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François Gemenne : "l'écologie à la française" prônée par Emmanuel Macron, c'est "avancer en essayant de ne brusquer personne"

Tous les samedis, "Zéro émission" avec François Gemenne, professeur à HEC et membre du Giec, spécialiste du climat et des migrations. C'est le nouveau rendez-vous pour décrypter sur franceinfo les enjeux du climat. Samedi 30 septembre, l'expression du président de la République : "une écologie à la française".
Article rédigé par franceinfo - François Gemenne
Radio France
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Temps de lecture : 5min
La centrale nucléaire de Cruas-Meysse en Ardèche. (IMAGEBROKER / PHILIPPE CLEMENT / MAXPPP)

Lorsqu'Emmanuel Macron a présenté lundi 25 septembre son plan pour la transition écologique, il a employé une curieuse expression : "une écologie à la française".

franceinfo : Qu’est-ce que c’est qu’une écologie à la française ? Est-ce que ça existe ?

François Gemenne : Les mauvaises langues pourront dire que c’est l’écologie du "en même temps" : d’un côté on annonce un grand plan pour l’écologie, et de l’autre on valide la construction de l’autoroute A69 entre Toulouse et Castres. Ce n’est pas faux, mais il faut aussi reconnaître que ce n’est pas propre à la France : tous les pays, ou presque, font pareil. La Chine ouvre des centrales à charbon à la pelle, tandis qu’elle investit des montants records dans l’énergie solaire.

Donc ce n’est pas ça l'écologie à la française ?

Non, il faut chercher autre chose. On pourrait imaginer que la France cherche une voie médiane entre l’approche européenne, qui est plutôt orientée vers la régulation, et l’approche américaine, qui est plutôt orientée vers l’investissement. Dans le plan présenté par Emmanuel Macron, on ne peut pas dire qu’il y ait beaucoup de limitations ou d’interdictions - sauf peut-être sur les centrales à charbon. Mais on ne peut pas dire non plus que ce soit un grand plan d’investissement, même s’il faut reconnaître qu’on a mis quelques moyens, et un financement pluriannuel.

"On a plutôt l’impression qu’il souhaite ici procéder par petites touches."

François Gemenne

à franceinfo

Notamment avec des subventions, pour encourager le remplacement d’équipement individuels. Pour le reste on va surtout procéder par déclarations volontaristes : la France championne d'Europe de l’éolien en mer, les RER partout dans les régionaux, que les régions auront sans doute la charge de financer elles-mêmes. On sent quand même planer le spectre des "Gilets jaunes" : on avance mais en essayant de ne brusquer personne.

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Et ce serait donc ça, l’écologie à la française, par petites touches, par incitations ?

Je suis surtout frappé, en fait, que l’élément le plus saillant de "l’écologie à la française" n’ait pas été mentionné dans ce plan : le nucléaire, évidemment. S’il y a bien un élément qui distingue la France des autres pays, c’est la part de l’énergie nucléaire dans son mix énergétique.

"37% de l’énergie primaire en France vient du nucléaire, loin devant la Suède ou l’Ukraine."

Françoise Gemenne

à franceinfo

C’est cela qui permet à la France d’avoir un mix électrique très largement décarboné, bien plus que nos voisins. Mais c’est cela aussi qui fait souvent réduire le débat sur le climat, en France, à un débat sur l’énergie.

L’énergie c’est quand même central dans la question climatique ?

Bien sûr. Mais ça conduit parfois la France à se reposer sur ses lauriers, et à simaginer plus vertueux qu'elle ne l'est. D’abord parce qu’il y a énormément de secteurs sur lesquels il faut agir, et il faut reconnaître que le plan de transition du gouvernement touche à plusieurs secteurs, même s’il y a de grands oubliés, comme l’agriculture, la finance ou la route – on aura l’occasion d’y revenir. Mais le problème, surtout, c’est que la France a tendance à vouloir faire uniquement sa part. Et quand on s’imagine vertueux, on s’imagine volontiers que notre part est toute petite.

Mais la France est quand même plutôt parmi les bons élèves si on regarde les chiffres ?

C’est vrai que la France est généralement plutôt bien placée dans les classements internationaux, surtout par rapport à ses voisins. Mais le problème c’est qu’on s’appuie là-dessus pour ne pas en faire davantage. Or, l’enjeu ce n’est évidemment pas de se contenter de sa part, de réduire uniquement ses émissions sur son territoire, mais de réduire les émissions de gaz à effet de serre, globalement. Et c’est là qu’on attend la France !

"Quel leadership porte la France au niveau international, alors qu'elle est la 6e puissance économique mondiale ?"

François Gemenne

à franceinfo

Quelles sont les politiques de décarbonation qui ont un impact véritablement mondial ? Quels investissements réalise la France dans les pays du Sud pour leur propre transition énergétique ? À mon avis, c’est là qu’on attendrait véritablement une "écologie à la française" : une écologie qui soit universaliste, et qui ne se contente pas de réduire ses émissions sur son territoire. Parce que le climat se fiche éperdument de l’endroit où sont produites les émissions.

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