Vincent Lambert : son ancien médecin, le Dr Kariger revient sur toute l'affaire
Le Dr Eric Kariger a "le cuir épais". Pourtant, se replonger dans les rebondissements de l’affaire Vincent Lambert lui coûte. De ses années au côté de cet homme qui est devenu le symbole de la fin de vie en France et dont il a été le premier médecin après son accident de la route en 2008, le médecin garde des souvenirs douloureux. Une douleur qui est ravivée par l’actualité récente.
Alors que le Dr Sanchez, nouveau médecin de Vincent Lambert, a annoncé qu’il mettrait fin aux soins de son patient à partir de lundi, les parents du jeune homme se refusent toujours à accepter la situation. Des voix s’élèvent aussi des milieux conservateurs pour s’insurger contre la fin des soins, assimilée de manière impropre à une euthanasie. Cette violence qu’il a trop connue lorsqu’il était aux responsabilités comme chef de service des soins palliatifs au CHU de Reims, le Dr Kariger ne la supporte plus.
"La fin approche, et c’est presque encore plus violent. Dans cette période difficile, il y a de nouveaux des prises de position qui me sont, à titre personnel, très douloureuses, lâche le médecin. Je pense en particulier aux déclarations de mon archevêque (Mgr Éric de Moulins-Beaufort, archevêque de Reims, a critiqué la décision des médecins validée par le Conseil d'Etat, les accusant notamment de vouloir laisser Vincent Lambert mourir de faim et de soif)."
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Médecin « pro-life » aux solides convictions catholiques
Le Dr Kariger ne s'en cache pas : il est un homme de droite et un catholique convaincu. Médecin chrétien engagé, il a été trésorier du centre catholique des médecins français et s’est engagé au sein du Parti Chrétien Démocrate – l’ancien Forum Social Chrétien de Christine Boutin. "Personne ne peut venir me chatouiller sur mes convictions confessionnelles et mon combat pro-vie", se défend-il. C’est pourtant précisément sa sphère politique et religieuse qui l’a violemment attaqué lorsque lui-même a décidé, pour la première fois, d’entamer une procédure d’arrêt des soins sur Vincent Lambert, en 2013.
"Je suis médecin chrétien, mais je suis médecin d’abord. Je suis d’abord au service d’un malade et pas au service de mes convictions, assure-t-il. Et sur l’affaire Lambert et la décision que j’ai dû prendre à l’époque, je ne me suis jamais trouvé en difficulté par rapport à ces convictions."
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Au départ, de bonnes relations avec la famille Lambert
Durant les premières années de soins de Vincent Lambert, en unité pour cérébolésés graves, l’équipe médicale et la famille du jeune homme poursuivent le même objectif : faire récupérer Vincent, un maximum. A l’époque, le Dr Kariger échange surtout avec Rachel, sa femme, même si il a occasionnellement rencontré ses parents, Viviane et Pierre.
Le contact passent bien avec eux : il faut dire qu'ils ont des points communs. "Je suis catholique et un médecin chrétien engagé. Ils sont aussi catholiques, même si ils sont certainement plus que cela. En plus, le père est un ancien médecin chef de service", explique le médecin. Mais très vite, il a une "intuition" : le cas Lambert n’est pas ordinaire. "On m’avait donné des éléments sur la singularité de cette famille, même si on ne savait pas grand chose à l’époque de toute la violence et la complexité qui y régnait."
Un pronostic de plus en plus sombre
Les années passent et Vincent Lambert ne progresse pas. La rééducation ne fonctionne pas, l’orthophonie ne donne rien. Le pronostic est très sombre. Fin 2012, les équipes soignantes, au plus près des patients, commencent à se poser des questions : pourquoi maintenir Vincent Lambert en vie ? En avril 2013, au terme d’une procédure collégiale qui s’inscrit dans la cadre de la loi Leonetti que le Dr Kariger "connaît sur le bout des doigts", le médecin s’achemine vers un arrêt des soins et la mise en place de la sédation profonde et continue.
