Sinusite et risque de cancer : l'art de détourner une étude sérieuse
À lire trop vite les résumés des études sans se pencher sur l'intégralité des données publiées, certains médias maltraitent parfois l'information scientifique… Dernier exemple en date : la large reprise d'une étude étasunienne publiée dans la revue JAMA Otoryngology-Head & Neck Surgery.
Étonnés par de récents travaux taïwanais et costaricains pointant du doigt des cas de cancers de la tête et du cou plus nombreux chez des patients récemment atteints de sinusite, les chercheurs nord-américains ont mis en place leur propre protocole.
Leur analyse a porté sur les dossiers médicaux de plus de 1,3 million de leurs compatriotes, comparant un sous-groupe de personnes ayant reçu un diagnostic de cancer avec un sous-groupe sain. Résultat : à profil égal (âge, habitudes de vie, etc.), le risque de se voir diagnostiquer un cancer de la tête ou du cou est significativement plus élevé si l’on s'est vu diagnostiquer une sinusite chronique l'année précédente.
Des hypothèses sont rapidement évoquées par les chercheurs, et notamment celle d’une fragilisation de la muqueuse par l’infection, qui pourrait créer un terrain favorable pour un cancer. C'est cette "piste" qui, sous la plume de nombreux journalistes ce 13 septembre, est, prétendument, devenue la conclusion de l'équipe nord-américaine.
Mais voilà : les auteurs de ces travaux ne se sont absolument pas arrêtés à cette hypothèse. Leur analyse montre qu’au-delà d’un an après le diagnostic de sinusite, la probabilité d’un diagnostic de cancer redevient normal. Etrange. Très étrange, d’autant plus que la genèse d’un cancer prend énormément de temps…
La corrélation entre sinusite et cancer est, de l’avis des auteurs, très probablement un artefact. C’est-à-dire un faux-semblant. Premièrement, il pourrait s’agir d’un lien de causalité inversé : la présence d’un cancer augmenterait le risque de sinusite. Après quoi, une consultation pour la sinusite offrirait une opportunité pour détecter le cancer. Mais l’hypothèse du "cancer précurseur de la sinusite" est peut-être même superflue : sans lien de causalité, le simple fait de consulter un otorhinolaryngologiste (ou "ORL") donne l’occasion d’identifier le cancer.
L’étude ne dit absolument pas que la sinusite chronique est un facteur de risque du développement de tumeur. Elle explique qu'il s'agit vraisemblablement d'une occasion courante de diagnostic.
Faisant preuve d'une rigueur toute scientifique, les chercheurs n'excluent pas qu'un lien "modeste" de cause à effet, lié à l’inflammation ou à l’immunodéficience, puisse favoriser le développement d'un cancer… Mais l'explication des impressionnants taux de sur-risque identifiés dans leur enquête n’est certainement pas là, et bien dans un "biais de surveillance et de détection".
Aucune raison de s’alarmer en cas de sinusite, donc, mais plutôt… de se réjouir !
Quelques en-têtes d'articles se faisant l'écho de l'étude, ces derniers jours.
Étude : Chronic Sinusitis and Risk of Head and Neck Cancer in the US Elderly Population. Daniel C. Beachler et al. JAMA Otolaryngol Head Neck Surg. 8 sept, 2016. doi:10.1001/jamaoto.2016.262
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