Gaz à effet de serre : les différents leviers pour décarboner le trafic aérien

Tous les samedis, on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Article rédigé par franceinfo
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Deux vols par jour entre Paris et Bruxelles relient les clients français vers le réseau africain de Brussels Airlines plus facilement que le train. Photo d'illustration (JEAN-LUC FLEMAL / MAXPPP)

Après avoir évoqué le transport maritime la semaine dernière, on s'attaque à l'aviation, qui fait souvent figure de coupable idéal, quand on discute de changement climatique. Si le trafic maritime international est responsable de quasiment autant d'émissions, les avions sont responsables de 5% du réchauffement climatique.

François Gemenne : Les deux secteurs n’obéissent pas aux mêmes logiques économiques. Si on regarde la part des émissions de l’aviation dans les émissions mondiales, on est autour de 3%, comme le trafic maritime. On pourrait se dire que ce n’est pas un secteur prioritaire. Mais si on prend en compte les émissions de gaz à effet de serre autres que le dioxyde de carbone, notamment les traînées de condensation, l’aviation représente environ 5% du réchauffement climatique. Et si on se place du point de vue du passager, l’empreinte carbone d’un vol pèse d’un poids considérable, et fait facilement exploser votre budget carbone. Ce qui explique cet apparent paradoxe, c’est qu’il y a très peu de gens qui prennent l’avion.

"La répartition des bénéfices de l'aviation est extrêmement inégalitaire : quatre personnes sur cinq, dans le monde, n’ont jamais pris l’avion."

François Gemenne

à franceinfo

En France, la moitié des vols sont pris par 2% de la population seulement. On comprend volontiers pourquoi l’avion fait figure de symbole dans la lutte contre le changement climatique : les bénéfices du transport aérien, qu’ils soient économiques, sociaux ou culturels, sont parmi les plus inégalitaires qui soient.

De plus, ce transport aérien est en augmentation, notamment dans les économies émergentes, où désormais une classe moyenne accède au transport aérien. Ce n’est pas un hasard si Air India a acheté l’an dernier 500 avions pour 100 milliards de dollars – le contrat du siècle, dans l’aérien. Si c’est une bonne chose que les bénéfices du transport aérien soient mieux partagés, c'est évidemment intenable pour le climat.

Alors que faire ? Il faut clouer les avions au sol ?

En tout cas, il faut réduire le nombre de vols. Ça implique souvent de mettre en place des alternatives, et c’est souvent là que le bât blesse. Aux États-Unis, par exemple, où l’empreinte carbone de l’aviation est le double de celle de l’Europe, les deux tiers des vols sont des vols domestiques.

"Aux États-Unis, il n’existe pas de TGV, et les compagnies aériennes américaines font pression pour qu’on n’en crée pas."

François Gemenne

à franceinfo

Un TGV sur la côte est et un autre sur la côte ouest feraient substantiellement baisser le nombre de vols là-bas. Et ce n’est pas qu’aux États-Unis : tous les matins en semaine, la compagnie belge Brussels Airlines opère deux vols entre Paris et Bruxelles. Il existe pourtant un train à grande vitesse entre ces deux villes, mais ce train ne va pas jusqu’à l’aéroport, et ce vol sert en fait à amener les clients français vers le réseau africain de Brussels Airlines. Dans l’autre sens, par contre, Air France opère un TGV pour amener ses clients belges vers Charles De Gaulle. Beaucoup des vols court-courriers, en Europe, servent à ça : à amener les clients vers de gros aéroports. Ce sont souvent des vols déficitaires pour les compagnies, qui pourraient être remplacés par le train.

Et pour les autres vols ? Aura-t-on bientôt des avions à hydrogène ?

C'est compliqué. Airbus espère pouvoir mettre en service un avion à hydrogène d’ici 2035, mais il faudra remplacer toutes les flottes existantes, et ça prendra du temps. Une autre solution, ce sont les carburants alternatifs, comme les biocarburants, fabriqués à partir de biomasse, ou les carburants de synthèse : on appelle ça les SAF, les sustainable aviation fuels. Ça permet de réduire substantiellement les émissions des avions, mais ces carburants sont limités, notamment parce que les stocks de biomasse sont limités.

Sinon il y a des solutions plus "terre à terre", si vous me passez l’expression, auxquelles on ne pense pas toujours. 

"Il faut aussi limiter au maximum la distance que les avions doivent parcourir au sol, de la porte d’embarquement jusqu’à la piste, limiter le nombre d’escales, pour éviter des décollages très énergivores, optimiser les trajectoires… Il va falloir faire tout cela à la fois."

François Gemenne

à franceinfo

Et puis bien sûr il y a la question de la fiscalité : le kérosène aérien n’est pas taxé, et les prix des billets de train sont souvent bien plus chers que les billets d’avion.

Si on veut conserver les bénéfices économiques, culturels et politiques du transport aérien, il va falloir actionner tous les leviers, à commencer par celui de la réduction du trafic. Ça imposera aussi, sans doute, de se poser la question de l’utilité sociale de nos voyages en avion : si je prends l’avion, quel bénéfice est-ce que j’en retire, en regard de son coût environnemental ? Dans un vol Paris-New York, vous aurez à la fois un étudiant qui part en échange universitaire pour un an et un touriste qui va faire un week-end de shopping sur la 5e Avenue. Ils auront tous les deux la même empreinte carbone…

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