas trace."

"Dans le gisement chinois où Saccorhytus a été découvert, les petits fossiles sont très bien conservés, explique le paléontologue. On plonge les morceaux de roche de schiste extraits du gisement dans de l'acide et on récupère ce qui n'a pas été digéré. On obtient des fossiles en trois dimensions. Cela nous permet d'utiliser la 3D pour reconstituer le vivant, y compris une image 3D de son intérieur, qu'on peut observer sous tous les angles." 

Que nous apprend cette créature sur l'évolution ?

Dans le règne animal, Saccorhytus est classé parmi les deuterostomiens, un groupe qui rassemble une diversité très vaste. On y retrouve, aujourd'hui, les étoiles de mer, les vers marins, les oursins, mais aussi les vertébrés et donc l'être humain. D'après l'étude, Saccorhytus serait le plus ancien deuterostomien connu à ce jour et, par conséquence, le plus vieil ancêtre préhistorique des humains. Autrement dit : un chaînon manquant dans la chaîne de l'évolution.

"Pour l'instant, on s'arrêtait à des formes ressemblant grossièrement à de petits poissons, datant d'il y a 520 millions d'années, et découvertes dans un autre gisement chinois, fait remarquer le paléontologue Jean Vannier. Là, on atteint quelque chose d'encore plus primitif, un point supplémentaire, plus bas et plus ancien dans la chaîne de l'évolution. C'est une forme très primitive, encore très lointaine des premiers poissons, mais elle est sans doute au tout début du groupe qui s'est différencié et a donné naissance aux vertébrés."

Les paléontologues espèrent remonter encore plus loin le fil de l'évolution. "En Russie, il existe un gisement à la conservation exceptionnelle datant du Précambrien avec des créatures encore plus énigmatiques qui ne ressemblent à rien de connu, observe Jean Vannier. Entre le Cambrien et le Précambrien, on a l'impression qui ces deux mondes ne sont absolument pas liés. Il manque sans doute quelque chose entre les deux. C'est un champ de recherche passionnant pour l'avenir."

Pourquoi cette découverte suscite un débat ?

Bertrand Lefebvre, chargé de recherche au laboratoire de géologie de Lyon du CNRS, contacté par franceinfo, se dit "très sceptique" et "reste réservé sur ces interprétations" publiées dans Nature qui lient Saccorhytus à l'être humain. Selon lui, ses homologues chinois "poussent leurs hypothèses au maximum" et se montrent "un peu légers dans leur argumentation".

"Ces fossiles sont présentés comme des proches des vétulicoliens, c'est-à-dire des formes très primitives des deuterostomiens, proches à la fois des vertébrés et des invertébrés. Or, ce groupe animal est très débattu chez les scientifiques", note Bertrand Lefebvre. Mais à ses yeux, "ces fossiles sont assez différents des vétulicoliens" et "les caractères qui en feraient des deuterostomiens ne sont pas flagrants".

"Saccorhytus est vraiment une boule, il n'a pas de queue ni de tête différenciées, et ses cônes le long du corps ne sont pas aussi bien alignés que sur les vétulicoliens, liste le chercheur. Ces derniers ont une queue avec des éléments téléscopiques, ce qui n'existe pas chez les vertébrés, mais qui peut se retrouver chez certains arthropodes. Ils ont aussi une cuticule, une couche externe, qui n'existe pas non plus chez les deuterostomiens, mais plutôt chez les arthropodes." 

Bertrand Lefebvre voit donc plutôt dans Saccorhytus "une forme un peu aberrante d'arthropodes", ce groupe d'animaux invertébrés qui rassemble, entre autres aujourd'hui, les araignées, les insectes et les crustacés.

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