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Alimentation : Serge Hercberg, père du Nutri-Score, dénonce la pression des lobbies sur la Commission européenne

Serge Hercberg fait partie des 320 scientifiques et professionnels de santé qui demandent à la Commission européenne de rendre le Nutri-Score obligatoire, comme promis en 2021.
Article rédigé par franceinfo
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Serge Hercberg, nutritionniste et père du Nutri-Score, à Bobigny, le 25 janvier 2023. (TERESA SUAREZ / MAXPPP)

"Ces retards qui sont aujourd'hui pris dans la décision de mettre en place ce logo obligatoire pour l'Europe sont tout à fait liés à la pression des lobbies", dénonce jeudi 11 mai sur franceinfo Serge Hercberg, épidémiologiste, nutritionniste et père de l’indicateur Nutri-Score. Il compte parmi les 320 scientifiques et professionnels de la santé, issus de 27 pays européens et réunis dans le "Groupe des scientifiques et professionnels de la santé de l’UE soutenant Nutri-Score", qui demandent jeudi matin dans un rapport à la Commission Européenne d'élargir l'indicateur nutritionnel au niveau européen. Cette promesse avait été faite par la Commission en 2021 et aurait dû entrer en vigueur en 2023.

>> Ce qu'il faut savoir sur le Nutri-score, que plus de 300 scientifiques et professionnels de santé veulent rendre obligatoire

franceinfo : le Nutri-Score aurait dû être élargi au niveau européen en début d'année 2023, ce n'est pas le cas. Vous estimez que la Commission européenne a cédé aux lobbies ?
Serge Hercberg : Face à l'accumulation de données scientifiques, face à la demande sociétale, notamment des associations de consommateurs, on aurait pu imaginer que la Commission européenne prenne une décision en faveur du logo le plus efficace, le plus utile à la santé publique. Mais ces tergiversations qu'on observe, ces retards qui sont aujourd'hui pris dans la décision de mettre en place ce logo obligatoire pour l'Europe sont tout à fait liés à la pression des lobbies, des grands groupes agroalimentaires, des syndicats agricoles et l'Italie.

Qui, chez les industriels, a intérêt à ce que le Nutri-Score ne soit pas appliqué au niveau européen ?
Alors ceux qui ont intérêt à qu'il n'y ait pas de Nutri-Score, sont ceux qui n'ont pas trop envie qu'il y ait une vraie transparence sur la composition nutritionnelle des aliments qu'ils produisent. Donc, les fabricants de charcuterie, les fabricants de fromage ou les fabricants de produits très gras, très sucré et salé. 

"Il faut rappeler que le fait d'avoir un D ou E avec le Nutri-Score ne veut pas dire qu'il ne faut pas en consommer, ça alerte simplement le consommateur qu'il doit le prendre plutôt en quantité limitée, pas trop fréquemment."

Serge Hercberg, épidémiologiste, nutritionniste et père de l’indicateur Nutri-Score

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Ça changerait quoi de l'appliquer à toute l'Europe ?
Ça permettrait de forcer la main à ces industriels qui refusent. Aujourd'hui, il y a 950 marques qui l'ont accepté, mais des grands groupes comme Ferrero, Lactalis, Coca-Cola, Mars, Mondelez, Kraft ou Unilever refusent toujours de le mettre. Ce sont des centaines de marques, et donc le consommateur n'a pas l'opportunité de pouvoir juger de la composition nutritionnel des produits qui ne sont pas étiquetés. Il faut forcer la main à ces industriels et pour ça, il faut le rendre obligatoire.

Ces industriels disent aussi que, parfois, le Nutri-Score n'est pas assez fiable ou qu'il est utilisé comme un outil de communication alors que certains aliments cachent des failles ?
On le met à jour régulièrement. Il y a eu l'histoire des céréales Chocapic. En effet, c'est très troublant puisqu'elles étaient classées A. C'est un produit très transformé, dans lequel l'industriel qui avait au départ un produit qui contenait quasiment 50 grammes de sucre pour 100 grammes, passe à 40 grammes, à 30 grammes et à 20 grammes. Il est juste en dessous du seuil qui lui permet d'être classé A. Ce n'est pas normal, parce qu'il est dans la même classe que d'autres céréales petit déjeuner qui ne contiennent pas de sucre.

"Les scientifiques avaient prévu qu'il y ait des mises à jour régulières du Nutri-Score. Un rapport du comité scientifique européen, en charge de la mise à jour du Nutri-Score a pénalisé encore plus les aliments sucrés, donc ces fameuses Chocapic vont repasser en C. Il faut mettre à jour l'indicateur en fonction du progrès des connaissances scientifiques, des reformulations, des innovations qui sont faites."

Serge Hercberg, nutritionniste et père de l’indicateur Nutri-Score

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Il faut quand même rappeler que même si Nutri-Score n'est pas parfait à 100 %, même s'il ne va pas résoudre à lui seul tous les problèmes, il y a une centaine d'études scientifiques qui montrent que manger des aliments bien mieux classés sur l'échelle du Nutri-Score s'accompagne d'un meilleur équilibre nutritionnel et d'un moins grand risque de maladies. Donc c'est une efficacité démontrée scientifiquement face à des arguments qui sont utilisés par des lobbies pour essayer de discréditer cet outil de santé publique.

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