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Quel est le secret des vers qui ont survécu 40 000 ans dans le permafrost sibérien ?

De minuscules vers ronds ont été "réveillés" après avoir passé 30 000 ou 40 000 ans dans le sol gelé. Cette étonnante capacité à résister aux affres du temps est liée à un patrimoine génétique spécifique, qui commence à être percé par les scientifiques.

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Les nématodes prélevés dans le permafrost sibérien. A gauche, le nématode "panagrolaimus". A droite, le nématode "plectus". (DOKLADY BIOLOGICAL SCIENCES)

C'est l'histoire de petits vers bien frais qui sortent enfin du frigo. Des organismes vivants appartenant au groupe des nématodes ont été découverts dans le permafrost sibérien, où ils ont passé plusieurs dizaines de milliers d'années avant d'être "réveillés" par des chercheurs. L'étude russe a été publiée en anglais dans la revue Doklady Biological Sciences.

"C'est une surprise", réagit le biologiste moléculaire Simon Galas, chercheur du CNRS à la faculté de pharmacie de l'université de Montpellier. Certes, des bactéries avaient déjà été réveillées après une très longue période de sommeil (entre 22 000 et 34 000 ans). Il s'agissait d'archées, des bactéries qui vivent dans des milieux très salés (halophiles). Elles avaient été découvertes dans d'anciens lacs de la vallée de la Mort, en Californie. "Le sel protège les élements du vivant, et notamment l'ADN, en limitant l'hydrolyse naturelle chimique" (c'est-à-dire la détérioration par l'eau), explique Simon Galas, spécialiste des tardigrades, autres organismes aux capacités de résistance inouïes.

Plus de 40 000 ans dans la glace sibérienne

Mais le cas des petits animaux russes est différent de celui des bactéries de la vallée de la Mort. Ils ont en effet été collectés dans des environnements glacés. Un premier groupe de vers – des nématodes panagrolaimus – ont été découverts en 2002 dans d'anciens terriers d'écureuils après la collecte de 300 échantillons de pergélisol (ou permafrost). L'âge de ces animaux a été évalué autour de 32 000 ans, après datation au carbone de la couche de sol. Un second groupe – des nématodes plectus – a été découvert, également en Sibérie, à 3,5 mètres de profondeur près de la rivière Alayeza, en 2015. Ces vers ronds font encore plus fort, puisque leur âge a été estimé à près de 42 000 ans.

Les nématodes prélevés dans le permafrost sibérien. A gauche, le nématode "panagrolaimus". A droite, le nématode "plectus". (DOKLADY BIOLOGICAL SCIENCES)

Ces vers sont tous microscopiques : ils ne mesurent que quelques dixièmes de millimètres. Leur plan d'organisation est très simple : une cuticule très dure qui les protège tout autour du corps et un tube digestif à l'intérieur. "Ce ne sont pas des parasites, il n'y a pas de danger, explique Simon Galas. Sur les 20 000 espèces de nématodes décrites, très peu sont dangereuses." Après avoir collecté les nématodes, les chercheurs russes les ont placés dans une boîte de Petri à température ambiante, avant de les cultiver en les nourrissant de bactéries Escherichia coli, les mêmes qui peuplent nos intestins. "Il est donc possible d'obtenir de nouvelles colonies à partir d'individus congelés depuis 40 000 ans."

Ces vers sont donc, de loin, les animaux vivants les plus âgés sur notre planète. Alors comment expliquer ce réveil après un interminable "sommeil" ? "Le milieu intérieur de ce ver est très salé, ce qui empêche la formation de cristaux de glace", avance Jean-Lou Justine, professeur au Muséum national d'histoire naturelle, sur franceinfo. Mais l'explication est plus profonde. "Les nématodes, les rotifères et les tardigrades forment un club fermé d'animaux qui ont la capacité de résister à la cryobiose (congélation) et à l'anhydrobiose (déshydradation), précise Simon Galas, car ils disposent d'un répertoire de gènes spécifiques."

La question a été longuement évoquée lors du récent symposium mondial de Copenhague (Danemark) consacré aux increvables tardigrades. Simon Galas cite les CHAS, des protéines exprimés par ces gènes qui permettent aux tardigrades d'être blindés. "Au cours de leur évolution de 500 millions d'années, les tardigrades ont également réussi à récupérer des gènes à des bactéries, afin d'améliorer leur propre résistance", détaille le chercheur. Les nématodes sont plus jeunes à l'échelle de l'histoire, mais il existe une très forte probabilité qu'ils soient également équipés de la sorte.

Programmés pour être blindés en cas de coup dur

Lorsque les nématodes et les tardigrades sont soumis à des conditions exceptionnelles, ils se défendent. Leur boîte à outils génétique permet l'expression de protéines qui protègent l'ADN, les mitochondries (source d'énergie dans la cellule) et même l'espace extra-cellulaire, comme l'ont montré les travaux du chercheur. Cette phase de résistance n'a donc rien d'une phase de "sommeil", puisque le processus est au contraire dynamique et actif.

Ce qui est intéressant, c'est que les gènes impliqués lors de cette entrée en résistance ne sont pas les mêmes que lors de la sortie : j'entre par une porte et je sors par une autre. C'est quelque chose d'orchestré au niveau moléculaire.

Simon Galas, professeur à l'université de Montpellier

à franceinfo

Grâce à ce blindage protéiné, le tardigrade entre alors dans cet état particulier, nommé cryptobiose, qui lui permet de survivre y compris quand il est déshydraté. "Il n'a plus d'eau, mais néanmoins, c'est comme si elle était toujours présente, poursuit Simon Galas. Les protéines identifiées par mon confrère et ami Takekazu Kunieda sont capables de former du verre in vitro, c'est pourquoi on parle de vitrification." Le chercheur japonais, par exemple, est parvenu à vitrifier des levures à partir des protéines collectées dans un tardigrade. Ces dernières peuvent potentiellement jouer un rôle identique lors d'une cryobiose, c'est-à-dire un séjour à température négative.

Ironie du sort ou formidable paradoxe ? Les nématodes étudiés par Simon Galas ont une espérance de vie de dix-sept jours dans un environnement à 20 °C, alors qu'ils peuvent traverser les âges quand ils sont soumis à des conditions exceptionnelles. "Ces organismes ont évolué dans des environnements qui n'étaient pas stables. Ils sont habitués à se mettre en état de résistance quand il ne pleut plus ou quand il gèle", résume le chercheur. 

Une puissance génétique hors du commun

Les chercheurs tentent aujourd'hui de séquencer les ADN des tardigrades et surtout d'identifier les protéines à l'œuvre chez ces petits animaux, ainsi que leur fonction. Certaines perspectives sont d'ores et déjà fascinantes. Le Japonais Takekazu Kunieda a travaillé (étude en anglais) sur l'une d'entre elles, qui permet aux tardigrades de déployer un parapluie résistant aux radiations gamma après deux heures de déshydratation. De quoi imaginer, pour l'homme, de futurs vêtements équipés de composés chimiques ?

Mieux : cette protéine a des propriétés transférables, puisqu'elle fonctionne également sur des cellules humaines placées en culture. Il reste encore beaucoup à découvrir, mais les esprits les plus créatifs peuvent déjà imaginer des aspirants Hibernatus qui, après avoir domestiqué le pouvoir des tardigrades, se réveilleront en l'an 42 018.

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