L'épouse de Vincent Lambert, Rachel, est d’accord. Avant de commencer, le médecin s’entretient avec Viviane, la mère. Le père, Pierre, n’a pas pu se rendre au rendez-vous. "Je l’ai préparé, je lui ai dit que nous nous dirigions vers un arrêt des soins. Je ne lui ai pas demandé son avis : je trouve ça odieux psychanalytiquement parlant. Elle m’a répondu que c’était impensable, contre ses convictions. Nous avons convenus de nous revoir quelques semaines plus tard."
"Quand on a rebranché Vincent Lambert, ça a été un des pires jours pour moi"
La procédure d’arrêt des soins est entamée au printemps 2013. "Nous l’avons fait transparence, en toute rigueur", assure le Dr Kariger. Rachel Lambert, l’épouse "aimante et aidante" est informée. Mais pas les parents. "Nous n’avons pas agi dans leur dos. Aucun médecin n’appelle tous les membres d’une famille quand décision est prise", rappelle-t-il. Le Dr Kariger a sa conscience pour lui, même si il admet une "petite précipitation, car l’arrêt a commencé avant que je ne les revoie."
Saisi par les parents, le tribunal administratif de Châlons-en-Champagne (Marne) ordonne en mai 2013 de rétablir l'alimentation. "Ca a été un des jours les plus durs pour moi. Ca faisait 31 jours qu’on accompagnait Vincent Lambert vers la fin."
Les relations avec les parents sont dégradées. "Ils n’ont jamais évolué, ensuite. Ils ont évoqué un mauvais diagnostic, un mauvais pronostic. Tout s’est emmêlé. »
"Mon honneur et celui de mon équipe étaient sauf"
Suite à ce revers, l’équipe médicale reprend le travail. "On a relancé la collégiale, on est repartis de zéro. Nous avons fait un travail magnifique, se remémore le médecin. J’en garde un souvenir ému." Mais les évènements s’emballent.
En janvier 2014, l’équipe informe la famille qu'elle va de nouveau arrêter nutrition et hydratation, procédure conforme à la loi Leonetti qui permet de refuser l'acharnement thérapeutique. Le tribunal, saisi par les parents, ordonne la poursuite du traitement. Rachel Lambert et le CHU en appellent au Conseil d'État, qui donne raison au Dr Kariger et son équipe. "A ce moment-là, mon honneur et celui de mon équipe ont été saufs", souffle le médecin. Mais Viviane et Pierre Lambert en appellent à la Cour européenne des droits de l’homme. "J’ai compris qu’ils ne lâcheraient rien et qu’on se s’en sortira plus", explique-t-il.
Menaces de mort et coups de fil anonymes
Face à ce nouveau rebondissement, le médecin spécialiste des soins palliatifs, qui n’est "pas du genre à fuir devant les difficultés et ses responsabilités", est dépassé. "On nous a parlé de 2 à 3 ans de délai avant la décision de la Cour européenne. Je ne me suis plus senti la force de travailler dans la durée. Je n’apportais plus de valeur ajoutée. J’ai décidé d’aller vaquer à d’autres fonctions."
En plus du cas médico-judiciaire inextricable, l’ancien médecin de Vincent Lambert doit faire face à des pressions considérables. "J’étais devenu l’homme à abattre. J’ai reçu des menaces de morts, des coups de fils anonymes. On a menacé de s’en prendre à mes enfants." Les pressions émanent des milieux conservateurs de droite, de son "camp de valeur". Une véritable "double peine". "Ca a été très dur. Si j'étais un mec de gauche, athée, ça m’aurait moins touché", dit-il dans un petit rire triste.
Soutien au nouveau médecin de Vincent Lambert
Quatre années "de souffrance inutile" après, c’est le Dr Vincent Sanchez qui va finalement accompagner Vincent Lambert vers la mort. "C’est un homme courageux, qui doit faire une chose qui reste difficile : c’est lui qui, finalement, sera responsable de l’arrêt des soins sur Vincent Lambert. Je lui apporte tout mon soutien confraternel, assure le Dr Kariger. "Mais dans son cas, tous les recours de la famille ont été épuisés. Il a le soutien de sa hiérarchie et d’un ministre de la Santé. Il a de la chance."
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