Ce que l'on sait de la bactérie "mangeuse de chair" qui inquiète le Japon

L’archipel nippon enregistre depuis janvier un nombre record d’infections aux streptocoques du groupe A, mortelles dans environ un tiers des cas.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Image de synthèse d'une bactérie streptocoque du groupe A (SGA), en recrudescence au Japon depuis plusieurs mois. (NIH / IMAGE POINT FR / IMAGE POINT FR / AFP)

Les autorités japonaises ont tenté d'apaiser les craintes, vendredi, lors d'un point presse du porte-parole du gouvernement. Mais l'inquiétude grandit dans le pays et à l'étranger, alors que les cas d'infections causées par un streptocoque se sont multipliés en 2023 et plus encore depuis le début de l'année.

Le gouvernement de la capitale, Tokyo, a alerté les habitants au sujet de la forte propagation de cette bactérie, rapporte dimanche 24 mars The Japan Times. De quoi raviver les craintes, après l'annulation samedi par la Fifa d'un match qualificatif pour le Mondial 2026 entre le Japon et la Corée du Nord, dans un contexte de vives préoccupations sanitaires. Voici ce que l'on sait à ce sujet.

Une bactérie "mangeuse de chair", aux complications aiguës mais rares

La bactérie streptocoque du groupe A (SGA) est un pathogène humain qui se transmet par voie aérienne (gouttelettes) ou contacts directs (sécrétions nasales, lésions cutanées). D'après les données de Santé Publique France (document PDF), elle cause dans 80% des cas des infections bénignes, comme l'angine, l'impétigo ou des lésions cutanées.

Plus rarement, elle peut causer une dermohypodermite ou fasciite nécrosante (une maladie "qui entraîne une destruction complète des tissus mous", qui lui vaut son surnom de bactérie mangeuse de chair, rappelle Santé Publique France), ou le syndrome de choc toxique streptococcique (SCTS). Ces deux complications aiguës sont rares, mais peuvent être mortelles.

Le SCTS libère des toxines qui peuvent entraîner une défaillance des organes. Les premiers symptômes sont les maux de gorge, la fièvre, la diarrhée, des vomissements et une léthargie. Il est mortel dans 40% des cas, selon Santé Publique France, et dans un cas sur trois, selon les Centres américains pour le contrôle et la prévention des maladies. D'après Santé Publique France, la dermohypodermite ou fasciite nécrosante est quant à elle létale dans 20 à 45% des cas.

Une flambée de cas au Japon

L'archipel nippon a enregistré une hausse notable du nombre de SCTS. En moins de trois mois, du 1er janvier au 13 mars 2024, 474 cas de ce syndrome ont été recensés, selon l'Institut national des maladies infectieuses au Japon. C'est plus de la moitié de tous les cas de SCTS recensés dans le pays au cours de 2023 (941), une année record, comme le titrait le 18 janvier le journal japonais The Asahi Shimbun. Les personnes âgées sont considérées comme étant plus à risque, mais les décès chez les patients de moins de 50 ans sont en hausse, note l'Institut, qui fait état de 21 décès dans cette catégorie d'âge en 2023, avec un taux de mortalité d'un tiers.

Cette flambée de cas a été relayée dans la presse du monde entier, au point que le gouvernement japonais a cherché vendredi à relativiser les inquiétudes, en particulier après le refus de la Corée du Nord d'accueillir l'équipe nationale de football. Jeudi, Pyongyang a fait savoir qu'elle ne souhaitait pas organiser un match entre leurs deux équipes, qualificatif pour la Coupe du monde 2026, et initialement prévu le 26 mars. La Fifa a finalement annoncé samedi l'annulation du match.

L'inquiétude gagne le continent asiatique : vendredi, l'agence sud-coréenne de contrôle et de prévention des maladies a mis en garde les voyageurs se rendant au Japon face au risque de SCTS, souligne The Japan Times.

Le porte-parole du gouvernement japonais, Yoshimasa Hayashi, a refusé de commenter vendredi la décision surprise de Pyongyang, mais a insisté sur le fait que le Japon n'était pas le seul pays à être concerné par le SCTS. Depuis la fin de la pandémie de Covid-19, "le nombre de patients atteint d'infections des voies respiratoires a augmenté dans divers pays, y compris au Japon", a-t-il déclaré lors de son point de presse régulier. Mais l'incertitude demeure sur la cause de cette flambée de cas, comme l'a reconnu le ministre japonais de la Santé devant la presse le 22 janvier, rapporte The Japan Times

Une hausse des cas constatée aussi en France

Des vagues d'infections invasives à streptocoque du groupe A ont également sévi en 2022-2023 en Europe, y compris en France, en Amérique du Nord ou encore en Australie.

Dans l'Hexagone, un rapport de Santé Publique France notait en mars 2023 une recrudescence des infections invasives à streptocoque du groupe A chez les enfants et les adultes. Chez les plus de 18 ans, le nombre de cas observés d'octobre à décembre 2022 était nettement supérieur aux bilans des quatre années précédentes. La fréquence des cas d'infections associés à un SCTS était en hausse, passant de 16,5% sur la période 2017-2021 à 21% en décembre 2022, notait en outre l'organisme. 

Des experts évoquent une baisse de l'immunité après le Covid

Les autorités sanitaires surveillent de près la situation, mais elles reconnaissent également que le mécanisme du SCTS est encore méconnu par la médecine. En attendant que la science progresse, le ministre de la Santé japonais a appelé en janvier la population à continuer de recourir à des gestes barrières, comme se laver régulièrement les mains et porter un masque dans des endroits publics fréquentés. 

Certains experts médicaux font l'hypothèse que cette flambée d'infections causées par la bactérie est due à une baisse de l'immunité collective après l'épisode du Covid-19. "Durant la pandémie, la circulation des maladies infectieuses a été freinée par les mesures sanitaires mises en place à travers le monde", explique Masahiro Kami, médecin et président du Centre de recherche sur la gouvernance médicale sur le site Toyo Keizai. "Cela a entraîné une baisse du nombre de personnes dotées de protection immunitaire, et donné lieu à des pics d'infections ces derniers temps".

Dans le quotidien britannique The Guardian, Ken Kikuchi, professeur de maladies infectieuses à la Tokyo Women's Medical University, pointe un facteur supplémentaire. "A mon avis, plus de 50% des Japonais ont été infectés par le Sars-CoV-2. L'état immunologique des personnes qui se sont remises du Covid-19 pourrait modifier leur sensibilité à certains micro-organismes", estime-t-il.

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