COP28 : "Les COP sont évidemment perfectibles, mais nous sommes condamnés à agir ensemble", rappelle François Gemenne, membre du GIEC

Tous les samedis on décrypte les enjeux du climat avec François Gemenne, professeur à HEC, président du Conseil scientifique de la Fondation pour la nature et l'homme et membre du GIEC.
Article rédigé par franceinfo
Radio France
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Le président de la COP28, Sultan Ahmed Al Jaber (au centre) lors d'une conférence de presse à Dubaï le 8 décembre 2023 (ALI HAIDER / EPA)

Alors que la COP28 de Dubaï se termine mardi 12 décembre, François Gemenne, professeur à HEC et membre du GIEC, s'est rendu sur place et nous fait part de ses impressions, en revenant sur l'histoire des COP depuis leur création. 

franceinfo : François Gemenne, vous vous trouvez à la COP28, à Dubaï, et vous n’êtes pas le seul. Un nombre record de participants, avec près de 100 000 personnes, sont accrédités sur la quinzaine de jours cette année. Que font tous ces gens à Dubai ?

 

François Gemenne : C’est clair qu’il y a une sacrée différence entre les premières COP, il y a une vingtaine d’années, qui étaient surtout des réunions techniques pour quelques centaines de diplomates et la COP28, qui est une grande foire commerciale autour du climat. Au fil du temps, les COP sont devenues l’événement annuel sur le climat, le moment où se réunissent toutes les parties qui sont concernées par la question du changement climatique. 

"On va y croiser des négociateurs, mais aussi des activistes, des lobbyistes, des entrepreneurs, des financeurs, des politiques, des journalistes et aussi des chercheurs, bien entendu."

François Gemenne

à franceinfo

Donc la COP ce n’est pas juste une négociation entre gouvernements ?

C’est surtout cela, évidemment, et ça reste sa raison d’être. Mais c’est aussi un grand congrès scientifique, un grand rassemblement d’activistes, un grand salon commercial, une grande bourse aux projets de décarbonation. Au fond, c’est un grand parlement mondial sur le climat. Comme le climat est un sujet qui devient chaque année plus important et plus préoccupant, il est logique que les COP attirent de plus en plus de monde.

Il y a de plus en plus de lobbyistes, aussi, près de 2500 sont présents à la COP28, c’est un record !

Oui, c’est inévitable. On discute ici du futur des énergies fossiles, donc évidemment ça intéresse les industries charbonnières, pétrolières et gazières. Parfois j’ai l’impression qu’on préférerait que les COP n’intéressent personne, et se tiennent dans une salle à huis-clos. Si la COP attire autant de lobbyistes, c’est simplement qu’on touche au cœur du sujet. Il faut garder en tête deux choses : la plupart des lobbyistes sont surtout là pour négocier des contrats et trouver des financements. Mais certains sont là aussi pour essayer d’influer sur le cours des négociations, bien entendu. 

"Il ne faut pas oublier que les ONG sont beaucoup plus nombreuses que les lobbyistes : à Dubai, il y a 14 000 représentants de la société civile."

François Gemenne

à franceinfo

Pourtant il y a beaucoup de gens qui disent que les COP ne servent à rien. Est-ce que vous avez l’impression que cette débauche de moyens est vraiment justifiée ?

Les COP sont de très gros événements et il y a énormément de choses qu’on pourrait faire pour les améliorer. Mais je pense que cette ouverture au monde extérieur est aussi un gros atout des COP. L’alternative serait des négociations confidentielles, fermées au public, alors qu’elle concerne un de plus grands défis de l’Humanité, sinon le plus gros défi du moment.

 

Reste que les émissions mondiales ne baissent toujours pas, donc forcément on se demande un peu à quoi ça sert...

Il faut voir d’où on part : au moment de l’Accord de Paris, en 2015, on était sur un scénario d’une augmentation de la température moyenne mondiale de +4° en 2100, si on n’infléchissait pas la trajectoire. Aujourd’hui on est plutôt sur un scénario à +3°. On est encore loin de l’objectif de +2°, et encore plus loin de l’objectif de +1,5°. Mais on ne peut pas dire non plus qu’on ne progresse pas ! S’il n’y avait pas eu l’Accord de Paris, et avant lui le Protocole de Kyoto, rien ne se serait fait. Sans financement pour les pertes et dommages, il ne pourra pas y avoir de justice climatique. Sans investissements dans la transition énergétique des pays du Sud, la transition ne se fera pas. Tout ce qui se discute et se décide ici est absolument essentiel.

"Il s’agit de faire converger les points de vue de 197 pays qui ne partent pas du tout de la même ligne de départ, qui n’ont pas du tout les mêmes contraintes, ni les mêmes niveaux de développement, ni les mêmes régimes politiques."

François Gemenne

à franceinfo

Et qui n’ont pas non plus la même vision du changement climatique, ni les mêmes perspectives quant aux réponses à y apporter. La COP c’est aussi une expérience d’humilité, à cet égard : il y a la manière dont nous voyons les choses, et la manière dont les autres voient les choses. Et ce qui choque les uns, c’est parfois ce qui enthousiasme les autres.

 

Mais comment faire alors ?

Il faut accepter, je crois, que les COP ne sont au fond que le reflet de ce qui se passe dans la société. C’est une sorte de chambre d’écho. Si rien n’avance dans la société, si les gouvernements ne sont pas prêts à s’engager, alors la COP ne pourra produire aucune avancée. 

"La COP sert à rapprocher les points de vue, à établir un cadre commun, mais la COP n’a pas le pouvoir d’imposer aux gouvernements des décisions dont ils ne veulent pas, ce n’est pas un gouvernement supranational."

François Gemenne

à franceinfo

Tout repose sur les engagements des États.

 

Que peut-on raisonnablement en attendre, alors ?

Aucun gouvernement ne peut agir efficacement seul contre le changement climatique. Les COP sont évidemment perfectibles, mais nous sommes condamnés à agir ensemble. La physique du climat nous impose la coopération internationale, aussi lourde et fastidieuse qu’elle soit.

"Il faut comprendre que les décisions qui sont prises à la COP sont avant tout des signaux qui sont adressés à l’industrie et aux marchés."

François Gemenne

à franceinfo

Sur les énergies fossiles, la décision indiquera quel sera le futur de l’énergie pour les prochaines décennies. Et le vrai marqueur de son succès, ce sera le cours des actions de compagnies pétrolières et gazières au lendemain de la clôture…

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