Schizophrène meurtrier : 18 mois requis contre le psychiatre
Pour la première fois en France, un praticien hospitalier, le Dr Lekhraj Gujadhur, a été poursuivi pour homicide involontaire.
Les faits remontent au 12 novembre 2008. Jean-Pierre Guillaud, 56 ans, atteint de psychose délirante chronique depuis près de quatre décennies et déjà auteur d'agressions à l'arme blanche, s'enfuit sans difficulté du Centre hospitalier de Saint-Egrève (Isère). Il prend le car pour le centre de Grenoble à une dizaine de kilomètres, achète un couteau et tue le premier venu, Luc Meunier, 26 ans, étudiant en génie mécanique.
"La désinvolture et le désintérêt" du médecin
Le procureur Olivier Nagabbo a retenu la faute caractérisée à l'encontre du médecin, aujourd'hui septuagénaire et à la retraite. "Ce n'est pas la psychiatrie qui est jugée mais la désinvolture et le désintérêt du Dr Gujadhur qui a failli à sa mission", a estimé le magistrat. Il a aussi souligné que le praticien, exerçant depuis 1974 à Saint-Egrève, n'avait pas pris connaissance du dossier de ce patient dangereux en hospitalisation d'office depuis deux ans.
L'avocat de la famille et de l'ancienne compagne de Luc a rappelé que depuis 1980, M. Guillaud, déclaré irresponsable pénalement en 2011 et placé en unité pour malades difficiles (UMD), a fait six séjours à Saint-Egrève et connu dix hospitalisations entre 1980 et 2008. Il a énuméré les signaux d'alerte dans le comportement de M. Guillaud les jours précédents le meurtre : le 8 novembre, "sa mauvaise voix lui dit de se suicider ou de tuer quelqu'un", idem les 9 et 10 novembre. "Il n'y en a qu'un qui n'est au courant de rien mais signe tout (les autorisations de sorties, ndlr): c'est le Dr Gujadhur !", a lancé Me Hervé Gerbi.
"Responsabilité morale" de l'hôpital
A l'inverse, Me Jean-Yves Balestas a rappelé que "des patients comme Jean-Pierre Guillaud, il y en beaucoup (...) je vais dire à tous mes clients psychiatres soit de verrouiller les cellules, mais c'est contraire à la loi, soit de ne pas s'en occuper". Il a plaidé la relaxe pour son client, "troisième victime de cette affaire", qui a fait une tentative de suicide après cette affaire et a cessé d'exercer.
Quant au Centre hospitalier poursuivi comme personne morale pour homicide involontaire, le procureur a retenu la "faute simple" pour défaut d'application d'une note de service sur le contrôle des sorties des patients et a requis 100.000 euros d'amende avec sursis.
Me Denis Dreyfus a rappelé les trois précédentes réquisitions de non lieu en 2011, 2012 et 2014 et plaidé la relaxe de l'hôpital. L'établissement a grillagé son parc grâce à des fonds publics débloqués après le drame. Un drame qui a aussi fait évolué la loi sur la prise en charge psychiatrique. A la barre, le directeur de l'établissement Pascal Mariotti, arrivé cinq mois après les faits, a estimé que "l'hôpital doit assumer sa responsabilité morale", "les moyens étaient là le 12 novembre, l'institution a dysfonctionné".
La famille Meunier n'était pas au complet lors de l'audience : Jean-Pierre, le père et le plus obstiné dans ce marathon procédural, est décédé l'an passé.
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