Première greffe de larynx en France : "Le but est qu'elle arrive à retrouver sa voix d'antan", explique le chirurgien coordinateur de l'opération
"Ce n'est que de la microchirurgie quasiment. Les éléments qu'on raccorde sont de l'ordre de quelques millimètres", explique mardi 21 novembre sur franceinfo le professeur Philippe Céruse, chef du service ORL et chirurgie cervico-faciale de l'hôpital de la Croix-Rousse, à Lyon. Il a coordonné, il y a deux mois, les 12 chirurgiens qui ont pratiqué la greffe de larynx sur une patiente, Karine, pendant 27 heures. Une opération inédite en France, et réussie, qui pourraient permettre d'en réaliser d'autres, espère le chirurgien.
franceinfo : Comment va Karine, votre patiente, deux mois après l'opération ?
Philippe Céruse : Elle a pu rentrer chez elle, elle va bien, malgré quand même deux mois difficiles, il faut le dire. Mais elle est de retour chez elle, avec à nouveau le sourire et elle a pu retrouver sa famille et ses filles.
L'opération s'est déroulé sur deux jours, on parle d'une greffe composite, qu'est-ce que cela veut dire ?
Le larynx est fait de cartilages, de muscles, de muqueuses, d'artères et donc c'est composite, il y a plusieurs tissus au sein de ce greffon. C'est compliqué parce que c'est un organe qui est complexe, de par sa vascularisation, son innervation et son rôle.
"Le larynx, ne sert pas uniquement à parler, mais aussi à manger, à respirer. Et donc il faut qu'on arrive à retrouver ces trois fonctions et c'est ça qui en fait toute la complexité."
Pr Philippe Céruse, chef du service ORL et chirurgie cervico-faciale de l'hôpital de la Croix-Rousseà franceinfo
C'est beaucoup plus compliqué que la greffe d'un cœur ou d'un poumon ?
Je ne vais pas dire ça réellement parce que mes collègues m'en voudraient, mais disons que c'est plus minutieux. C'est plus fin parce que ce n'est que de la microchirurgie quasiment. Les éléments qu'on raccorde sont de l'ordre de quelques millimètres, donc il y a un temps de microchirurgie qui est important et qui est long. C'est pour ça qu'on a été nombreux sur cette intervention.
Il y avait 12 chirurgiens, cela veut dire 12 experts chacun dans son domaine ?
Tous, effectivement, sont parmi les meilleurs en chirurgie cervico-faciale. On avait également un chirurgien thoracique, qui nous a aidés à prélever le greffon, parce qu'on commence à le prélever dans le thorax. On avait le professeur Badet, qui est urologue, mais qui surtout coordonne toute cette équipe multidisciplinaire, pour arriver à faire une véritable transplantation.
"Il n'y a pas que les chirurgiens, il y a aussi derrière les immunologistes, les néphrologues etc... Tous des experts dans leur domaine."
Pr Philippe Céruseà franceinfo
Parlons un peu de Karine. Elle a une voix encore très caverneuse, très rocailleuse. Elle peut vraiment reparler ?
Oui, le but est qu'elle arrive à retrouver sa voix d'antan. Effectivement, la voix que vous entendez est une voix qui n'est pas celle qu'on attend dans plusieurs mois, voire une année. Parce que le larynx ne fonctionne pas encore, il faut qu'il se réinerve, qu'il se remobilise, qu'il se resensibilise, et donc, ce n'est pas la voix qu'elle aura.
C'est une question de temps, une question de rééducation. Cela va lui demander aussi beaucoup d'efforts ?
Ça va lui demander du temps pour que le larynx se réinerve, que les nerfs repoussent, et puis de rééducation, parce qu'elle a oublié comment il fallait faire pour parler. Donc il va falloir coordonner tout ça, il va falloir coordonner la respiration, l'élocution. C'est un travail de longue haleine et elle va être aidée pour ça par des orthophonistes.
Son orthophoniste raconte le moment où elle sent pour la première fois de l'air qui repasse dans son larynx, c'est une sensation qu'elle avait oubliée ?
Tout à fait, et non seulement ça, mais elle a ressenti pour la première fois des odeurs. Parce qu'il ne faut pas oublier que quand l'air passe dans le nez, c'est grâce à ça qu'on a les odeurs. Elle a été très émue le jour où elle a ressenti des odeurs pour la première fois.
Il n'y a eu que quatre opérations comme celle-ci recensées depuis 1998. Il va y en avoir d'autres en France ?
Il n'y en a eu que quatre recensées, mais il y en a beaucoup plus. En fait, il y en a onze, dans le monde qui ont été faites, mais pas toutes publiées. Oui, on espère qu'il y en aura d'autres, puisqu'on a le feu vert et le budget pour en faire trois. Donc on espère, quand on saura que les signaux sont au vert pour la patiente, qu'on pourra donner le feu vert pour poursuivre les autres interventions.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.